Auteur : Clotilde Warin
Clotilde Warin, en charge des questions de migrations à Confrontations Europe et rédactrice en chef de la Revue
L’intitulé du vaste portefeuille du nouveau Commissaire aux Migrations (qui aura aussi la charge de l’éducation, l’intégration, la culture, l’emploi et la santé) – « Protéger notre mode de vie européen » – a semé le trouble et prouvé les fortes tensions qui se nouent dans l’UE autour d’une question sur laquelle la Commission Juncker n’a pas réussi à avancer.
Trois ans de blocage… Cela fait trois ans que le Conseil de l’Union européenne ne parvient pas à trouver un accord sur le « Paquet Asile », un ensemble de sept mesures destinées à gérer au mieux à l’échelle européenne les questions migratoires. Preuve des fortes tensions qui perdurent entre États membres sur ce dossier : le dernier Conseil de l’UE de la Commission Juncker qui s’est tenu au printemps 2019, avant les élections européennes, n’a même pas porté les enjeux de l’asile à l’agenda. Bruxelles a alors officiellement abandonné son objectif de réformer le système d’asile européen.
En réalité, cinq des sept propositions du Paquet Asile seraient en passe d’être adoptées par les ministres des États membres mais deux points cristallisent toutes les tensions : en premier lieu, la révision du Règlement de Dublin qui, pour le moment, en laissant aux pays de première entrée de l’UE le soin d’enregistrer et d’examiner les dossiers des demandeurs d’asile, fait peser sur une poignée de pays (l’Italie, la Grèce, l’Espagne) la gestion des arrivées. Deuxième point de friction : l’enjeu des procédures d’asile. Cette proposition a pour but de réduire les divergences des taux de reconnaissance, c’est-à-dire la part de décisions positives au regard du nombre total de décisions(1), entre États membres.
Les cinq autres propositions du Paquet suscitent moins de tensions, qu’il s’agisse de l’harmonisation des conditions d’accueil dans l’ensemble de l’UE ou de celle des normes de protection au sein de l’UE. Le troisième point qui porte sur l’établissement d’une véritable Agence de l’Union européenne pour l’Asile est aussi très avancé. De fait, le Bureau d’appui en matière d’asile – EASO – de Malte fournit déjà une assistance opérationnelle et technique aux États membres. Enfin, des compromis sont sans doute sur le point d’être trouvés sur la proposition qui vise à renforcer la base de données d’empreintes digitales, Eurodac, même si certains points restent délicats tels l’accès des services répressifs à cette base de données ou la question de l’enregistrement des mineurs. Enfin, le cadre pour la réinstallation de réfugiés est sans doute le plus abouti.
Mais, la réforme du Règlement de Dublin reste dans l’impasse. Le mécanisme de solidarité que réclament, à raison, les pays méditerranéens est systématiquement refusé par les pays de Visegrad dans un contexte particulier étant donné que Dublin n’est pas à proprement parler un outil de répartition et que sa révision appelle une totale refonte du système. Une forme de consensus au sein du Conseil de l’UE semble se dessiner comprenant un soutien financier aux États membres exposés à des gestions d’arrivées et ceux participant aux efforts de solidarité, notamment en mettant à contribution les agences de l’UE, en particulier du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) de Malte. Le récent pré-Accord de Malte du 23 septembre(2) tend à poser les bases d’une répartition des nouveaux arrivants entre États membres. Mais pour l’instant seuls 4 pays européens ont signé l’accord. Or, il en faudrait sans doute entre sept et treize pour que ce mécanisme se mette en place de façon efficace. Et certains pays de l’UE, qui ne sont pas parmi les plus réfractaires à l’accueil des migrants, ne tiennent à participer à un tel processus que si l’ensemble des pays de l’UE s’y engagent… Quant à la question des procédures d’asile, il conviendrait notamment aussi que l’ensemble des États de l’UE s’accorde sur une liste commune des pays tiers sûrs, liste qui n’a pas encore vu le jour depuis trois ans…
Pour débloquer le « Paquet Asile », l’une des pistes serait sans doute de le délier, d’accepter de le voter par proposition et non en bloc. Une chose est sûre, personne ne veut se débarrasser de Dublin, mais les enjeux de souveraineté et de contrôle des frontières crispent fortement les esprits. Et, sur cet enjeu si sensible, l’intitulé du poste de Commissaire en charge des migrations « Protéger notre mode de vie européen »(3) était mal venu tant les mots ont un poids dès qu’il est question des migrations. Le Commissaire Margaritis Schinas vient de passer haut la main son oral au Parlement européen en rappelant qu’« être européen, c’est être ouvert au monde, ouvrir son cœur et son foyer à ceux qui ont moins de chance ». Des mots porteurs d’espoir dans un débat autour de la migration qui en compte peu.
1) Qu’il s’agisse de l’obtention du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire.
2) Lire ci-après l’article de Michaël Neuman.
3) Cet intitulé est susceptible d’être modifié à l’issue de son audition au Parlement européen.