Vincent PIRON
Vice-président du groupe de travail « Infrastructure & Financing » de la Fédération de l’industrie européenne de la construction (FIEC)
La vocation du Plan d’investissement pour l’Europe, dit « plan Juncker », est de créer un effet d’entraînement incitant des investisseurs à opter, avec la Banque européenne d’investissement (BEI), pour des projets plus risqués. Deux éléments clefs entrent en ligne de compte : le financement (« financing ») plutôt aisé à mettre en place et le choix de la source de remboursement des prêts (« funding »), qui reflète une vision budgétaire et économique.
L’argent est là ! Le financement (« financing »), c’est-à-dire la capacité de lever des fonds (emprunts, investissements financiers) pour faire face au décalage temporel entre besoins d’investissements physiques dans la période de construction et génération de revenus dans le futur, ne pose plus problème aujourd’hui. Contrairement à la période de la crise financière de 2008, des liquidités considérables sont désormais disponibles à travers l’Union européenne.
Pour qu’il y ait financement, il faut que deux conditions soient remplies. En premier lieu, les projets doivent être convenablement préparés. Cela paraît évident, mais bien de « bons » projets selon les maîtres d’ouvrage ne le sont pas aux yeux des entreprises et encore moins à ceux des financiers. C’est pourquoi les grandes banques de développement se sont regroupées pour développer non seulement une documentation riche et pratique (les « Knowledge Centers »), mais ont mis au point un logiciel d’aide à la préparation de projets, destiné à être utilisé par les gouvernements (logiciel SOURCE porté par la Fondation pour les Infrastructures durables(1)). Il faut, en deuxième lieu, que les aspects économiques, sociaux, environnementaux et climatiques aient été correctement pris en compte. Les « principes d’Équateur »(2) sont là pour garantir une méthodologie solide, et la « triple bottom line »(3) pour mesurer les résultats du projet. Les prêteurs et investisseurs sont focalisés sur la prévisibilité des flux financiers, qui dépend de la maîtrise de la conduite du projet mesurée selon chacun des trois paramètres ci-dessus.
Soutenabilité budgétaire du pays
Le « funding », lui, recouvre la capacité du projet à générer des revenus qui vont permettre de rembourser les emprunts et rémunérer les investisseurs. Ces revenus proviennent soit du paiement direct des utilisateurs, soit du budget public, c’est-à-dire des contribuables.
Normalement, le financement ne peut être mis en place que si le « funding » est raisonnable. Mais on a vu des projets de partenariats public-privé, rémunérés par des « paiements de disponibilité »(4) disproportionnés par rapport à la capacité contributive de collectivités publiques concernées. Alors cela peut finir mal, c’est-à-dire par un excès de dette publique, et le gouvernement du pays perd ses marges de manœuvres politiques.
C’est pour cela qu’il convient maintenant d’ajouter une quatrième « bottom line » aux trois déjà citées : la soutenabilité budgétaire à long terme du pays.
Dans une période de pénurie de fonds publics, et de taux d’intérêts particulièrement bas, le financement joue un rôle croissant, à l’image du Plan d’investissement pour l’Europe.
Théoriquement, l’objectif des acteurs politiques consiste à maximiser le bien-être socio-économique sous la contrainte financière des budgets publics. Mais la succession de contraintes électorales et de tests politiques à court terme brouillent la vision structurelle de l’intérêt socio-économique du pays.
La problématique des entreprises et institutions financières est analogue, mais elle s’applique aux grandeurs financières et non socio-économiques. C’est la succession des temps courts qui forme leur temps long. Les contrats longs (concessions, partenariats) ont cependant conduit certaines sociétés à regarder plus loin, notamment parce que les besoins de régulariser les flux de recettes et les effets de la réputation sur le comportement des entreprises deviennent de plus en plus importants.
Concernant les temps et les objectifs des citoyens, la contrainte financière du budget des ménages est absolue, ce qui les différencie des États dont la limite maximale d’emprunt est moins rigide.
Que faire alors pour réaliser les projets ? Tout d’abord choisir le bon « funding » (impôts ou service vendu), ce qui reflète la politique à long terme du pays. Ensuite bien préparer les projets pour réduire au maximum les risques d’erreurs et d’autre part choisir des contrats aptes à minimiser les conséquences des erreurs.
1) https://public.sif-source.org
2) Les « principes d’Équateur », qui sont au nombre de dix, engagent les banques à choisir leurs investissements en fonction de critères sociaux et environnementaux.
3) Ou triple bilan. Notion qui consiste à prendre en compte non seulement le résultat financier, mais également le bilan social et environnemental de l’entreprise.
4) Les « availability payments » s’utilisent généralement pour les biens qui ne génèrent aucun flux de rentrées évident (écoles, hôpitaux…).