Pierre VELTZ
PDG de l’établissement public Paris-Saclay de 2010 à 2015
Le défi de Paris-Saclay est de devenir un véritable « hub » de l’économie mondialisée de la connaissance en mettant en contact étudiants, chercheurs et industriels.
Le modèle d’innovation dominant en France depuis un demi-siècle est celui du « colbertisme high tech » : rôle central des grandes entreprises proches de l’État, des grands projets comme le nucléaire, le spatial et l’aéronautique ou le ferroviaire. Ce modèle a connu de beaux succès, mais a toujours patiné dans des domaines comme l’informatique ou les biotechnologies. La formation supérieure, de son côté, est restée largement déconnectée de l’innovation industrielle. Les grandes écoles fournissent des cadres de qualité reconnue, mais, obsédées par la sélection, elles ont toujours peu participé aux grands défis industriels et sociétaux, en raison de leur taille sous-critique en recherche. Les universités ont maintenu un excellent niveau en recherche fondamentale, en lien avec le CNRS notamment. Mais leurs réseaux de contact dans l’industrie sont très limités. Ce modèle appelle donc un sérieux effort de rénovation.
Écosystèmes, aspirateurs à talents
Que voit-on dans le reste du monde ? Les campus des grandes universités de recherche (Stanford, Cambridge UK, MIT et Harvard, Zurich et Lausanne, etc.) s’affirment de plus en plus comme les foyers majeurs de l’innovation et de la croissance, véritables « hubs » de l’économie mondialisée de la connaissance. Des écosystèmes très actifs, formidables aspirateurs à talents, mêlant petites et grandes entreprises, public et privé, s’y développent. Il se trouve que l’Île-de-France, première concentration mondiale de chercheurs (qui le sait ?), possède tous les ingrédients pour constituer un tel « hub ». Le plateau de Saclay, au sud-ouest de Paris, regroupe en particulier un ensemble impressionnant d’établissements universitaires, de grandes écoles (Polytechnique, HEC, Supelec…), de grands centres de recherche publics (CNRS, INRA, CEA…) et de centres de recherches et d’ingénierie industriels. Ces établissements se sont installés à Saclay par vagues successives, après avoir quitté le centre de la capitale, inadapté à leur croissance. Mais ce formidable potentiel est resté incroyablement fragmenté. L’idée du projet « Paris-Saclay » est donc simplissime : comment transformer cet agrégat de forces en un véritable pôle, valorisant son extraordinaire pluridisciplinarité (unique en France) pour répondre aux grands défis sociétaux, (climat, santé, alimentation, énergie, mobilité, etc.) ? Ce besoin de convergence a été souvent évoqué dans le passé, mais le projet n’a vraiment pris corps que depuis 7 ou 8 ans, grâce notamment au Programme des Investissements d’Avenir.
Une nouvelle université, incluant des grandes écoles de premier rang
Paris-Saclay est aujourd’hui un des projets les plus ambitieux de France et d’Europe, avec trois volets, étroitement reliés. D’abord, la création d’une nouvelle université (Université de Paris-Saclay) regroupant les institutions existantes et d’autres en cours d’implantation. Une nouvelle vague d’installations est en effet engagée : Centrale, ENS de Cachan, Agro, Télécoms, ENSAE… Pour la première fois en France, une dizaine de grandes écoles de premier rang sont donc intégrées dans un ensemble universitaire. Le deuxième volet est celui de la structuration du pôle industriel, en lien étroit avec le pôle universitaire. Enfin, Paris-Saclay est aussi une très vaste opération d’aménagement, destinée à créer un cadre de vie et de travail attractif, bien connecté grâce à la réalisation d’une nouvelle ligne de métro automatique. L’ensemble mobilise environ 5 milliards d’euros de financement public (moitié pour les projets universitaires, moitié pour le métro), sans parler des financements privés (logements, entreprises). Le but de Paris-Saclay n’est pas de devenir gros et de grimper dans le classement de Shanghai ! Il est d’inventer de nouvelles manières de créer la connaissance et de susciter l’innovation. Le mot-clé est : innovation ouverte. La performance est collective. Le modèle des grandes entreprises dominantes, retranchées dans leur superbe, et celui des grandes écoles, maniaques de la sélection, doit se renouveler. C’est le paradoxe et le défi de Saclay : comment inventer ce nouveau modèle, dans un site et avec des acteurs souvent considérés comme exemplaires du modèle traditionnel ? Mais avons-nous un autre choix ? Et, vu du terrain, il y a tout lieu d’être optimiste. La vitesse du changement est impressionnante.