Par Monique Pariat, Directrice générale de la migration et des affaires intérieures – Commission européenne – LA REVUE #137.
Les questions liées à la migration ont été au cœur des événements majeurs qui ont ébranlé l’Europe – et le monde – ces dix dernières années (conflit en Syrie, terrorisme, Brexit, pandémie, guerre en Ukraine), et il est fort probable qu’elles le resteront encore dans les années à venir.
Jusqu’à récemment, seuls les États membres au sud de l’Union étaient en première ligne pour gérer les arrivées de flux migratoires. Les tentatives d’instrumentalisation des migrants par la Biélorussie depuis 2021 et l’arrivée de quatre millions d’Ukrainiens, fuyant la guerre d’agression lancée par la Russie en février 2022, ont rebattu les cartes et diversifié la géographie des routes et des flux migratoires vers l’Union. La migration est un sujet complexe qui appelle des réponses courageuses et circonstanciées. La nouvelle Commission devra évoluer dans un contexte politique, économique, énergétique, climatique, sécuritaire et international fragile, et composer avec un nouveau Parlement européen dont les équilibres pourraient être modifiés en profondeur.
Ces dernières années ont montré à quel point réunir l’ensemble des États membres et du Parlement européen autour d’un projet commun s’est avéré être un exercice politiquement sensible et laborieux, néanmoins essentiel, si l’on veut maintenir cet acquis fondamental et chéri des citoyens européens qu’est l’espace Schengen.
La prochaine Commission héritera de l’issue des négociations relatives au Pacte sur la migration et l’asile, proposé par la Commission actuelle en septembre 2020. Le 8 juin dernier, le Conseil a adopté son orientation générale sur le règlement concernant les procédures d’asile et le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration. Cet accord constitue une avancée majeure en vue de l’adoption par les co législateurs, avant la fin de la législature actuelle, de l’ensemble des propositions actuellement sur la table. Les co législateurs se sont engagés à finaliser leurs négociations avant la fin du mandat du Parlement actuel, en avril 2024.
Si ces engagements sont tenus, l’adoption du Pacte permettra la mise en œuvre d’une réelle politique commune de renforcement des contrôles aux frontières et d’enregistrement des arrivées irrégulières, une gestion plus rapide et efficace des demandes d’asile et de mise en œuvre des décisions de retour, dans le cadre notamment d’une procédure à la frontière, et la mise en place d’un mécanisme de solidarité prévisible et pérenne.
La première tâche à laquelle la prochaine Commission européenne devra s’atteler sera donc la mise en œuvre de ces nouvelles règles, qui seront d’application deux ans après l’entrée en vigueur du Pacte. Elle devra mobiliser tous les outils à sa disposition, notamment en matière de respect du droit de l’Union et de financement, pour assurer que les aménagements nécessaires soient entrepris. En outre, des clauses de révision ont également été prévues par les co législateurs pour procéder, le cas échéant, à d’éventuels ajustements pendant les premières années de mise en œuvre de ce nouveau cadre. Au-delà du cadre juridique, la Commission devra confirmer et renforcer son rôle d’accompagnement opérationnel des États membres, amorcé ces dernières années, pour gérer les mouvements migratoires dans l’Union et son voisinage. Cela inclut une montée en puissance de ses capacités d’anticipation et d’analyse de ces phénomènes ainsi que de ses capacités de réponse et de gestion des crises. L’identification et l’analyse des tendances géopolitiques, démographiques, économiques et sociales notamment seront déterminantes pour comprendre notre environnement, identifier les tendances et scénario à venir et s’y préparer.
Pour ce faire, la Commission devra continuer à apporter un soutien opérationnel sur mesure (renforcement des capacités, assistance technique, soutien logistique et financier, etc.) et adapté aux différents besoins. C’est dans cette perspective que les agences compétentes (Agence de l’Union européenne pour l’asile et Frontex en particulier) ont été renforcées. Leur rôle sera fondamental pour le succès du Pacte.
Le soutien de l’UE à l’Ukraine restera une des priorités de la nouvelle Commission notamment pour assurer la continuité de la protection offerte aux Ukrainiens ayant fui la guerre au sein de l’Union.
Afin d’être à la hauteur de ces ambitions, la Commission a sollicité des moyens financiers supplémentaires, dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2021-2027, qui sont actuellement examinés par les États membres, auxquels il reviendra d’en décider l’ampleur. La prochaine Commission aura également la lourde tâche de préparer le prochain cadre financier pluriannuel pour la période 2028-2034 qui sera essentielle pour soutenir la mise en œuvre du Pacte sur la migration, s’il est adopté, ou de toutes alternatives. Elle devra notamment assurer une agilité accrue des fonds et une cohérence renforcée des politiques internes et externes en matière de migration.
La migration ne commence en effet pas aux portes de l’Europe. Sa dimension externe est donc un aspect essentiel sur lequel l’Union devra continuer de concentrer ses efforts. Une plus grande anticipation, un contrôle plus efficace et une meilleure gestion des flux dans les pays d’origine et de transit sont essentiels pour réguler les arrivées dans l’Union.
La Commission devra poursuivre une approche plus inclusive et intégrée de la gestion des flux migratoires, dans le cadre de ses partenariats avec son voisinage, l’Afrique et le Moyen-Orient. Cette approche devra être verticale, en remontant les routes migratoires menant vers l’Europe, et se faire dans le cadre d’une coopération « Team Europe » par laquelle l’Union et ses États membres parlent d’une seule voix aux pays tiers partenaires.
Elle devra, en outre, avoir une dimension horizontale, utilisant tous les leviers à disposition, tels que la politique en matière de visa ou de réadmission, mais également des outils relevant de la politique tarifaire ou des investissements économiques.
La migration irrégulière focalise l’attention et occulte les trois millions de premiers titres de séjour délivrés en moyenne chaque année dans l’UE. Le développement de la migration légale fait partie intégrante d’une gestion ordonnée des flux migratoires. La lutte contre la migration irrégulière ne pourra réussir que si des alternatives existent pour ceux qui souhaitent s’expatrier pour des raisons économiques. La migration légale répond à la fois aux attentes des pays partenaires et à celles des États membres qui font face au vieillissement de leur population et à des pénuries de main-d’œuvre. Elle évite enfin des prises de risque inconsidérées qui se terminent trop souvent par des drames intolérables en Méditerranée, tout en alimentant le business lucratif et criminel de passeurs sans scrupule. La mise en œuvre du « Talent Pool » et des partenariats de Talent avec des pays tiers partenaires sont des initiatives prometteuses que la prochaine Commission devrait poursuivre.
Le succès du Pacte dépendra du degré d’ambition qui sera finalement accepté par les co législateurs, de la mise en œuvre qui en sera faite et de l’évolution géopolitique autour de l’Europe. Ce succès sera le garant du maintien de notre acquis en matière de droit d’asile, dont la générosité est un standard unanimement reconnu, mais qui pourrait être remis en question en cas de succès mitigé.
Il est indispensable de rétablir la confiance des citoyens européens en la capacité de leur pays, et de l’Union européenne en général, à gérer une migration contrôlée et à absorber sereinement les chocs. Cela passe par un contrôle renforcé des frontières, une solidarité de fait entre les États membres, un système d’asile généreux avec les personnes qui fuient les conflits et les persécutions, mais rigoureux avec les autres migrants qui arrivent de manière irrégulière, alors que des alternatives légales seront proposées.
Ces évolutions sont indispensables pour changer le narratif sur la migration et battre en brèche les idéologies qui mettent en péril le modèle européen et nos valeurs communes.
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