Jérôme VIGNON
Président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale
Tout est prêt pour mettre en œuvre la « clause sociale globale ». La Commission Juncker a constitué une solide équipe. Les premiers pas sont encourageants. Néanmoins la marche est haute.
Le 1er octobre 2014, Marianne Thyssen, parlementaire européenne chevronnée du PPE, passait haut la main l’épreuve d’intronisation à la fonction de commissaire « en charge de l’emploi, des affaires sociales, des compétences et de la mobilité ».
Son programme, fidèle aux priorités affichées depuis plusieurs semaines par Jean-Claude Juncker, semblait aussi s’inscrire dans le fil des politiques sociales suivies par la Commission européenne depuis une dizaine d’années. On y retrouve en effet un dosage que la crise de 2008 paraît avoir durablement imposé : un très fort accent sur le renforcement de la politique de l’emploi en accompagnement des créations d’emploi que doit entraîner le plan Juncker et l’orientation vers une croissance verte riche en opportunités de travail. En découlent une accentuation forte sur l’accès aux compétences par la mobilité, et la volonté de faire effectivement réussir le plan d’action européen pour l’emploi et la formation des jeunes (issu d’une initiative franco-allemande en 2013), mais aussi le refus de laisser s’accroître la pauvreté, notamment par l’accompagnement et la requalification des chômeurs de longue durée. Enfin, beaucoup de pragmatisme sur les chantiers difficiles du travail détaché et de l’allongement des congés de maternité, et l’optimisation des fonds européens, i.e. le Fonds social, le fonds d’adaptation à la mondialisation ainsi que le tout jeune fonds d’aide aux plus démunis.
La novation n’est pas dans l’énoncé des priorités et des politiques sociales, mais dans la méthode qui présidera à leur mise en œuvre selon une vision que le chef de l’exécutif européen paraît avoir imposée à sa « Commission de la dernière chance » : une très forte sélectivité des initiatives et un très haut degré d’intégration et de cohérence entre les politiques.
Intégrer très fortement les questions de cohésion sociale et d’emploi au cœur des politiques macroéconomiques était déjà l’objectif des lourdes procédures de coordination administrative pilotées depuis dix ans par le secrétariat général de la Commission. Placée cette fois sous la référence explicite à « l’économie sociale de marché » (Art 3.3 TUE), la cohérence entre l’économique et le social relève maintenant d’un pilotage politique assumé par le vice- président letton Valdis Dombrovskis, chargé à la fois de l’euro et du dialogue social.
Marianne Thyssen devient ainsi membre d’une équipe politique où la question sociale et l’emploi devront être pris en compte non seulement dans le « semestre européen » de la coordination économique, mais aussi par le marché intérieur, la future Union des marchés financiers, la politique régionale et la politique des consommateurs qui relèvent d’un seul vice-président.
La Commission européenne s’est donné en quelque sorte toutes les chances de mettre en œuvre la fameuse « clause sociale globale » qui depuis l’adoption du Traité de Lisbonne en 2009 stipule que toutes les politiques de l’UE doivent prendre en compte leur impact sur la pauvreté et garantir une protection sociale adéquate (Art.2 TUE). Cette organisation de combat donnera-t-elle à la question sociale et à la solidarité européenne un relief nouveau ? Deux tests permettront de le vérifier.
D’abord la revitalisation du dialogue social promu comme une condition du bon fonctionnement des principales politiques économiques de l’Union et non plus seulement comme un laboratoire des législations sociales européennes. Ce virage était l’objet du sommet du 5 mars dernier « pour un renouveau du dialogue social ». Les partenaires sociaux l’ont plutôt bien accueilli. Ils attendent maintenant du concret. La prise en compte effective de « l’impact social » sera aussi un enjeu important, autrement dit les incidences des plans d’ajustement structurels imposés aux pays bénéficiant de la solidarité européenne, sur les inégalités, le chômage et la pauvreté. Sans doute ne suffira-t-il pas, comme l’a suggéré Jean- Claude Juncker, de reformater la troïka qui suit la mise en œuvre de ces plans. Il faudra aussi prendre en compte les impacts sociaux, quitte à renoncer à des mesures de consolidation lorsqu’elles pèsent sur la situation de ménages déjà vulnérables.
Exactement le genre de test que les négociations difficiles de l’Union avec le nouveau premier ministre grec mettent en vedette. Jusqu’où ira en effet la solidarité européenne avec les États membres en difficulté ? Ne devra-t-elle pas aussi prendre en compte les pauvres de ces pays ? De fait l’inscription toute récente de la solidarité parmi les valeurs de l’Union (Art 2 TUE) n’est pas un vain mot.
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