Nicolas Namias
Directeur général de Natixis
L’économie européenne porte aujourd’hui trois grandes transitions : environnementale, technologique et sociétale. La transition environnementale, dont l’énergie constitue une partie essentielle, progresse. Pourtant, elle reste insuffisante. C’est le constat qui ressortira assurément l’an prochain, lorsque les entreprises publieront la part de leurs revenus considérée comme durable d’un point de vue climatique, en application du règlement européen Taxonomie.
La signature de l’Accord de Paris sur le climat, suivie de nombreuses initiatives européennes (notamment le dernier plan «REpowerEU»), montre l’ambition de l’Europe dans ce domaine. Pour en faciliter leur déclinaison opérationnelle, elle a développé plusieurs outils dont un cadre d’analyse et corpus de données moins fragmentés et plus fiables, et des mesures d’incitation par les prix et les volumes.
Le secteur financier — financeur, conseil et investisseur — joue un rôle majeur pour catalyser les transitions de ses clients et doit permettre à l’Union européenne d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. (Ré)orienter et décupler les flux de capitaux vers les actifs ou les acteurs de cette transition, exercer son rôle d’actionnaire, de financeur ou de conseil pour favoriser le changement : telle est la responsabilité du secteur financier face à la plus profonde transformation que l’économie va devoir vivre depuis la révolution industrielle.
Son implication se traduit d’abord par une offre croissante d’instruments de financement au service de la transition: prêts bancaires ou emprunts obligataires («green loans» ou «green bonds») finançant des actifs et technologies contribuant à la décarbonation de l’économie, mais aussi d’instruments accompagnant la démarche de changement des acteurs engagés dans la décarbonation de l’économie. Alors que les obligations et prêts «verts» reposent sur un engagement de «fléchage» des capitaux levés vers des actifs et projets bas-carbone, les instruments dits «sustainability-linked» reposent quant à eux sur une logique de résultat et sont assortis de mécanismes d’incitation basés sur des objectifs climatiques prédéfinis. Si les exclusions sont parfois nécessaires, elles ne peuvent devenir la règle. Il est préférable de conditionner les financements aux acteurs très carbonés, au déploiement d’efforts et à la fixation d’objectifs ambitieux. On trouve au cœur de ces produits la mesure et l’objectivation des efforts et des impacts en matière climatique et un dialogue renforcé entre les entreprises avec leurs investisseurs ou créanciers.
En parallèle, émergent des financements assis sur les instruments échangés sur les marchés du carbone, selon une logique de valorisation des émissions de CO2 évitées ou capturées. Les banques financent aussi des projets de capture naturelle du carbone parfois assis sur la génération de crédits d’émissions. Dans le cadre du renforcement en cours du marché communautaire des quotas de CO2, ces financements ont vocation à se développer en Europe pour soutenir le déploiement de technologies bas-carbone dans l’industrie lourde.
Il faut enfin noter la place croissante du financement public au travers de multiples initiatives comme «Next Generation EU», qui se traduit par des partenariats publics-privés ou des financements directs au service de la transition énergétique. Ce mouvement s’est considérablement accentué avec la crise sanitaire et avec l’adoption des plans de relance qui visent essentiellement à accélérer la transition et à relocaliser en partie les chaînes de valeur critiques, incluant le secteur de l’énergie.
Conscient des opportunités, mais aussi des risques et des coûts à venir liés à la transition, le secteur financier, et Natixis en particulier, développe sans cesse son expertise dans l’intérêt de ses clients et en cherchant continuellement à innover, avec robustesse et intégrité.
Le rôle du secteur financier est en effet d’être pionnier dans ces transitions. Ainsi, «Natixis Corporate and Investment Banking» a lancé en 2017 le «Green Weighting Factor», qui lui permet de piloter la trajectoire de décarbonation de ses portefeuilles de financement. Cet outil de pilotage de l’allocation du capital a été salué par le GIEC dans son dernier rapport. Les financements sont classés sur une échelle à sept plots suivant leur performance climatique et environnementale. L’objectif de cet outil est d’inciter les métiers de financements à privilégier les projets dont les activités sont les plus vertueuses pour le climat et par là «transitionner» progressivement le mix d’activités et de clients de la banque pour mieux accompagner la nécessaire transition. Cependant, ce n’est fondamentalement pas qu’une question d’outils, mais aussi une question de transformation de la banque en profondeur, et notamment des processus opérationnels.
Les besoins des investisseurs peuvent toutefois différer considérablement, selon les pays et le type d’investisseur. En réponse, «Natixis Investment Managers» a de son côté construit une offre d’investissement durable qui donne accès à plus d’une vingtaine de stratégies d’investissement proposées par ses affiliés. Natixis IM propose notamment son outil «Portfolio Clarity » qui analyse les portefeuilles d’investissement sur des critères financiers et non-financiers et permet ainsi aux investisseurs d’avoir une vision globale de leurs investissements, y compris sur les indicateurs ESG clés.
Réussir la transition environnementale, dans son rythme, son ampleur et sa viabilité sociale et économique, nécessite aussi que les pouvoirs publics européens et nationaux fixent des objectifs clairs, réalistes et pragmatiques en concertation avec tous les acteurs économiques.
La transition énergétique implique en effet une vision qui intègre toutes les conséquences que peut engendrer un tel choix collectif.
La transition des acteurs doit aussi rester économiquement viable. C’est pourquoi les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer pour créer les instruments incitatifs permettant de compenser l’éventuelle perte de rentabilité à court terme. Leur rôle est également clé pour assurer des conditions de compétition équitables à l’instar du mécanisme d’ajustement de carbone aux frontières (MACF), mais aussi pour assurer une certaine extraterritorialité des normes de finance durable développées par l’UE.
Enfin, la transition représente un coût certain pour nos économies dont l’acceptabilité sociale doit être soigneusement prise en compte, en particulier pour les ménages modestes qui pourraient développer un sentiment d’exclusion préjudiciable au bon fonctionnement de la démocratie. Des initiatives publiques et privées de dialogue social sont nécessaires pour accompagner le changement d’habitudes des consommateurs et soutenir celles et ceux qui pourraient se trouver exclus du processus.
Enfin, cette trajectoire de transition doit s’accompagner d’une boîte à outils pour évaluer et valoriser les efforts de transition engagés par les entreprises. Ceci implique de pouvoir disposer de données étendues, fiables et transparentes, d’établir des méthodologies comparables comme la mesure des émissions de carbone scope 3’ de l’alignement des portefeuilles des acteurs financiers (banques, fonds, assureurs), pour fiabiliser l’évaluation des risques et l’appréciation des plans de transition. Plus que jamais, l’établissement d’une réglementation claire et commune impliquant les entreprises, le secteur financier, les consommateurs et les pouvoirs publics, apparaît essentiel au succès de la transition énergétique.