Philippe POCHET
Directeur général de l’Institut syndical européen (ETUI)
Le dialogue social européen fête ses 30 ans d’existence cette année. Le 6 mars 2015, la Commission européenne a organisé une conférence pour le relancer car selon la plupart des observateurs, il est en panne de résultats et d’ambition. Pourtant, il demeure l’un des piliers de l’Europe sociale.
Depuis le milieu des années 1980, le dialogue social s’est développé en trois grandes étapes.
La première, 1985-1991, est celle de l’expérimentation et de la construction des acteurs collectifs de négociation (de Val-Duchesse au Traité de Maastricht). C’est la période des premiers « avis communs » où organisations d’employeurs et de travailleurs apprennent à se connaître et à négocier.
La seconde, 1992-1999, est celle de la négociation d’accords rendus obligatoires par extension erga omnes de la part du Conseil. C’est encore aujourd’hui la période de référence de réussite de la voie conventionnelle, où sont produits de nouveaux droits sociaux européens sur le congé parental, le travail à durée déterminée et le travail à temps partiel. Cette période dynamique provient d’une conjonction très particulière.
Dans les années 1980, les grandes entreprises étaient très souvent des « champions nationaux » assez peu européanisés ou internationalisés. L’achèvement du marché unique, la dé-segmentation des marchés et l’élaboration de normes techniques communes ont fait émerger un capitalisme européanisé. C’est dans ce contexte que la Commission Delors et le Parlement européen ont plaidé pour une dimension sociale du marché intérieur. Il y a à cette époque un champ d’échanges possibles entre l’ouverture des marchés et la négociation d’accords visant à conférer des droits sociaux transeuropéens aux travailleurs. Le dialogue social peut alors jouer son rôle à plein. Mais rapidement, une nouvelle phase s’amorce. Avec la mondialisation du commerce, les entreprises passent ensuite du niveau européen au niveau international ; leurs champs d’expansion sont désormais l’Asie et les États-Unis. Le marché intérieur continue certes de s’approfondir, mais la Commission se désengage progressivement de la législation sociale proprement dite au profit de coordinations des politiques nationales dans le champ social.
À partir de 2000, les organisations d’employeurs veulent transformer la fonction du dialogue social européen pour en faire un lieu d’échange d’expériences, plutôt que de régulation. Les syndicats, qui s’opposent à cette évolution, proposent aux employeurs, en guise de compromis, la négociation d’accords autonomes, c’est-à-dire non transformés en directives mais mis en œuvre de manière autonome par les partenaires sociaux nationaux. C’est ainsi que sont négociés des accords d’un nouveau type, sur des thèmes tels que le télétravail, le stress, le harcèlement. Mais bien vite, les syndicats constatent que ces accords autonomes cachent en réalité une très grande disparité dans la qualité de la mise en œuvre : dans 25 % des pays, rien n’est appliqué. Cela traduit selon eux un échec, alors même que les deux Commissions Barroso (2004 et 2009) se retirent du jeu, au nom de cette « autonomie » des partenaires sociaux.
Cette phase de transition nous amène à la troisième étape du dialogue social européen. Les grandes entreprises investissent massivement dans les lieux de croissance future ; l’Europe vieillissante et suréquipée n’offre plus que de faibles prévisions de croissance. Désintéressées par la concertation sociale, elles veulent la limiter à un « partenariat pour des réformes structurelles » (radicales). Pour le monde syndical, le tableau s’assombrit, avec des employeurs qui bloquent le dialogue social, confortés par une Commission qui néglige d’adopter un agenda social, qui abandonne la stratégie de santé/sécurité sur les lieux de travail, qui laisse se déliter la politique d’égalité hommes-femmes. Et qui semble appuyer l’idée que la régulation n’est source que de charges bureaucratiques insupportables (programme Refit).
Malgré la volonté proclamée de relancer le dialogue social européen, le contexte semble peu favorable. Sauf à imaginer que les employeurs finissent par réaliser le risque de leur stratégie, celui de détruire les conditions déjà de plus en plus précaires du soutien du monde du travail au projet européen. Construire l’Europe économique sans les travailleurs est une entreprise vouée à l’échec, on peut déjà le constater ci et là. La relance d’un vrai dialogue social nécessite donc aujourd’hui l’émergence d’un leadership visionnaire des organisations d’employeurs.
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