Aymeril HOANG
Directeur de l’innovation, Société Générale
Poursuivant nos travaux « à la recherche de l’intérêt général européen », Confrontations Europe cherche à identifier les intérêts stratégiques à promouvoir et défendre en Europe. Rencontre avec Aymeril Hoang, directeur de l’Innovation, à la Société Générale.
Numérique : l’enjeu des données
Rien n’échappe aujourd’hui au numérique. Comment faire jouer à la puissance publique le rôle de régulateur d’une nouvelle ère ? Que peut apporter l’échelon européen ?
Aymeril Hoang : Dans un monde reposant sur le paradigme de croissance économique, la question de la contribution de la puissance publique au privé se pose. Or la réalité opérationnelle d’une entreprise est souvent tout autre : elle avance activement sur ses projets sans nécessairement penser à chercher un soutien public, sauf si elle rencontre des difficultés économiques.
A mon sens, il faudrait plutôt partir des besoins d’intérêt général. La puissance publique devrait se demander ce que signifie être européen aujourd’hui : est-ce œuvrer pour un accueil décent des migrants, réduire les inégalités sociales, lutter contre le gaspillage alimentaire, mieux éduquer nos enfants…? La puissance publique proposerait ainsi des pistes aux acteurs privés eux-mêmes pourvoyeurs d’idées. Pôle Emploi a déjà amélioré l’accompagnement des personnes en recherche d’emploi avec Bayes Impact ou Bob Emploi. L’innovation privée permet de résoudre des grands enjeux d’intérêt général. Ce « solutionnisme » – très prégnant dans la Silicon Valley et parfois critiqué – imprègne les actions des pouvoirs publics américains. Aujourd’hui, l’administration publique peut sembler trop intrusive en matière économique, en ciblant son action directement sur ce qu’elle croit correspondre à des besoins économiques privés, alors qu’il n’en est rien. L’action du Programme des investissements d’avenir en matière de cloud public avec les échecs commerciaux de Numergy et Cloudwatt, en est un bon exemple.
Vous dites que certains chantiers clés devraient malgré tout faire l’objet de l’attention des pouvoirs publics européens ou nationaux. Lesquels ?
A.H. : Le premier champ porte sur la question des compétences. Il y a des personnes très qualifiées en Europe, mais beaucoup ne sont pas européennes. Savoir attirer et conserver ces talents en Europe devrait faire l’objet de toute l’attention de nos pouvoirs publics. Cela rejoint un deuxième sujet : celui de l’émergence de centres d’innovation de rayonnement international en Europe, comme l’initiative French Tech le visait. Nous avons tout intérêt à avoir – au plus près de nos entreprises – des communautés rassemblant des personnes de haut niveau sur un plan académique et créatif. Nous en manquons encore aujourd’hui. Je salue la création de la Station F à Paris qui sera sûrement un lieu d’innovation pour la France et pour l’Europe, pour peu qu’elle réussisse à attirer des talents européens mais aussi africains ou asiatiques.
Dans un autre registre, je pense que nous gagnerions beaucoup à mettre en place un Small Business Act européen en place pour favoriser l’accès de nos start-up innovantes aux grands défis ou marchés publics encore trop souvent remportés par les grands groupes. Enfin, il faut absolument continuer à financer la recherche fondamentale en Europe, en particulier sur le numérique.
Si vous aviez une priorité d’action à définir pour les mois à venir, laquelle serait-elle ?
A.H. : Je suis préoccupé par l’open data et la question de l’accès aux données publiques ou anonymes. Le numérique est une course au développement d’algorithmes et d’interfaces toujours plus sophistiqués, grâce aux données utilisées, et ce pour répondre aux requêtes de plus en plus complexes des utilisateurs. À l’ère du machine learning, la question centrale va être : quel est le terrain de jeu équitable permettant à différentes entreprises et organisations de développer de nouveaux algorithmes ?
Beaucoup d’acteurs collectent et stockent des quantités énormes de données : ils peuvent le faire en interne, en collaboration avec des start-up, ou de très grands partenaires. Ce choix soulève en premier lieu des enjeux de propriété industrielle et de souveraineté. Travailler avec de très grands partenaires extra-européens dont les centres de recherche et de décisions sont lointains, c’est prendre le risque pour une entreprise européenne de prendre du retard dans la maîtrise du développement d’algorithmes pointus.
Il faut aussi se demander s’il est pertinent que les acteurs économiques soient les seuls à avoir accès à des données qu’ils ont collectées mais qu’ils n’ont pas créées eux-mêmes. Une entreprise peut légitimement tirer profit de son expertise ou de son savoir-faire en termes d’interface, mais elle devrait faire en sorte que les données collectées, une fois rendues totalement anonymes, puissent appartenir à tout le monde. Nous avons, à mon sens, tout intérêt à promouvoir collectivement la règle de l’open data des données publiques et des données anonymes. Il faut permettre à tout acteur capable de développer des algorithmes innovants d’accéder aux données. Les instances de régulation pourraient ainsi se pencher d’avantage sur les enjeux concurrentiels liés à l’accès aux données et la maîtrise des algorithmes.
Propos recueillis par Carole ULMER, directrice des études à Confrontations Europe