Comme souvent lors des grands sommets climatiques, l’essentiel des regards se porte en ce moment à Dubaï sur le volet production, comme si la décarbonation de notre planète ne relevait pas, aussi, de nos changements de consommation, de la transition agroclimatique et des réseaux acheminant l’énergie vers les consommateurs.
Or, sur ce dernier volet, plus l’essor des énergies renouvelables décentralisées ira croissant, plus le basculement vers des mobilités électriques se fera rapidement, plus des infrastructures électriques de qualité s’imposeront partout dans le Monde.
Il y a moins d’un mois, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) alertait sur le sujet, en soulignant que l’état des réseaux électriques mondiaux menaçait la transition énergétique, et « pourraient mettre hors de portée l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à +1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle ».
De nombreux projets d’énergies renouvelables sont en attente d’être connectés au réseau, l’équivalent de 1.500 GW de futures capacités au plan mondial, soit cinq fois la capacité d’énergie solaire et éolienne ajoutée dans le monde entier en 2022. Environ 50% de ces projets en attente se trouvent aux Etats-Unis, mais 20% aussi en Europe, suivie du Japon et des autres pays du monde.
Pour éviter ce « goulet d’étranglement », qui risque de contrarier l’ambition climatique mondiale, le défi est de taille : il faut rénover ou ajouter en moins de deux décennies l’équivalent de 80 millions de kilomètres de réseaux électriques dans le monde, ce qui suppose de doubler les investissements annuels dans les réseaux de transport et de distribution d’électricité, pour atteindre plus de 600 milliards de dollars par an d’ici 2030.
En Europe, la manière de relever ce défi dépendra bien sûr des choix effectués dans chaque État Membre – et, de plus en plus, dans chaque région ou collectivité –, mais les solutions trouvées devront s’insérer dans un système électrique mutualisé dont les réseaux forment déjà, sur des millions de kilomètres, l’architecture.
Une responsabilité particulière incombe donc, collectivement, à notre Union : les Européens furent les premiers en février 1951 à faire « communauté » autour de l’Union pour la coordination de la production et du transport de l’électricité (UCPTE), avant même que ne furent signés les Traités autour du charbon et de l’acier (mars 1951), puis de l’énergie atomique (1957).
Pionniers, nous sommes restés ces dernières années aux avant-postes face aux défis technologiques (déploiement de compteurs intelligents, invention de nouveaux modèles énergétiques locaux), sociétaux (réduction de la consommation suite au « choc gazier » de 2022) et économiques (activation de nouveaux circuits de financement et mobilisation de l’épargne), qui structurent la transition énergétique.
Mais si l’on veut réussir d’ici 2030 le doublement de la part de la production issue des renouvelables dans le mix électrique européen, il nous faudra investir pas moins de 584 Md€ dans les réseaux de transport d’électricité … dans un contexte où la précarité énergétique progresse partout. Comment maintenir et développer, dans ce contexte, des réseaux électriques vitaux pour nos économies, sans donner le sentiment d’investissements excessifs et disproportionnés ?
Il nous faudra aussi, et surtout « raisonner commun » ! De ce point de vue, on entend peu aujourd’hui nos décideurs, politiques ou industriels, rappeler l’enjeu majeur constitué par les interconnexions, qui maillent notre continent européen comme nul autre pareil.
Et pourtant, elles permettent grâce aux échanges quotidiens transfrontaliers de sécuriser l’alimentation électrique de nos pays, et d’amortir les aléas climatiques ou de fonctionnement des systèmes électriques nationaux. Leur renforcement aux frontières électriques entre Etats membres doit donc faire partie des priorités politiques d’ici 2030, de même que la digitalisation des réseaux qui devrait faire l’objet de financements européens prioritaires. Enfin, bien sûr, s’agissant de la dimension sécuritaire, tout reste à faire pour que les gestionnaires de réseaux travaillent de manière coordonnée à l’échelle de l’Union face au risque cyber.
Il a fallu attendre l’incident électrique du 4 novembre 2006, survenu en Allemagne, pour que soit pensée la création d’un centre de coordination technique, Coreso, qui permet aujourd’hui d’anticiper les flux électriques de l’Europe de l’Ouest. N’attendons pas un grand « black-out » européen pour faire preuve de propositions et d’imaginations autour de nos infrastructures essentielles. Penser l’Europe de l’énergie, c’est penser l’Energie en réseaux !