MONTÉE DU POPULISME : LES ÉTATS-UNIS ET L’EUROPE FACE À DES DÉFIS COMMUNS

Par Christian Pierret, Ancien Ministre de l’Industrie et Président des Alumni des International Visitors des États-Unis

Dans une interview exclusive accordée à Confrontations Europe, Christian Pierret, ancien Ministre de l’Industrie et Président des Alumni des International Visitors des États-Unis, nous livre quelques remarques sur les récentes élections américaines, le retour de Donald Trump au pouvoir. Nous l’avons aussi questionné sur les conséquences potentielles de ces scrutins pour l’Union européenne.

Christian Pierret : L’écart entre les candidats lors de cette élection est très marqué : entre 4,5 et 5 millions de voix séparent le vainqueur de Kamala Harris. Ce résultat inattendu, même par D. Trump, qui s’était préparé à contester les résultats dans les Swing States, reflète un mouvement profond dans l’électorat américain. Ajoutés à une participation électorale forte, phénomène nouveau aux États-Unis, ces deux mouvements de l’électorat confirment une polarisation croissante entre le camp Démocrate et celui des Républicains dont l’empreinte a été la vivacité, et parfois la violence grossière, des protagonistes. Les premières graines de ce populisme débridé avaient été semées par le Président sortant D. Trump, qui avait osé appeler à la sédition de ses partisans alors que J. Biden venait d’être
élu, en attaquant le symbole historique de la Démocratie américaine : Le Capitole. Si, en Kamala Harris, le ton de la Procureure de Californie a conservé sa dignité, Donald Trump a le plus souvent versé dans le populisme démagogique qui caractérise, – non seulement aux États Unis, mais dans de nombreuses démocraties occidentales – l’attrait des électeurs de « base » pour les punchlines qui se sont révélées plus pertinentes et plus adaptées à l’électorat profond.

Ici aussi, c’est le niveau d’études des électeurs qui explique largement leur choix (63% des électeurs de Donald Trump n’ont pas fait d’études supérieures). À cette explication décisive du résultat final, s’ajoute une surprenante évolution du vote des Latinos et des Afro-Américains en défaveur des Démocrates.

Les tensions sociales liées au racisme, influencent de plus en plus les résultats électoraux. De même, plusieurs évènements dont la portée à la fois tragique et symbolique est considérable, (je pense au meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier blanc) ont poussé beaucoup de commentateurs à évoquer « une guerre civile latente » au sein de la nation américaine. Si le débat sur l’immigration est plus complexe aux États Unis, pays qui s’est constitué par des afflux migratoires successifs, ce débat a pris une grande part dans la victoire de D. Trump, qui n’a pas été avare de solutions simplistes et radicales, telle la construction d’un mur pour se protéger de l’immigration mexicaine perçue comme une menace pour la sécurité des Américains et, pas seulement, comme une concurrence sur le terrain de l’emploi.

Par ailleurs, l’économie américaine fait face à de nombreux défis. Bien que l’inflation ait diminué sous le mandat de Biden, elle reste néanmoins élevée. La concurrence de la Chine, devenue la principale manufacture de produits industriels dans le monde, a engendré un déficit commercial abyssal qui, avec le déficit budgétaire fédéral et l’endettement des ménages, font des États-Unis le pays des déficits. Cela n’est possible que parce que le Dollar est la monnaie de réserve mondiale. C’est ce qui a permis au Président démocrate Joe Biden de promouvoir un programme de relance économique gigantesque, que jamais l’Europe ne se serait autorisée pour elle-même, de presque 2 000 milliards de dollars (Inflation Reduction Act , Chips Act, auxquels s’ajoute le Programme général de Relance). Cette politique économique n’a pas été perçue par l’électeur américain moyen comme la marque d’une attention à ses problèmes quotidiens ; en particulier le thème de l’égalité par l’intervention économique et le redéploiement du programme Medicare n’ont pas eu un effet électoral suffisant. Il en est de même des thèmes sociaux progressistes comme l’égalité des genres et le droit à l’avortement qui n’ont été retenus comme déterminant leur vote que par 14% des électeurs. C’est dire que la campagne de K. Harris avec les valeurs classiques de la gauche américaine n’a pas produit le résultat escompté. Enfin, la polarisation politique aux États-Unis s’est renforcée, créant des divisions entre Républicains et Démocrates.

Christian Pierret : La perte de prééminence des Démocrates dans plusieurs États clés, notamment ceux de la « Rust Belt », résulte de facteurs économiques profonds. Les ouvriers, particulièrement touchés par le déclassement social, lié à la fonte très rapide de l’ancienne industrie manufacturière américaine, l’automobile à moteur thermique par exemple, nourrissent une inquiétude croissante face à la rapide transformation de l’économie, en particulier la Tech, l’Intelligence Artificielle Générative (IAG) et les technologies liées à la lutte contre le réchauffement climatique, qui bouleverse le paysage social, en même temps qu’elle redistribue les cartes économiques à l’intérieur du pays comme entre les États-Unis et la Chine. En effet des études de l’OCDE montrent que, jusqu’à 30 à 40 % des emplois actuels pourraient disparaître dans les pays industrialisés, une réorganisation économique qui ne pourrait être compensée par de nouveaux emplois en nombre équivalent. Ces transformations économiques, souvent perçues comme des menaces plutôt que des opportunités, contribuent à l’instabilité ressentie par ces travailleurs et affectent leur relation avec le Parti démocrate, qui semble désormais moins en phase avec leurs préoccupions. Les grandes métropoles sont les sites géographiques où se trouve la plus grande partie des personnes les plus éduquées, elles restent acquises en grande partie aux Démocrates.

Ce phénomène n’est pas limité aux États-Unis, il se reflète également en Europe, où le populisme progresse, notamment à travers l’extrême droite en Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Suède et Italie. Le Brexit en est un exemple, alimenté par des manipulations médiatiques. Dans les démocraties européennes, une avancée sociétale se dessine, portée par des minorités comme la communauté LGBT+ qui influencent la vie publique et politique. Cela met en lumière les enjeux de diversité et d’altérité, encore perçus négativement et générant de vives tensions, tant au sein de la société européenne qu’américaine.

En Europe, le rejet de l’immigration et des minorités reste sensible, même si les enjeux sont moins marqués numériquement qu’ils ne le sont aux États-Unis. Le défi principal est de reconnaître la diversité comme une valeur positive, sans que les minorités ne dominent les débats sur les valeurs sociales et politiques, ce qui renforce les divisions internes.

Christian Pierret : La polarisation s’est déjà produite en Europe autour des fractures politiques et sociales, ressenties tout particulièrement au sujet de l’immigration. Les pays européens, confrontés à un vieillissement démographique, ont pourtant besoin de l’immigration pour soutenir la croissance économique et répondre aux besoins de main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée. Dans certains États membres, la question démographique, mal connue de l’opinion publique, est une réalité qui va s’imposer de plus en plus. Par exemple, la population italienne est la plus vieille du monde après celle du Japon. Autre illustration, en France, l’Insee estime qu’un million d’immigrés supplémentaires seront nécessaires d’ici 2030 pour alimenter les besoins prévisibles de l’économie. Cependant, l’immigration est souvent perçue négativement, alimentant le populisme, alors qu’elle se révèle de plus en plus essentielle, car les besoins en qualification sont de plus en plus élevés pour toutes les innovations de rupture. La bataille économique mondiale se joue dans le prochain quart de siècle essentiellement sur la capacité d’innover et de rompre avec les anciens paradigmes scientifiques et techniques, notamment dans les secteurs technologiques. C’est le cas depuis longtemps aux États-Unis, qui ont tiré une grande part de leur puissance technologique de l’afflux d’étrangers très qualifiés, notamment français et chinois, dans la Silicon Valley.

Christian Pierret : Les États-Unis se tournent de plus en plus vers l’Asie, ce qui n’est pas une conséquence directe de la victoire de Donald Trump, mais plutôt une tendance amorcée sous la présidence de Barack Obama. Ce dernier a clairement affirmé que l’avenir des États-Unis résidait dans une transformation des rapports économiques entre la nation américaine et l’Asie-Pacifique. Pour lui, ce sont ces grands ensembles et, non pas l’Europe, les moteurs économiques mondiaux de demain.

Si les États-Unis n’ont pas abandonné le lien transatlantique, l’Union Européenne doit être plus vigilante que jamais pour s’intercaler entre Amérique et Asie afin de peser sur des enjeux économiques et industriels mondiaux comme la santé, la tech et les nouveaux défis géopolitiques et militaires. Cette stratégie européenne a des chances de prospérer si l’UE ne se contente plus d’être le second des États-Unis et qu’elle construit suffisamment son unité politique et stratégique, en faisant de l’euro une monnaie de réserve mondiale compétitive. Une approche collaborative entre les États-Unis, l’Europe et l’Asie pourrait finalement s’imposer et se substituer au duopole sino- américain, alors même que celui-ci va affronter une autre super puissance, l’Inde qui dispose de capacités écrasantes dans le domaine de la Tech et d’autres nouvelles technologies avec de surcroît la maîtrise totale de la langue anglaise.

Ce combat qui touche aux enjeux géopolitiques et économiques mondiaux, est avant tout culturel. D. Trump incarne une vision régressive de la culture occidentale, où la force et l’isolationnisme sont perçus comme des signes de grandeur.

Par ailleurs, la « philosophie du deal commercial » (sic) qui se substitue, comme un coup de force, aux multiples rebonds à la diplomatie des accords d’échanges internationaux, devient le nouveau logiciel de la vie mondiale.

C’est le sens du fameux MAGA (Make America Great Again). Cette approche, opposant puissance et coopération internationale, est insoutenable à long terme. Il est crucial de dépasser ces contradictions pour adopter une approche plus équilibrée et durable.

Aux États-Unis et en Europe, le populisme freine les progrès civilisationnels, où l’économie prime sur les valeurs humaines. L’enjeu majeur est de promouvoir un humanisme moderne, centré sur le développement des peuples, la réduction des inégalités, et la promotion de la diversité. La question du climat reste également cruciale. Le renouveau culturel et politique occidental nécessite une révision de nos priorités pour ouvrir la voie à un monde plus inclusif et durable.

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