Michel Derdevet
Président de Confrontations Europe
La crise du Covid-19 fait naître des inquiétudes quant à l’approvisionnement électrique cet hiver alors que plusieurs pays européens sont confinés. Comment faire face à une possible surchauffe du réseau électrique européen ? Michel Derdevet co-signe une tribune dans les Echos appelant à un renforcement du maillage des interconnexions électriques au niveau européen.
L’économie européenne n’aurait jamais pu atteindre son niveau de développement actuel sans le tissu de réseaux électriques interconnectés qui constituent à la fois sa caractéristique et sa force.
Depuis plus d’un siècle, l’Europe a mis l’accent sur l’importance des interconnexions énergétiques nationales, mais aussi internationales, sous l’impulsion d’hommes politiques et d’ingénieurs français. Bien avant la signature en mars 1957 du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), les électriciens européens avaient déjà constitué l’Union pour la coordination de la production et du transport de l’électricité (UCPTE), qui fut en quelque sorte la première Communauté européenne.
50 interconnexions transnationales
Au début des années 1950, ce maillage fort d’une cinquantaine de connexions transnationales permettait déjà d’échanger 2 % de l’électricité totale consommée en Europe. Aujourd’hui, les échanges d’électricité en Europe représentent 450 térawatt-heure (TWh) annuel provenant de 43 gestionnaires de réseau de transport à travers 420 interconnexions. Et les 50 interconnexions entre la France et nos voisins européens, quant à elles, ont été utilisées l’an dernier à 25 % à l’import et 75 % à l’export.
En 2020, ce maillage est stratégique et vital. C’est un instrument d’échanges et de solidarités majeur entre les États, qui fonctionne de manière continue et permet d’ajuster en temps réel les équilibres offre-demande nationaux. Dans le contexte de transition des mix énergétiques de production, ainsi que des perspectives d’un continent décarboné ouvertes par le Pacte vert européen, les interconnexions électriques sont plus que jamais les piliers du marché intérieur de l’énergie.
Inquiétudes liées au Covid
Dans les semaines et mois à venir, le confinement de plusieurs pays européens, lié à la crise du Covid-19, fait naître des inquiétudes sur l’équilibre offre-demande et la possible surchauffe du réseau européen durant l’hiver 2020-2021.
La part croissante des énergies renouvelables dans le mix de production électrique européen suscite des interrogations quant aux nouvelles complémentarités, entre États membres ou entre modes de production, qui en naîtront.
Face à ces enjeux, la résilience du réseau électrique européen passe aussi par des investissements à long terme. En ce sens, les scénarii publiés par l’Association européenne des gestionnaires de transport (ENTSOE) sont des outils cruciaux pour anticiper l’avenir des interconnexions électriques en Europe, et les besoins en la matière. Dans le cadre d’une deuxième édition du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) pour la période 2021-2027, il serait judicieux de concevoir le volet énergie en cohérence avec ces scenarii.
Encourager les fonds privés
Etant donné l’ampleur des sommes nécessaires, les fonds privés doivent également, sans tabou, être encouragés. Des mégaprojets comme l’interconnexion France/Grande-Bretagne, dont le coût est estimé à 1,4 milliards d’euros, peuvent désormais être intégralement financés par des fonds privés. Ce qui constitue une avancée positive, dans la mesure où cette option allège d’autant la facture des consommateurs européens. Pour autant, les réseaux d’énergie représentant des infrastructures relevant de la souveraineté, il apparaît important de jouer la carte de la complémentarité entre puissance publique et initiative privée dans le montage des projets industriels et dans leur exploitation.
Il est grand temps de reconnaître l’importance de la coopération européenne en matière d’infrastructures énergétiques, afin de faire face aux défis contemporains pour accélérer la transition électrique et renforcer la sécurité de l’approvisionnement électrique. Les interconnexions sont, plus que jamais, les véritables piliers de l’autonomie stratégique européenne et de la résilience de notre économie commune.
Les signataires : Philippe Bolo, député (MoDem) de Maine-et-Loire ; Christophe Grudler, député européen (Renew Europe) ; Jean-Louis Bal, président du syndicat des Energies renouvelables ; Michel Derdevet, président de Confrontations Europe ; Aymeric Bourdin, directeur de l’Institut des Transitions.