Par Thomas Genty, Institut Viavoice – LA REVUE #137.
Alors que les élections européennes auront lieu dans neuf mois et que les leaders européens discutent depuis trois ans du Pacte sur la migration et l’asile, le think tank Confrontations Europe a sollicité l’Institut Viavoice pour interroger les populations européennes sur les flux migratoires en Europe. Nous avons questionné par internet, du 28 août au 5 septembre 2023, 5 000 habitants issus de dix pays de l’UE (France, Espagne, Italie, Allemagne, Pologne, Belgique, Hongrie, Suède, Roumanie, Grèce) pour mieux connaître et comprendre les réalités, le vécu, les questionnements et les opinions des Européens sur ce sujet si central pour l’avenir de l’Union européenne.
EN SYNTHÈSE
- Des répondants très favorables à la libre circulation des citoyens européens au sein des 27 et pas opposés à l’idée d’uneimmigration extra-européenne ;
- …mais avec le sentiment d’une immigration trop importante en Europe actuellement.
- Un sentiment basé sur une réelle méconnaissance de la réalité des flux migratoires en Europe (surestimation de l’immigration légale, méconnaissance des motifs de demande de visa…) favorise la représentation d’une immigration très pauvre et difficilement intégrable.
- Malgré tout, une immigration perçue comme un atout (qui pose des difficultés) et qui doit être mieux intégrée grâce à un meilleur accès à l’emploi, l’éducation et la langue.
- Les différentes opinions européennes divergent sur les politiques migratoires les plus efficaces à l’avenir : les moins favorables à l’immigration souhaitent d’abord un meilleur contrôle aux frontières quand les autres pays donnent la priorité à une meilleure intégration et une répartition chiffrée entre pays européens.
DES OPINIONS TRÈS FAVORABLES À LA LIBRE CIRCULATION DES CITOYENS EUROPÉENS AU SEIN DES PAYS DE L’UNION ET PLUS PARTAGÉES SUR LA QUESTION DE L’IMMIGRATION DE POPULATIONS NON EUROPÉENNES
Tableaux 1, 2 et 3
Les Européens que nous avons interrogés sont tous massivement favorables à la libre circulation des citoyens européens au sein des 27 pays de l’Union. Les Roumains, Italiens, Espagnols et Grecs sont les plus enthousiastes sur le sujet (plus de 9 sur 10 s’y disent favorables) tandis que les Belges (75 %), les Français et les Suédois (71 %) sont plus mesurés.
Ils sont en revanche divisés sur la question de l’immigration : Roumains, Italiens, Espagnols et Grecs sont une majorité à approuver l’immigration légale de population non européenne au sein de l’UE (de 56 % pour la Grèce à 78 % pour l’Espagne). Les Suédois, Allemands, Belges et Polonais sont partagés (entre 46 % et 49 % y sont favorables) tandis que deux pays se démarquent en étant majoritairement opposés à cette immigration : la Hongrie (51 % opposés contre 43 % favorables) et la France (50 % contre vs 41 %pour).
DES EUROPÉENS QUI ESTIMENT QU’IL Y A TROP D’IMMIGRATION ACTUELLEMENT, EN EUROPE, COMME DANS LEUR PAYS…
Tableaux 4 et 5
Dans tous les pays européens interrogés, une majorité estime que l’immigration est trop importante dans leur pays et en Europe, à l’exception de la Grèce (ils ne sont que 45 % à juger qu’il y a trop d’immigration dans leur pays et 38 % en Europe) et de la Roumanie (53 % estiment qu’il y a trop d’immigration en Europe mais seulement 38 % en Roumanie).
Les opinions allemande (74 %), italienne (73 %) et française (71 %) sont celles qui estiment le plus que l’immigration est trop importante dans leur pays.
… MÊME S’ILS EN SAVENT PEU DE CHOSES
Tableaux 6 et 7
Alors que nous les avons interrogés sur la réalité des chiffres de l’immigration sur le continent, les réponses des Européens démontrent une méconnaissance des faits et rendent compte de l’influence des retombées médiatiques des débarquements de migrants en Méditerranée sur leurs perceptions.
Environ deux millions de personnes ont légalement immigré au sein de l’Union européenne en 2022. Une réalité que les Européens ignorent ou surestiment pour les 2/3. Si en Grèce, 33 % donnent la bonne réponse et 29 % répondent 5 millions (une réponse erronée mais relativement proche de la réalité), ils sont moins de 30 % à répondre correctement dans les 9 autres pays interrogés, une large part ne donnant aucune réponse. Dans le détail, nous n’observons pas davantage de bonnes réponses auprès de ceux qui jugent qu’il y a trop d’immigration en Europe : le sentiment d’une immigration excessive n’est donc pas corrélé à une meilleure connaissance des faits.
Autre illustration de cette méconnaissance de la réalité de l’immigration en Europe lorsque l’on interroge ces répondants sur le pays qui a accueilli le plus d’immigrés en Europe en 2022. Six pays placent leur propre pays comme étant celui qui a le plus accueilli d’immigrés en 2022 en Europe (seule l’Allemagne a raison), les quatre autres (France, Hongrie, Belgique et Roumanie) plaçant leur pays sur la deuxième marche.
En Grèce (75 %), en Italie (65 %), en Allemagne (62 %), en Suède (61 %) en Espagne (53 %), une majorité estime que leur pays accueille davantage d’immigrés que les autres pays européens. En Belgique et en France, cette opinion est également très partagée (47 % et 45 % respectivement) tout comme en Pologne(40 %). Les Roumains sont divisés sur le sujet tandis qu’une moitié des Hongrois répondent en accueillir moins à raison (48 %). Des résultats qui montrent la difficulté pour un gouvernement de faire consentir sa population à accueillir davantage de populations immigrées.
Sur les motifs des demandes de visa, une majorité pense qu’il s’agit d’abord de demande d’asile tandis que la raison principale est le rapprochement familial. Cette erreur est particulièrement importante en Allemagne (51 %), en France (51 % aussi), en Belgique (52 %) et en Grèce (49 %) où le rapprochement familial est beaucoup moins cité. À noter que le motif économique (recherche d’emploi) est la première réponse citée en Roumanie (52 %), en Espagne (46 %) et en Pologne (38 %).
Cet état des lieux met à jour une méconnaissance (voire une surestimation) du vrai nombre d’immigrés, une vision distordue de la répartition entre les pays de l’Union européenne et des principaux motifs d’immigration. Une situation qui explique les difficultés à débattre de l’immigration en Europe et au niveau national.
PRINCIPAL AVANTAGE DE L’IMMIGRATION : LA MAIN-D’ŒUVRE POUR LES MÉTIERS PEU QUALIFIÉS
PRINCIPAL DÉFI : LES DIFFÉRENCES CULTURELLES
Tableaux 8, 9 et 10
Pour huit pays interrogés sur dix, le principal avantage de l’immigration dans l’Union européenne est l’apport de main-d’œuvre pour les métiers non qualifiés. Viennent ensuite la croissance démographique dans des pays vieillissants (1re réponse en Espagne mais également largement citée dans les autres pays méditerranéens que sont l’Italie et la Grèce) et l’apport de main-d’œuvre qualifiée (première réponse en Allemagne). Le soutien à la croissance économique via la consommation et l’apport de la diversité culturelle figurent aux 4e et 5e rangs.
À l’inverse, les principaux défis identifiés par les répondants sont les différences culturelles (1re réponse en Suède, Grèce, Italie, Pologne et Roumanie) et le manque de volonté de s’intégrer des populations immigrées (1re réponse en Belgique et Allemagne). La délinquance supposée des populations immigrées est également largement citée (1re réponse en Hongrie notamment). En France, la première cause citée est l’existence de quartiers où se concentrent toutes les populations immigrées de différents pays (31 %) devant le manque de volonté d’intégration, les différences culturelles (30 % pour les deux items) et la délinquance supposée (29 %). À noter, la hiérarchie de réponses différentes de l’Espagne qui cite d’abord la montée du populisme et du racisme en Europe (31 %) et le manque de moyens mis en place par les pays pour les accueillir (31 % également).
LA REPRÉSENTATION D’UNE IMMIGRATION PAUVRE, DIFFICILEMENT INTÉGRÉE ET À L’IMPACT ÉCONOMIQUE NÉGATIF
Tableau 12
Ces réponses dessinent le portrait d’une immigration perçue comme pauvre, fuyant la misère ou la violence et s’intégrant difficilement. En cohérence avec ces perceptions, les Européens interrogés estiment plutôt négatif l’impact économique de l’immigration, à la fois dans leur pays et en Europe. Environ la moitié des répondants jugent que l’immigration dans leur pays a un impact économique négatif (53 % en France, 47 % en Belgique). Seules l’Espagne et la Roumanie sont partagées sur le sujet avec environ 1/3 qui estime que l’impact est négatif et 1/3 qu’il est positif. La perception au niveau européen est très liée à la perception nationale : 51 % des Grecs, 50 % des Hongrois et des Français jugent l’impact négatif au niveau continental. Seules l’Espagne et la Roumanie sont divisées.
ET MALGRÉ TOUT, LA MULTICULTURALITÉ DE L’UE RESTE PERÇUE COMME UN ATOUT !
Tableau 13
Ces perceptions des difficultés d’intégration vont de pair avec l’idée d’un accueil perfectible de la part des pays qui reçoivent les immigrés. On observe dans seulement trois pays (Allemagne, Espagne, France) une majorité de répondants jugeant que les immigrés sont accueillis correctement. À l’inverse, en Italie (53 %), Grèce (59 %), Roumanie (56 %) et Hongrie (76 % !), une majorité pense que les immigrés ne sont pas accueillis de façon correcte.
En dépit de ce jugement négatif sur l’impact économique et les difficultés d’intégration des immigrés, la grande majorité des répondants estiment que le caractère multiculturel de la société européenne est un atout. Un atout qui pose des problèmes, mais un atout tout de même. Cette opinion est même majoritaire en Hongrie (55 %), voire très consensuelle en Italie (77 %), en Roumanie (78 %) et en Espagne (80 %).
« Au cours des cinq prochaines années, les répondants imaginent que les flux migratoires vers l’europe seront principalement causés par les crises politiques et la multiplication des conflits avant même les crises économiques et sociales. les changements climatiques n’arrivent qu’en dernière position »
LES SOLUTIONS POUR LES POLITIQUES MIGRATOIRES EN EUROPE : UN MEILLEUR CONTRÔLE DES FRONTIÈRES ET UNE MEILLEURE INTÉGRATION
Tableaux 11, 14 et 15
Au cours des cinq prochaines années, les répondants imaginent que les flux migratoires vers l’Europe seront principalement causés par les crises politiques et la multiplication des conflits, avant même les crises économiques et sociales. Les changements climatiques n’arrivent qu’en dernière position.
Face aux défis que poseront ces flux migratoires, les priorités des Européens diffèrent. Pour la France, la Hongrie, la Pologne et la Grèce, la première des politiques doit être le renforcement des contrôles aux frontières des pays de l’UE (accompagné d’un renforcement des contrôles aux frontières des pays d’origine des migrants). En Espagne, Roumanie et Suède, c’est la promotion de l’intégration sociale des immigrants (via la langue, l’éducation, le travail et le logement) qui est d’abord souhaitée, tandis qu’en Allemagne et en Italie, la première des politiques doit être une répartition chiffrée (quotas) des populations immigrées entre les pays de l’UE.
Ces réponses – associées à l’idée assez largement partagée d’un accueil perfectible de l’immigration en Europe – pointent la nécessité de mieux réussir à intégrer ces populations immigrées. Parmi les principales réponses selon
les Européens interrogés : l’accès à l’emploi, à l’éducation et à l’enseignement de la langue ! Si la langue est citée en premier par les Allemands, les Suédois, les Français et les Belges, c’est l’emploi que citent d’abord les autres pays interrogés.
L’IDÉE D’UNE CORESPONSABILITÉ NATIONALE/EUROPÉENNE SUR LES POLITIQUES MIGRATOIRES
Tableaux 16 et 17
Pour mettre en place ces politiques migratoires, une coopération européenne est nécessaire mais les opinions européennes ne sont pas toutes prêtes à cette idée. En France, par exemple, tout comme en Allemagne, en Suède, en Roumanie ou en Grèce, une majorité de la population souhaite que seul leur gouvernement soit responsable de la politique migratoire dans leur pays. L’idée d’une coresponsabilité gouvernement/Union européenne fait pourtant son chemin. En Espagne et en Italie, plus de 4 personnes sur 10 sont favorables à cette coresponsabilité. Si l’on prend en compte les personnes qui souhaiteraient que l’UE soit l’unique responsable, alors c’est une majorité qui souhaite que le sujet ne soit pas uniquement entre les mains de leur gouvernement. L’idée d’une coresponsabilité nationale et européenne ne séduit pas encore tous les pays, mais elle a du poids même dans certains pays d’Europe de l’Est comme la Hongrie, la Pologne ou la Roumanie.
Presentation-des-resultats-de-lenquete-et-principaux-enseignements-par-Thomas-Gently