Olivier Marty enseignant en économie européenne à SciencesPo et à l’ENS-Ulm, propose pour Confrontations Europe, une critique de l’ouvrage de Rudy Aernoudt L’Europe vue de l’intérieur, Vers un nouvel élan qui identifie les “12 travaux d’Hercule” nécessaires pour réformer l’Union européenne.
Les livres sur l’Europe sont toujours bienvenus et rarement décevants. Ceux écrits par les dirigeants politiques de l’Union le sont généralement encore plus. Et l’on est d’autant mieux disposé vis-à-vis de ceux écrits par des hauts fonctionnaires communautaires qui peuvent exprimer librement des analyses de praticiens. Ces trois raisons, auxquelles j’ajouterais volontiers une curiosité piquée pour les éditions Mardaga menées par Thibault Léonard et le souvenir d’un rendez-vous avec l’auteur, m’ont naturellement conduit, un beau soir de mai, à acheter le livre de Rudy Aernoudt, « L’Europe vue de l’intérieur : vers un nouvel élan ? ».
L’homme connait bien son sujet : entré dans les institutions européennes par authentique conviction dans les années 1980, après le Collège d’Europe, il y a occupé diverses fonctions, dont celles de chef économiste, de conseiller spécial du Conseil européen et de chef de cabinet du Président du Comité économique et social (CES). Mais son profil est aussi riche d’aller-retours bienvenus dans les administrations de son pays, la Belgique, qu’il a servi comme chef de cabinet en Flandre et en Wallonie, et d’une longue expérience de professeur d’économie aux Universités de Gand et de Nancy. Et puis, il y a cette rigueur flamande et ce tropisme pour la réforme !
J’étais donc préparé à lire avec plaisir un livre exigeant et globalement positif sur l’Europe. J’ai cependant été initialement surpris par la tonalité très directe et critique du premier chapitre, qui égrène les reproches trop souvent entendus sur les vices de la machinerie communautaire, jugée trop lourde, complexe, prise d’une véritable « logorrhée législative » qui puise ses origines dans la « bulle du rond-point Schuman », elle-même trop éloignée des citoyens. Certes, le propos est souvent nuancé, mais on peut se demander si le lecteur a vraiment besoin de cela pour se rapprocher d’une construction certes imparfaite, mais dont les vertus sont éminentes.
L’ouvrage évolue ensuite de façon plus positive. Rudy Aernoudt renvoie utilement dos à dos les discours trop europhiles ou europhobes, invite à s’éloigner du statu quo et à adopter une approche résolument pragmatique de la construction communautaire. Selon lui, la valeur ajoutée concrète pour le citoyen doit être systématiquement recherchée. Du miel à nos oreilles ! On embrasse ici un discours plus novateur, qui n’en est pas moins parfois radical. L’auteur prône ainsi la suppression des deux Comités consultatifs, du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation et la réduction drastique des effectifs communautaires, sans toujours me convaincre.
Puis viennent des pages plus chaleureuses. Le haut fonctionnaire rappelle à raison et avec brio à quel point l’Europe a su tirer profit des crises récentes et se renforcer au fil de celles-ci, ainsi que le prédisait Jean Monnet. Le Brexit, le défi climatique, la crise sanitaire, la compétition économique féroce que se livrent les géants mondiaux sont autant de raisons d’aller plus loin en Europe et de valoriser les récentes inflexions politiques dont nous avons été témoins. Voilà qui prédispose le lecteur à s’atteler sereinement aux « douze travaux d’Hercule » qui devraient, selon Rudy Aernoudt, être tout à la fois utiles à l’Union et à même de rapprocher celle-ci des peuples.
La dimension concrète et parlante de ces priorités pour les citoyens n’est pas franchement systématique, ainsi qu’on pourrait faire valoir facétieusement à l’auteur… Mais l’orientation est juste : l’Union prendrait effectivement la bonne direction si elle continuait de se soucier des grands enjeux, du climat à l’innovation, de l’industrie à l’espace, en passant par la coordination des politiques macroéconomiques. Ces pages sont très instructives (en particulier sur les entreprises et les enjeux commerciaux et industriels), empreintes de bon sens et méritent d’être transmises au plus grand nombre. Avec l’état d’esprit fier et optimiste qui clôt, heureusement, le livre !
Olivier Marty enseigne à Sciences Po et à l’Université de Paris