Par Fabrice NICOUD
Président fédération CFE-CGC métallurgie
L’Europe est face à des défis majeurs sur les plans économique, environnemental et géopolitique. Les effets de la crise climatique sont de plus en plus visibles et peu de gens sérieux remettent en cause l’implication des activités humaines.
La crise sanitaire, les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et interrogent l’autonomie stratégique de l’Europe, de la France en particulier. L’instabilité du monde risque de durer.
Dans ce contexte, la réussite de la transition écologique et le renforcement de l’indépendance économique doivent être les piliers d’une politique permettant de préparer un futur désirable. Cet objectif exige une industrie durable et souveraine. Pour la France, elle doit permettre de reconquérir sa base industrielle abandonnée depuis plus de 30 ans.
L’industrie durable : un impératif pour l’avenir
L’industrie durable cherche à minimiser son impact environnemental en améliorant son efficacité économique et sociale. Elle repose sur des innovations technologiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergie, ou de ressources naturelles non renouvelables. Elle englobe aussi l’économie circulaire ou le recyclage.
L’Europe s’est emparée de ce défi en adoptant en 2019 le Pacte vert européen visant à rendre le continent neutre climatiquement en 2050.
Cette ambition repose en grande partie sur la modernisation de l’industrie, pour produire « plus vert » et proposer des produits écologiquement neutres. En France, la réindustrialisation de nos territoires exige un bilan « bas carbone ».
Même si le réchauffement climatique est un phénomène planétaire, la diminution de la pollution de l’air, des forêts, des plages, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments auront des impacts positifs sur la qualité de nos vies dans nos territoires.
Il y a donc un intérêt commun à faire les efforts d’innovation et d’investissements.
Même si le « verdissement » de nos processus industriels n’améliore pas la productivité immédiatement, même si des produits moins polluants sont plus chers à court terme, ces efforts donneront des avantages compétitifs puissants demain.
La Chine et les USA l’ont aussi compris et financent massivement des plans d’adaptation.
La souveraineté industrielle : une nécessité stratégique
La pandémie de Covid-19 et les tensions géopolitiques croissantes avec des pays comme la Chine ou la Russie ont mis en lumière la vulnérabilité de l’Union européenne (UE) face aux ruptures des chaînes logistiques mondiales. Ces événements ont accéléré une prise de conscience quant à la nécessité pour l’Europe de sécuriser ses approvisionnements et de retrouver une certaine autonomie industrielle.
Depuis des décennies, l’Europe a fait le choix de privilégier le consommateur face au producteur, considérant que le marché et la mondialisation permettaient d’accéder, aux meilleurs prix, à tous les biens de consommation. Cette politique, aux résultats indéniables pour le consommateur, s’est traduite dans les accords de libre-échange ou la politique de la concurrence empêchant parfois la création de « champions » européens.
Cette stratégie n’a pas empêché l’UE d’être exportatrice nette, l’abyssal déficit commercial français étant la mauvaise exception. Cependant, la trop grande dépendance à des fournisseurs étrangers peut faire perdre à notre continent sa capacité à décider de son destin.
Il est donc nécessaire de rééquilibrer les choix économiques et de porter la sûreté des approvisionnements au même niveau de priorité que leur prix.
Cette souveraineté industrielle ne signifie pas une fermeture protectionniste. Ces mesures peuvent toutefois être utiles pour protéger, pendant un certain temps, une filière stratégique.
Par exemple, il n’est pas acceptable de répéter avec la filière automobile l’erreur commise dans le cas des panneaux photovoltaïques. La mobilité des européens est essentielle et tous les acteurs de cette filière doivent être présents sur le continent, des batteries aux constructeurs, en passant par les équipementiers.
Les récents débats sur les taxes à l’importation de véhicules chinois illustrent des positions nationales divergentes, cohérentes avec des situations industrielles actuellement différentes. Mais n’est-il pas possible de trouver une convergence stratégique sur la souveraineté industrielle du continent ?
Comme pour l’industrie durable, cet objectif exige des investissements dans la production locale ou les entreprises innovantes. Elle exige aussi un changement profond dans la politique d’achat des entreprises, pour tenir compte de la nécessité de sécuriser leur chaine de valeur.
Les synergies entre industrie durable et souveraineté
L’industrie durable et la souveraineté sont des objectifs complémentaires, au service d’une Europe plus puissante, dans un monde plus incertain.
La transition vers une économie plus verte contribue à renforcer l’autonomie de l’Europe en réduisant la dépendance aux importations de matières premières polluantes ou stratégiques. Ainsi, le développement des énergies renouvelables et nucléaires permet à l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe ou au pétrole du Moyen-Orient, tout en réduisant son empreinte carbone.
L’accès à une énergie décarbonée et compétitive est une des conditions d’une industrie forte et autonome.
La souveraineté industrielle peut accélérer la transition vers une économie durable en favorisant l’émergence de champions européens dans des secteurs stratégiques comme l’hydrogène vert, les technologies de recyclage ou les réseaux intelligents. En encourageant l’innovation locale, l’UE peut créer des emplois tout en consolidant son leadership mondial dans le domaine de l’industrie verte.
Les fonds européens jouent un rôle clé dans ce processus. Dans son rapport, Mario Draghi a estimé le besoin en investissements à 800 milliards d’Euros par an. Ils doivent permettre de relever à la fois le défi environnemental et celui de la compétitivité à l’échelle mondiale, ainsi que soutenir les coopérations entre les États, entre les entreprises.
Les défis à relever
Ces ambitions sont nécessaires mais leur réussite exige de relever, ensemble, de nombreux défis.
La transition vers une industrie durable nécessite des investissements colossaux, que toutes les entreprises ou États membres ne sont pas en mesure de financer. La France est malheureusement mal placée avec ses déficits budgétaires et commerciaux. Les divergences économiques entre les pays risquent de créer des écarts dans la mise en œuvre des objectifs de durabilité et de souveraineté.
Mais, seul, aucun pays d’Europe n’est de taille à rivaliser avec l’Asie ou l’Amérique. Ceux qui sont à la traîne doivent faire les efforts pour combler leurs déficits, afin de rassurer les autres qui doivent accepter l’indispensable solidarité continentale concrétisée, par exemple, par des emprunts communs.
La concurrence internationale, en particulier avec la Chine et les États-Unis, est féroce. Ces pays investissent vite et beaucoup dans les technologies de demain, ce qui pourrait affaiblir la position européenne si l’UE ne parvient pas à créer rapidement un écosystème industriel dynamique et innovant.
Cette ambition exige une vision politique de long terme, stable, comme celle qui a permis le développement de la filière nucléaire française ou la création d’AIRBUS.
Ces objectifs stratégiques ont des bénéfices nombreux mais induiront des externalités négatives.
Taxer les importations pour protéger des filières peut entrainer une inflation pénalisante pour le pouvoir d’achat.
Installer des usines, ouvrir des mines, exigent l’accord des habitants vivant à proximité et la volonté des plus jeunes de rejoindre ces métiers de l’industrie.
Transformer des industries polluantes en industrie verte a des conséquences sociales. Certaines usines ferment ici, d’autres ouvrent ailleurs. Il est essentiel que les salariés, les territoires touchés par ces choix soient soutenus. Les conséquences sociales doivent donc être anticipées, traitées. Une partie des fonds prévus pour s’adapter doit être consacrée à cet objectif.
Les citoyens-consommateurs doivent se muer en conso-acteurs, car leurs choix d’achat ont un impact sur la stratégie des entreprises. Consommer moins, mais mieux et plus local.
Réussir
L’industrie durable et la souveraineté sont deux défis interdépendants qui doivent permettre au projet européen de proposer un avenir désirable à ses citoyens. Sa réussite dépend de l’adhésion des peuples pour accepter les efforts nécessaires.
Il faut donc prévoir et corriger les impacts, en particulier sociaux, de cette stratégie. Le dialogue social est incontournable pour trouver des solutions. À défaut, les électeurs choisiront ceux qui leurs proposent un statuquo, rassurant à court terme, mortifère à long terme.