Philippe HERZOG
Président fondateur, Confrontations Europe
« Ce petit livre veut contribuer à ranimer la volonté de prendre soin de l’âme européenne et à rendre à nouveau possible un projet politique de vie commune »(2). Des mots qui résument parfaitement le projet qui anime Philippe Herzog, président fondateur de Confrontations Europe tout au long de son essai et de sa vie.
Responsabilité et solidarité
« Les anciennes générations éprouvent un senti- ment de dépossession des valeurs et de l’utopie, et l’intérêt de beaucoup de jeunes pour la spiritualité, le changement et l’Europe est effectif. Mais ils vivent un décalage criant entre la promesse républicaine et la réalité, et pour eux la vie politique se confond avec la communication. Plutôt que d’appeler à la conservation des valeurs, il faut les réinventer. Liberté ne va pas sans définition d’une responsabilité individuelle envers le collectif et la société. Égalité ne va pas sans responsabilité d’autrui, inclusion des exclus et réduction des tutelles élitistes, et ceci ne se délègue pas à l’État-providence. Liberté et égalité sont englobées par la fraternité qui se prouve dans des solidarités concrètes et doit être conçue au niveau du monde.
On entend de plus en plus les nouvelles musiques de valeurs de responsabilité et de solidarité, mais superficielles elles s’usent vite. Le problème à résoudre est que chacun puisse intérioriser le besoin, le vouloir et le faire.
Comme les autres nations européennes, la France n’est plus qu’une province d’Europe ; elle doit prendre conscience du besoin impératif d’imaginer et définir comment elle va habiter cet espace, ce qui est impossible sans un énorme effort de compréhension et de partage des valeurs et récits d’autrui, qui ne coïncident pas avec les nôtres. »
Cinéma et Europe
« Il est consternant d’observer que le cinéma n’ait rien à dire sur la naissance de la Communauté européenne. De fait les producteurs et les cinéastes ne se sentent pas plus interpellés par l’Europe que les citoyens. Ils ne font pas mieux que les médias. Les alibis ne tiennent pas. Bien sûr l’absence d’un espace public de communication européen qui révélerait une vie démocratique de l’Union est déplorable ; mais des événements multiples ont eu lieu, des succès, des échecs, dont tous les Européens ont entendu parler sans pouvoir y participer. Bien sûr il n’y a pas de langue commune or, comme l’écrit Heidegger, “chaque langue est m’advenant d’un peuple, où se prépare son mode d’appartenance à l’histoire du monde”. Mais il n’est pas interdit de comprendre autrui dans sa langue par l’image, par la traduction, et dans des relations interpersonnelles. »
Créer une démocratie de participation
« Construire l’Europe, c’est inciter les collectivités nationales à se rapprocher et c’est créer une communauté. Voilà la substance d’une démocratie transnationale. Difficile quand règnent l’esprit et la pratique de la délégation des pouvoirs aux dirigeants de l’État-nation tandis que l’incapacité de transformer l’Union en Communauté est visible. »
« Réformer les structures, c’est indispensable pour fonder un nouveau régime de croissance, et les choix ne sont pas séparables des finalités. On ne peut accepter l’impuissance de nos sociétés civiles, des gouvernements nationaux et de l’Union européenne face au chômage massif sans réagir. Ils n’ont rien d’autre à dire que “croissance” ! Permettre à chacun de participer à l’activité selon ses capacités, recréer une cohésion sociale et réhabiliter l’environnement : tels sont les objectifs fondamentaux. Pour cela nous devons réaliser un meilleur puis un plein-emploi des capacités humaines, et changer le mode de productivité par un gigantesque effort d’innovation. »
« Il ne s’agit pas aujourd’hui de créer un État fédéral mais de fédérer des peuples en s’enrichissant de la diversité des nations. C’est pourquoi on ne peut pas camper dans la « gouvernance » actuelle de l’Union. Elle repose sur des règles et des objectifs qui sont voulus communs mais qu’il faudrait savoir différencier, vu les énormes écarts de développement et les dissemblances culturelles. Et si les Allemands croient à ces règles, pour les Français il n’est pas important de les respecter. Elles sont loin d’être transposées par les États même quand elles sont bonnes. Les objectifs (ou soft law) peuvent être contradictoires et la coordination centrale entre États et bureaucratie n’est qu’un lieu de faible responsabilité politique. Gouvernance signifie mode de gouvernement, or elle tient lieu de gouvernement ! »
1. Identité et valeurs : quel combat ? Imaginaire d’une renaissance culturelle, collection « L’Europe après l’Europe », Éditions Le Manuscrit, Paris, 2015.
2. Page 84.