MIGRATION ET PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE – Inflation et guerre en Ukraine : le retour de la précarité alimentaire en Europe

Par Barbara Mauvilain, Responsable du service des relations institutionnelles – Fédération Française des Banques Alimentaires – LA REVUE #137

D’après la Banque mondiale(1), l’inflation des prix alimentaires reste élevée à travers le monde, plus particulièrement dans des pays à revenu faible et intermédiaire. Mais la Banque mondiale souligne également que plus de 80 % des pays à revenu élevé connaissent une forte inflation alimentaire. Qu’en est-il de la situation en France et en Europe, alors que les crises se succèdent, voire s’additionnent : crise sanitaire, guerre en Ukraine, inflation ? Les remontées de terrain des Banques Alimentaires, acteur majeur de l’aide alimentaire en France et en Europe, indiquent que nila France ni l’Europe ne sont épargnées par une augmentation de la précarité alimentaire.

En France, l’impact de l’inflation alimentaire se traduit par une hausse de 9% du nombre de personnes accueillies à l’aide alimentaire au premier semestre 2023, autant que sur toute l’année 2022. Dans ce contexte, l’aide alimentaire joue un rôle de variable d’ajustement pour des foyers aux budgets de plus en plus contraints, confrontés à la baisse de leur pouvoir d’achat au sens premier du terme.

Les profils des personnes accueillies sont ainsi de plus en plus diversifiés, d’après l’étude publiée en février 2023(2). Parmi ceux-ci, nous trouvons notamment des « travailleurs pauvres », c’est-à-dire des actifs ayant pourtant une situation professionnelle stable mais dont les revenus ne suffisent plus à répondre au besoin essentiel de s’alimenter. Dix-sept pour cent des personnes accueillies ont ainsi un emploi, dont les deux tiers sont même en CDI — chiffre en hausse de quatre points par rapport à 2020.

L’inflation a donc un impact significatif : l’alimentation devient, pour la première fois, le deuxième poste de dépenses après le logement pour les personnes accueillies par les Banques Alimentaires (+14 % de budget par rapport à 2020). Parmi ces nouvelles personnes, un tiers a recours depuis moins de six mois à l’aide alimentaire. Les prix chers dans les commerces, combinés à des événements de la vie (chômage, maladie, divorce, séparation…), constituent l’un des premiers motifs de recours.

La même évolution peut être constatée au niveau européen. L’inflation annuelle de l’UE a atteint son plus haut niveau jamais enregistré, le prix des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées augmentant en moyenne de 11,9% dans l’UE en 2022. Les prix ont continué d’augmenter au premier trimestre 2023(3).

La Fédération Européenne des Banques Alimentaires (FEBA), qui regroupe plus de 300 Banques Alimentaires dans 20 pays européens, accompagne 12,4 millions de personnes précaires. Le rapport publié par la FEBA(4) souligne qu’ « au cours de l’année 2022, le coût de la vie a augmenté très rapidement en Europe, ce qui cause des difficultés, en particulier pour les ménages à faible revenu ou sans, déjà touchés par les répercussions de la pandémie de Covid-19. Mais, sont aussi impactées les personnes dont les salaires soudainement ne suffisent plus pour leurs dépenses quotidiennes ». Près de 80% des Banques Alimentaires interrogées dans les pays européens mentionnent ainsi que des personnes en emploi se sont tournées vers leurs organismes de solidarité, une situation inédite. 

L’inflation alimentaire n’épargne donc pas les pays développés. C’est le cas de l’Allemagne qui a enregistré, sur l’ensemble de l’année 2022, un taux d’inflation de 7,9%, un record historique depuis la création de l’État après la Seconde Guerre mondiale, selon l’institut national de statistiques allemand. « Le taux d’inflation annuel historiquement élevé est principalement dû aux hausses extrêmes des prix des produits énergétiques et alimentaires depuis le début de la guerre en Ukraine », a expliqué la présidente de l’institut Destatis, l’office allemand de la statistique, Ruth Brand(5).

L’impact de la guerre en Ukraine se répercute également à plusieurs niveaux : hausse de l’inflation, qui se traduit par un recours accru à l’aide alimentaire, notamment dans les pays qui accueillent le plus de réfugiés ukrainiens. Ainsi, plus de huit millions de réfugiés ukrainiens sont enregistrés à travers l’Europe selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(6), soit près de 20% de la population du pays. Les réfugiés sont principalement des femmes avec des jeunes enfants, dont 80% ont moins de 14 ans.

Frontalière de l’Ukraine, la Pologne est le pays de l’UE qui compte le plus grand nombre d’Ukrainiens ayant obtenu la protection temporaire, avec 1 563 386 personnes au 20 février 2023, devant l’Allemagne (881 399) et la République tchèque (489 158). L’effort ne pèse pas de la même manière selon la taille des pays. En nombre de réfugiés pour 1 000 habitants, ce sont l’Estonie (50,49 ‰) et la République tchèque (46,58 ‰), suivies de la Pologne (41,52 ‰) qui comptent le plus de réfugiés ukrainiens. Or, ces trois pays sont aussi parmi les plus touchés par l’inflation qui impacte davantage l’est que le sud du continent. 

En France, les Banques Alimentaires en partenariat avec leurs 6 000 associations partenaires participent depuis le début de la guerre à l’accueil des 100 000 réfugiés sur le territoire français, apportant de l’aide alimentaire et des produits d’hygiène ou médicaux. Au niveau européen, la FFBA, au côté de la Fédération Européenne des Banques Alimentaires (FEBA), coordonne une aide d’urgence à apporter aux frontières de l’Ukraine. Il s’agit de répondre aux besoins exprimés par les Banques Alimentaires européennes frontalières, notamment la Pologne, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés, les Banques Alimentaires de Roumanie, Moldavie, République tchèque, Slovaquie et Hongrie ainsi que la Banque Alimentaire de Kiev. Les dons ont été soigneusement sélectionnés pour répondre aux besoins précis des Banques Alimentaires de ces pays : des produits faciles à conserver, à manipuler et à cuisiner (soupes déshydratées, flocons de purée, plats cuisinés, conserves de légumes, compotes en gourde), de produits pour les enfants (lait maternisé, couches) et de produits d’hygiène. L’objectif est de s’assurer de n’envoyer que des produits nécessaires sur place, le stockage étant très contraint. Une vingtaine de camions sont également partis via le réseau des Banques Alimentaires françaises à destination de l’est, notamment depuis la Bretagne et l’Auvergne-Rhône-Alpes. 

Au-delà de cette situation d’urgence, l’enjeu de l’accès à l’alimentation en Europe n’est pas seulement quantitatif mais renvoie aussi à une fragilisation de l’accès à une nourriture de qualité. En 2022, 8,3% des habitants de l’UE n’étaient pas en mesure de s’offrir un repas contenant de la viande, du poisson ou un équivalent végétarien tous les deux jours, selon de nouvelles données d’Eurostat(7). La part de la population totale incapable de s’offrir un repas convenable était la plus élevée dans les pays d’Europe de l’Est, la Roumanie(22,1%) en tête, suivie de la Bulgarie (21,6%) et de la Slovaquie (15,8%). Dans l’Union, 95,3 millions de personnes sont menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit 21,6% de la population de l’UE.

En France, les Banques Alimentaires constatent concrètement l’impact de l’inflation : plus de 90% des personnes interrogées indiquent s’être reportées sur des produits moins chers dans leurs achats du quotidien et attendent de manière importante ou très importante d’avoir accès dans les structures d’aide alimentaire à des fruits et légumes ainsi qu’à de la viande — produits dont le prix est souvent élevé(8).

Si la crise du Covid nous a fait redécouvrir que l’alimentation constituait un bien essentiel, et que la souveraineté alimentaire était un enjeu majeur, la crise inflationniste nous montre que la précarité alimentaire peut être masquée, disparate, mais aussi plus diffuse et généralisée à des catégories de population comme les étudiants ou les travailleurs dits « pauvres ». Un défi collectif à relever tant au niveau français qu’européen.

(1) Le point sur la sécurité alimentaire | L’action de la Banque mondiale pour réagir à la crise alimentaire.

(2) Études Profils 2023 : « Qui sont les personnes accueillies à l’aide alimentaire ? » | Banques Alimentaires (banquealimentaire.org).

(3) De plus en plus de personnes dans l’UE incapables de s’offrir un bon repas – Eurostat (observatoiredeleurope.com).

(4) FEBA-Impact-Report-Final.pdf (eurofoodbank.org).

(5) Just over one-fifth of Germany’s population at risk of poverty or social exclusion – German Federal Statistical Office (destatis.de).

(6) Guerre en Ukraine : quels pays européens accueillent le plus de réfugiés ? | Euronews.

(7) De plus en plus de personnes dans l’UE incapables de s’offrir un bon repas – Eurostat (observatoiredeleurope.com).

(8) Étude Flash – Impact de l’inflation sur les personnes accueillies dans le réseau des Banques Alimentaires.pdf (banquealimentaire.org).

À propos des Banques Alimentaires 

Premier réseau national d’aide alimentaire avec 110 implantations y compris en Outre-mer, les Banques Alimentaires françaises collectent chaque année sur tout le territoire près de 123 000 tonnes de produits, soit 224 millions de repas, auprès de l’industrie agroalimentaire, des agriculteurs, de la grande distribution et du grand public, avec le soutien de l’Union européenne et de l’État. Grâce à plus de 7000 bénévoles et 600 salariés, elles accompagnent 2,4 millions de personnes en situation de précarité alimentaire à travers 6029 associations, CCAS et épiceries sociales partenaires. Les Banques Alimentaires sont spécialistes de l’accompagnement social par l’alimentation, notamment via le programme « Bons gestes, bonne assiette » et développent des projets innovants et locaux à fort impact social : ateliers de transformation de produits alimentaires, développement de circuits courts et solidaires, dispositifs itinérants.

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