Benoîte ARMAND-PIEYRE et Guy SILVESTRE
Directeur associé et Coresponsable Global Capital Markets – Société Générale
Le placement privé est l’un des instruments recensés dans le Livre vert sur l’union des marchés de capitaux pour élargir les possibilités de financement des moyennes et grandes entreprises. La France en a été pionnière et fer de lance à Bruxelles. Deux experts de la Société Générale, très active sur ce segment, décrivent son fonctionnement et son intérêt.
Le marché de placement privé se développe dans le contexte de la désintermédiation bancaire. Il répond à une demande spécifique de financement des PME/ETI qui y voient de la souplesse et une relation maîtrisée avec leurs investisseurs. En développant un produit apprécié par le marché, l’EuroPP (Euro Private Placement), la France est devenue l’un des leaders en Europe avec un taux de désintermédiation de 37 % début 2015 et un flux de financement par les marchés supérieur à 60 % ces derniers mois. Fin 2014, l’EuroPP représentait en France un volume d’émissions annuelles de 3,3 milliards d’euros fin 2014.
Depuis 2012, plus de 10 milliards d’euros ont été levés par les émetteurs français. Les entreprises Sonepar et Neopost ont ouvert ce marché et dès la première année, l’entreprise Lactalis a réalisé une très importante émission de plus de 500 M€. Si le montant annuel émis est resté assez stable sur la période 2012-2014, on constate le doublement du nombre de transactions annuelles. Ce marché en croissance concerne de plus en plus d’émetteurs non cotés et notamment les PME innovantes (on peut citer OVH et Id Valeurs en 2014 et 2013). La taille des émissions s’est réduite, et représente en moyenne 60 millions d’euros (versus 100 M€ en 2012). En revanche la maturité s’est allongée (maturité moyenne à 7 ans). Le placement privé s’adresse à un cercle restreint d’investisseurs qualifiés. Il repose sur une documentation ad hoc négociée entre les parties et s’effectue de façon flexible sur une base de contrat « obligataire » ou de « prêt ». Il permet donc un choix ciblé et maîtrisé des investisseurs, tout en simplifiant les obligations d’informations, d’où son succès.
Code de bonnes pratiques
Face à l’essor de ce marché en France, la profession a établi une Charte de bon fonctionnement. Publiée en février 2014, elle est le fruit d’un travail commun entre le Trésor, la Banque de France, et les associations professionnelles françaises. Elle définit de bonnes pratiques, élabore une base de travail commune entre les acteurs et facilite l’accès aux PME/ETI. Elle clarifie les définitions, insiste sur le principe pari passu des créanciers et standardise la documentation. Ainsi, elle assure une meilleure protection et la transparence aux investisseurs. Ce cadre très souple permet de nombreuses options très opérationnelles qui ont contribué à la forte augmentation des émissions (le recours aux EuroPP non cotés passe de 10 % à 42 % entre 2012-2014). Au plan européen, cette expérience française a fortement inspiré l’ICMA et le LMA, associations professionnelles européennes et britanniques. Elles ont publié en janvier 2015 un guide afin de développer un marché du « Pan European Private Placement » (PEPP). En l’absence de statistiques officielles, ce dernier serait estimé selon Standard & Poors à 38 milliards d’euros en 2014. Il reprend deux principaux modèles de contrats types, aménageables par les parties, ceux soumis au droit français et ceux soumis au droit anglais. L’ambition est de créer un label européen sur le marché privé venant renforcer l’attractivité du marché PEEP et consolider les objectifs de la Capital Markets Union, CMU.
Ce marché se développe en Allemagne et en Italie. Si le marché allemand se caractérise par des contrats types plus simples et rapides à mettre en œuvre, il renvoie à de nombreuses caractéristiques du droit allemand. Les opérations transfrontalières restent rares. Néanmoins, les émetteurs français (PME/ETI et GE) ont représenté 14 %(1) des volumes émis sur le marché allemand. Parmi les PME/ETI françaises ayant levé des fonds outre Rhin ces deux dernières années, on peut citer Eurofins Scientific (180 millions euros) et Bureau Veritas (193 millions euros). Par ailleurs, une étude PWC(2) a observé la présence grandissante d’investisseurs internationaux.
Quel pourrait être l’objectif de la CMU dans ce cadre ? La promotion d’un élargissement européen de contrats-cadres élaborés par les professionnels et laissant une latitude nécessaire aux droits nationaux serait une bonne piste de travail. Il contribuerait à une meilleure sécurité et visibilité des opérations en Europe.
Toutefois, pour contribuer à assurer un vrai développement transfrontalier de ce marché, une clarification des grands sujets tels que le droit de la faillite applicable ou la fiscalité sera nécessaire. Un allégement de l’application de Solvency II sur ce type de produits pourrait aussi être envisagé. Il y a là une opportunité de coopération entre les pouvoirs publics et les acteurs de ce marché pour aménager et élargir les bonnes pratiques professionnelles tout en conservant un maximum de souplesse pour les entreprises.
1. « Financement en dette des PME/ETI : nouvelles recommandations » Paris Europlace, 10 mars 2014
2. « In the debt markets, An insight into current market conditions », PWC, juin 2013