Clotilde WARIN
Rédactrice en chef, Confrontations Europe
Pour une réponse européenne à la question des réfugiés : la conférence que Confrontations Europe a organisée en partenariat avec le Ceri Sciences Po et qui s’est tenue le 15 juin dernier à Paris, a permis de revenir sur les mesures mises en œuvre par l’Union européenne pour répondre à l’enjeu migratoire, de les questionner et de tenter de déterminer les priorités des mois et années à venir.
Crise des réfugiés ou crise des migrants ? L’intitulé même de la conférence a d’emblée, et légitimement, soulevé des questions tant les termes choisis pour évoquer les enjeux migratoires, créent souvent des polémiques. La réalité des chiffres ne peut être niée, même si, là encore, ils font souvent l’objet d’instrumentalisations. L’Union européenne a bel et bien été le théâtre d’un afflux de réfugiés ces dernières années : en 2015, plus de 1,25 million de personnes ont déposé des demandes d’asile dans les États membres. Ils étaient 1,2 million en 2016, selon les données d’Eurostat(1). Et, comme l’a souligné Catherine Wihtol de Wenden, politiste, spécialiste des migrations, au-delà de ces chiffres qui ne sont pas appelés à fléchir, tant la crise migratoire est devenue structurelle, l’on fait surtout face aujourd’hui à une « crise de l’intégration, de l’incorporation des migrants ».
Pour répondre à la crise migratoire, l’Europe n’est pas restée inerte. Elle a choisi d’agir par de multiples actions mais en privilégiant un axe : la sécurité – contrôler les frontières extérieures de l’UE et réduire le nombre de demandeurs d’asile arrivant en Europe. Laurent Muschel, directeur Migration de la DG HOME de la Commission européenne a, avec justesse, rappelé les démarches menées par l’Union : la signature d’un accord UE/Turquie, au printemps 2016, ayant permis de faire baisser en 2016 de 79 % par rapport à l’année précédente les arrivées de la Turquie vers la Grèce ; le renforcement des contrôles aux frontières grâce notamment à la mise en place de 1 500 gardes-frontières européens sous l’égide de l’agence Frontex(2) ; le rétablissement de contrôles au sein de l’espace Schengen pour faire face au risque terroriste ; le renforcement des politiques de retour par la négociation d’accords avec les États à la source des flux migratoires… « Il nous reste à faire les mêmes avancées sur le plan de la solidarité », a néanmoins conclu Laurent Muschel. Catherine Wihtol de Wenden a été plus directe en déplorant que « face aux flux migratoires, l’option sécuritaire semble encore rester la norme en Europe ».
46 millions d’euros pour la Libye
De fait, la démarche européenne a soulevé bien des critiques. Certes le nombre de migrants passant par la Grèce s’est tari après la signature de l’accord UE/Turquie du printemps 2016. Mais d’autres routes se sont immédiatement ouvertes : en mer noire mais surtout en Méditerranée centrale, depuis la Libye. Mise sous pression par l’Italie, qui s’est retrouvée assez seule pour gérer l’afflux de migrants, l’Union européenne s’appuie sur un pays instable, sans gouvernement, la Libye, pour faire baisser le nombre d’arrivées de migrants en Europe. Plus de 90 millions d’euros ont été votés, au mois d’avril, pour aider la Libye, à gérer les problèmes migratoires. Fin juillet, 46 millions d’euros ont été débloqués pour la formation de garde-côtes libyens, dont les exactions à l’encontre des migrants et des humanitaires des bateaux de secours sont régulièrement documentées. « Des passeurs, mais aussi des membres du département de lutte contre l’immigration illégale et les garde-côtes sont directement impliqués dans de graves violations des Droits de l’Homme (à l’encontre des migrants) », peut-on lire dans ce rapport des Nations Unies rendu public en juin dernier(3). Le rapport révèle que la Cour pénale internationale entend lancer une enquête pour poursuivre la Libye pour « crimes à l’encontre des migrants ». L’Italie est même soupçonnée d’avoir contracté des accords avec des milices, proches des réseaux mafieux(4).
Pressée par l’Italie, l’Union européenne a aussi signé, début juillet, avec les ONG un « Code de conduite » controversé censé tarir l’« effet d’appel », créé, selon la Commission européenne, par les ONG qui portent secours aux bateaux de migrants. À la Commission, on se félicite qu’aucun mort n’ait été à déplorer en Méditerranée au cours du mois d’août et que le flux d’arrivées des migrants ait baissé. Certes, en août, seules 3 000 traversées ont été enregistrées par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), alors qu’on en dénombrait à la même période 21 000 en 2016. Mais entre 300 000 et 1 million de migrants seraient présents en Libye. Seuls 7 000 d’entre eux se retrouvent cantonnés dans des centres de détention officiels dans des conditions terribles. C’est donc sans compter les migrants, dont il est impossible d’évaluer le nombre, retenus dans des centres de détention illégaux(5).
« Je regrette que persiste en Europe une forme d’illusion qui laisserait croire que les migrants arrivant sur le continent pourraient être seulement ceux qu’on est allé chercher. Il faut le plus possible protéger ces personnes avant qu’elles aient à prendre la route », a rappelé, à la conférence, Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA (Office français de Protection des réfugiés et des Apatrides). José Carreira, directeur exécutif du bureau européen de soutien à l’asile (EASO) s’est voulu, quant à lui, optimiste en rappelant la création prochaine d’une véritable Agence européenne pour l’asile. La question de la réforme de l’asile est en effet un enjeu central dans cette crise qui met en péril les valeurs européennes d’humanisme et de protection. Pascal Brice a d’ailleurs conclu : « Je m’inquiète du fait qu’on tente d’harmoniser le droit d’asile en installant tellement de verrous à l’accès à la demande d’asile qu’on arriverait à une Europe de l’asile sans demandeurs d’asile ».
- Sortir d’une logique de répartition des flux migratoires fondée sur des quotas imposés. Le plan de relocalisation des demandeurs d’asile, qui s’est échelonné sur deux ans, s’est soldé par un échec puisqu’il n’a permis de répartir que 28 % du quota prévu.2. Mutualiser au niveau européen la prise en charge de la question migratoire. Pourrait être créé un fonds européen d’aide à l’insertion et à la formation des réfugiés accompagnant les efforts des États membres qui les accueillent.
- Mutualiser au niveau européen la prise en charge de la question migratoire. Pourrait être créé un fonds européen d’aide à l’insertion et à la formation des réfugiés accompagnant les efforts des États membres qui les accueillent.
- Réviser les accords de Dublin afin de mieux répartir les examens des demandes d’asile qui incombent jusqu’à maintenant, au pays de première entrée, c’est-à-dire aux États situés aux frontières extérieures de l’Europe.
- Avancer vers plus de convergence des réglementations nationales des 27 États membres dans le domaine du droit d’asile. L’Agence européenne pour l’Asile, qui doit succéder au Bureau européen pour l’Asile (EASO), devrait assurer un soutien humain et financier aux États membres dans l’examen des demandes d’asile.
- Renforcer l’efficacité des politiques de retour qui, pour le moment, ne fonctionnent pas, sans omettre de prendre en compte les impératifs liés aux droits humains (difficiles de cautionner le renvoi dans leur pays d’origine, légitimé parfois des programmes de « volontariat » des candidats à l’asile qui risquent peine de prison, torture, voire mort à leur retour).
La Suède a été, dans l’UE, le pays qui a accueilli le plus grand nombre de demandes d’asile par habitant en Europe. « Confronté à un fort afflux de réfugiés, un “Programme d’introduction” de deux ans a été mis en place, dès 2010, pour accompagner les réfugiés ayant obtenu leur statut », a rappelé Gisela Waisman, directrice adjointe au département des Affaires économiques du ministère des Finances suédois. Ce programme, financé par l’État, offre une indemnité de départ de 650 euros par mois, propose des cours de suédois, d’instruction civique et des activités de préparation à l’emploi, notamment des apprentissages ou des emplois subventionnés. Le bilan est encore mitigé puisque 90 jours après la fin du « Programme d’introduction », seuls 30 % des réfugiés travaillent ou suivent des cours. Mais le taux d’emploi des réfugiés en Suède est nettement plus élevé que dans les autres pays européens.
L’Allemagne est le pays qui a accepté le plus grand nombre de réfugiés : 900 000 en 2015. « L’Allemagne n’a pas désespérément besoin de réfugiés pour répondre à ses besoins de main-d’œuvre. Si le pays en a accepté en 2015 en si grand nombre, c’était pour des motifs humanitaires », a assuré Rose Langer, chef de département au ministère du Travail et des Affaires sociales allemand, tordant ainsi le cou à bien des préjugés sur son pays. Rose Langer a aussi rappelé que « certes, les réfugiés sont en moyenne plus qualifiés que la population de leur pays d’origine, mais (qu’)un grand nombre d’entre eux ont quitté leur pays sans avoir terminé leurs études ». En Allemagne, comme dans les autres pays d’accueil, la maîtrise de la langue apparaît comme le critère premier d’intégration dans le pays et sur le marché du travail. Les bienfaits de l’arrivée des réfugiés ne sont pas perceptibles au cours des premières années. « Au bout de 7 ans, un bénéfice net commence à être palpable ».
Sans volonté politique, l’intégration des réfugiés est un leurre. Et demeure forcément une entreprise de longue haleine, d’où l’importance de l’investissement de l’État dans son financement et sa mise en œuvre.
1) Office statistique de l’Union européenne.
2) Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, basée à Varsovie.
3) www.statewatch.org/news/2017/jun/un-libya-final-report-res-1973-11-migrant-abuses.pdf, p. 21 (rapport du 1er juin 2017).
4) Cf. l’article du Monde du 15 septembre 2017 qui revient sur les liens entre les Italiens et la milice d’Ahmed Al-Dabbashi.
5) Rapport de la mission des Nations Unies en Libye (rapport du 22 août 2017) : www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2017/726