Auteur : Dominique Riquet
député européen, vice-président du groupe Renew Europe
Dominique Riquet, député au Parlement européen au sein du groupe ALDE depuis 2009, a été réélu sur la liste Renaissance (MRSL) le 26 mai dernier. Il rejoint les rangs du groupe centriste rebaptisé désormais Renew Europe, dont il est l’un des vice-présidents. À l’aube de cette nouvelle mandature, il revient pour Confrontations Europe sur les trois chantiers prioritaires de la législature.
A fin d’appréhender les grands enjeux de cette nouvelle législature pour le Parlement européen, il est nécessaire de revenir sur les changements qu’ont apporté les élections européennes.
Marquées par une participation inédite à travers le continent européen, ces élections ont mis un terme au bipartisme majoritaire qui dominait au Parlement depuis les premières élections en 1979. Ce duopole historiquement assuré par les conservateurs (le PPE) et les socialistes (S&D) n’est plus, et de nouvelles lignes de démarcation semblent remplacer la traditionnelle opposition « droite-gauche ». Se dessine plutôt un nouveau clivage avec d’un côté les progressistes, pro-européens, attachés aux valeurs républicaines et démocratiques, et de l’autre, les populistes, détracteurs de l’Union européenne et séduits par le repli nationaliste.
Sans majorité traditionnelle, il s’agit désormais pour le Parlement de former une coalition sur la base de ce noyau progressiste. La tâche se révélera difficile – s’entendre à quatre groupes (PPE, S&D, Verts et les Centristes de Renew Europe ) plutôt qu’à deux, nécessitera davantage de diplomatie – mais pas impossible. Les parlementaires européens sont particulièrement entraînés à composer avec la diversité (politique, géographique, économique, culturelle etc.) de leurs collègues, afin que d’équilibres diplomatiques subtils se dégagent des compromis politiques solides.
Du côté des forces populistes en revanche, et malgré des annonces répétées pendant la campagne, le raz-de-marée n’a pas eu lieu, et les partis eurosceptiques peinent à se rassembler en une grande coalition cohérente. Rien de très surprenant : ces partis aux ADN nationalistes s’accommodent difficilement des coopérations européennes, même populistes. En tout état de cause, les forces populistes et eurosceptiques ne seront pas en mesure de changer la donne.
C’est donc bien sur cette coalition d’idées progressistes, que l’essentiel du projet politique du Parlement européen va se fonder, et nous pouvons, dès à présent, selon moi, dégager trois grands chantiers à réaliser.
Tout d’abord, l’urgence environnementale, qui devient chaque jour plus impérieuse, nous oblige à nous réinventer. À cet égard, il est impératif de comprendre que la transition écologique est nécessairement une transition économique et que seule une réponse européenne peut être à la fois cohérente et satisfaisante. En témoignent par exemple les propositions que nous avons portées sur la taxation du kérosène ou la taxe carbone. En ce sens, le Parlement porte une lourde responsabilité : les efforts vers cette transition sont à intensifier et chaque député européen doit être à la hauteur de cet enjeu.
Opérer cette transformation économique nous oblige à améliorer le fonctionnement du marché unique et à renforcer la coordination des politiques publiques nationales. En particulier, la recherche de la convergence sociale et fiscale devient impérative. Pour y parvenir, il nous faut éliminer un verrou institutionnel – la règle de l’unanimité au Conseil sur ces questions – qui est bien souvent le clou sur le cercueil des idéaux européens.
Enfin, la souveraineté. Pour perdurer, l’Union doit gagner sa souveraineté, le reste n’est que commentaire. Tous les dossiers futurs aborderont cette problématique. On pense bien évidemment aux domaines traditionnels de la souveraineté : la mise en place d’une véritable politique européenne de défense, de l’immigration, et des thématiques plus récentes, comme la lutte contre le terrorisme ou la cybercriminalité. Mais la notion de souveraineté européenne traverse tous les pans de notre société : l’industrie, afin de permettre l’émergence de champions européens capables de rivaliser avec les géants mondiaux, l’énergie afin de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles importés ; l’instauration d’une véritable réciprocité dans l’accès aux marchés ; l’union monétaire ; la régulation et la taxation des GAFAM, la fin du dumping environnemental avec nos partenaires commerciaux… La souveraineté européenne devra être le fil conducteur de notre réflexion dans ces dossiers.
Urgence environnementale, convergence sociale et fiscale, souveraineté : on le comprend, tous ces enjeux sont interconnectés, indissociables et nécessitent d’être conjointement appréhendés et traités afin d’y apporter une réponse efficace et cohérente au niveau de l’Union. Car un même état de fait s’impose à nous tous : l’Europe est la seule échelle pertinente pour traiter de toutes ces questions au sein de la mondialisation. Comme le prophétisait déjà Paul-Henri Spaak, « il existe deux sortes de pays européens. Ceux qui sont petits et qui en ont conscience, et ceux qui n’en ont pas encore conscience ». Or, par un saut qualitatif, l’Europe saura sortir grandie et l’Union renforcée. C’est là le vœu politique que j’exprime pour cette mandature qui débute.
Notes de bas de page