Par Eileen Keller,
Institut franco-allemand (dfi), Responsable de l’axe de travail « Politique économique »
C’est donc bien Donald Trump qui est redevenu président américain. Finie l’illusion selon laquelle son élection en 2016 n’était qu’un « faux pas » de l’histoire. Sa réélection intervient à une époque de grands bouleversements et en est probablement le symptôme. Les conséquences et les implications pour l’Europe sont multiples, notamment sur le plan économique.
Les économies américaine et européenne sont étroitement liées et les deux sont les principaux partenaires commerciaux l’une de l’autre, même si le poids relatif de la Chine s’est accru ces dernières années. Les États-Unis sont la principale destination des exportations européennes de marchandises (20 %) et, avec 14 %, le numéro deux derrière la Chine (21 %) pour les importations vers l’UE venant de pays tiers (Eurostat, 2023). Dans l’ensemble, le commerce transatlantique est excédentaire du point de vue européen et ce sont l’Allemagne et l’Italie qui y contribuent le plus. En matière d’investissements directs étrangers, les États-Unis et l’UE sont également les principaux partenaires l’un de l’autre.
Les grands traits de la politique économique et commerciale de Donald Trump sont bien connus. Son approche « America First » vise à renforcer la production américaine et sa protection contre la concurrence internationale. Cela va de pair, sur le plan intérieur, avec la réduction d’impôts, la dérèglementation et des investissements dans les infrastructures, la protection du climat ne jouant aucun rôle. Donald Trump a notamment annoncé une réduction de l’impôt sur les sociétés de 21 % actuellement à 15 %.
Le New York Times1 a dressé une liste de plus de cent obligations environnementales qui ont été supprimées ou affaiblies par la première administration Trump. En matière d’investissements dans les infrastructures, son bilan ne suscite toutefois pas de très grandes attentes.
Sur le plan extérieur, Trump défend une ligne protectionniste. S’il met ses annonces en pratique, toutes les importations aux États-Unis pourraient être soumises à des droits de douane allant jusqu’à 20 %. Les importations en provenance de Chine pourraient faire l’objet d’une majoration allant jusqu’à 60 % ; il a même menacé d’appliquer des majorations encore plus élevées pour certains produits en provenance du Mexique.
Implications pour l’Europe
Les excédents commerciaux, notamment de l’Allemagne, seront une épine dans le pied de Trump. Le mécanisme européen de compensation des émissions de CO2 (CBAM) et les tentatives de l’Europe d’empêcher, dans le cadre de l’Union des marchés des capitaux (rebaptisée Union de l’épargne et de l’investissement récemment), la sortie de l’épargne (qui va principalement aux États-Unis) seront probablement également interprétés comme une entreprise hostile par Trump. En même temps, l’Europe est dépendante du savoir-faire américain en matière de haute technologie et les importations de gaz (liquéfié) en provenance d’Amérique du Nord jouent un rôle important dans la réalisation de la transition écologique.
Il ne fait aucun doute que l’ordre commercial international risque de changer de manière drastique sous Trump avec un nouvel affaiblissement du libre-échange et de l’OMC, une approche plutôt bi- que multilatérale et des relations économiques de plus en plus placées sous le signe de la géopolitique. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’administration Biden n’a que partiellement corrigé le cours de son prédécesseur et que, en ce qui concerne la politique économique patriotique de la Chine, cela fait longtemps que le « level playing field » n’existe plus. En conséquence, lorsque l’on pense aux réactions à avoir en Europe, il ne s’agit pas d’une stratégie à court terme sur les quatre ans à venir, mais sur des adaptations plus fondamentales face à un monde qui a changé.
Tous ces développements touchent l’Europe dans une situation économique difficile. Le rapport présenté par Mario Draghi en septembre dernier révèle à quel point l’UE a perdu en compétitivité par rapport aux États-Unis et à la Chine.
Depuis la crise financière et économique, l’économie américaine a connu une croissance presque deux fois supérieure à celle de l’économie européenne, les coûts de l’énergie pour l’industrie (gaz) sont plus du triple par rapport aux États-Unis et parmi les cinquante plus grands groupes technologiques, seuls quatre sont d’origine européenne. En ce qui concerne la Chine, le nombre de secteurs dans lesquels les entreprises exportatrices européennes sont confrontées à une concurrence chinoise directe est passé de 25 % à 40 % depuis 20022.
Renforcer la capacité d’action européenne
Tout cela devrait être l’occasion d’examiner sobrement les défis et les options d’action disponibles aux Européens. Le comportement de Donald Trump reste imprévisible en ce qui concerne la priorisation et la mise en œuvre de ses annonces et nous ne savons pas combien de temps nous aurons pour réagir.
Il serait essentiel de se préparer à différents scénarii de la recherche de points communs en ce qui concerne la Chine et de « deals » mutuellement avantageux sur le plan économique, en passant par une approche qui lie considérations sécuritaires et commerciales, jusqu’aux stratégies de « de-risking » vis-à-vis des États-Unis, et la définition de mesures compensatoires le moins nuisibles possible sur le plan interne, au cas où le conflit commercial s’aggraverait.
Il faut également s’attendre à ce que Donald Trump tente de saper l’unité des Européens, qui pourrait être leur plus grand atout, notamment en ce qui concerne le poids du marché intérieur. Les intérêts face aux droits de douane américains, mais aussi face à une éventuelle guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, sont loin d’être uniformes au sein de l’UE, sans parler des différentes proximités politiques des chefs d’État et de gouvernement européens avec Trump. Il faudra trouver en interne, par exemple via des « package deals », une approche qui tienne compte de ces sensibilités divergentes.
En même temps, la politique de Trump dépasse largement la question des instruments appropriés en matière de politique commerciale. Sa politique « America First » ainsi que les mutations géopolitiques conduisent inévitablement à la question de l’attractivité de la place économique européenne. L’augmentation sensible des coûts de l’énergie, le faible développement de la productivité et la compétitivité globalement insuffisante du « vieux continent » en sont les signes les plus évidents. L’heure est venue pour une véritable relance européenne.
- Article intitulé : « The Trump Administration Rolled Back More Than 100 Environmental Rules. Here’s the Full List. » ↩︎
- Rapport Draghi, pages 8 à 10 ↩︎