Les peuples européens doivent coopérer

Anne MACEY

Déléguée générale, Confrontations Europe

Confrontations Europe a célébré, le 20 juin dernier, ses 25 ans autour d’un large panel d’intervenants des sphères économiques, politiques, syndicales autour du thème : l’avenir de l’Europe. Cette conférence, organisée avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, a permis de retracer les perspectives du futur de l’Europe dans un contexte d’europhilie prometteuse.

Les peuples européens doivent coopérer

L’Europe a 60 ans, Confrontations 25. À bien des égards, l’une comme l’autre est une aventure ambitieuse et inédite. L’Europe, c’est avant tout des peuples européens, qui ont souvent du mal à se comprendre, sont rivaux, mais ont choisi de coopérer. Confrontations Europe a toujours visé à faire participer la société civile à la construction européenne. Confronter les perspectives d’acteurs : entreprises, fédérations professionnelles, syndicats, régions, citoyens, de différents pays européens pour partager des diagnostics en dialogue avec les décideurs européens, et esquisser des recommandations de politiques publiques portées ensuite dans le débat public. Confrontations Europe a été conçue dès l’origine comme « une ébauche de mouvement politique, une association de la société civile mais voulant prendre la parole en politique », rappelle Philippe Herzog, son président fondateur. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons repousser les frontières de cet ADN, tout en lui restant fidèle, jeter des ponts entre Européens, tisser nos réseaux, aider à l’émergence de cet intérêt général européen.
Confrontations est apparue à un moment clé : 1992, date du traité de Maastricht, qui a marqué un grand pas en avant, mais déjà des clivages, les questionnements que l’on connaît aujourd’hui apparaissaient sur le sens du devenir européen, la manière dont l’Europe se construit et l’impératif qu’elle ne se fasse pas sans les peuples et la société civile.
À l’occasion de la conférence sur l’Avenir de l’Europe tenue pour nos 25 ans, nous avons cherché à la fois à revenir sur le rôle qu’a joué Confrontations et comment elle entend continuer à être une passerelle entre les acteurs de la société et les institutions. Mais aussi sur le moment particulier dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui en Europe. Face à la crise profonde que traverse l’UE, le nouveau président français assume d’être résolument proeuropéen et appelle à refonder l’Europe. Ses propositions entrent en résonance avec des combats portés par Confrontations Europe depuis de longues années, parfois des décennies : une zone euro dotée d’un budget et d’un ministre de l’Économie et des Finances, une Europe qui investit et qui « protège » selon les mots d’Emmanuel Macron (en matière de défense, d’industries, de liberté de circulation des travailleurs…), des « conventions citoyennes » impliquant les acteurs de la société civile sur les territoires pour s’accorder sur l’Europe que nous voulons. « Chers amis de Confrontations Europe, ce sont les graines que vous avez semées » nous a dit Jean-Louis Bourlanges.
Dans un contexte nouveau marqué par les incertitudes liées au Brexit, l’élection de Donald Trump, dans un monde qui n’a jamais été aussi instable depuis les années 1930, nous vivons un moment politique particulier qui redonne espoir dans le projet européen, après des ¬décennies d’Europe bouc émissaire. Ces événements, combinés à la montée des populismes et aux fractures internes à l’Union sont un appel à l’action. « France is back ! » déclare Alain Lamassoure, député européen et longtemps vice-président de Confrontations Europe. Mais il faudra d’abord réformer la France pour elle-même en commençant par son marché du travail avant de rétablir notre crédibilité auprès de nos partenaires européens. « Nous ne pouvons plus être le mauvais élève qui nous cachons derrière les Grecs. Nous allons être le seul pays de l’Union en déficit, alors que 16 pays de l’Union sont en excédent budgétaire », a-t-il ajouté. Il va falloir réduire les risques avant d’espérer les partager.

Agréger les partenaires européens

Mais au-delà des intentions affichées par le président Macron, tout reste à faire, y compris à préciser comment s’y prendre face à la profondeur des défis à relever. La question qui nous est posée, à chacun d’entre nous, est quelle Europe voulons-nous ? Quelle organisation des conventions citoyennes(1) et quel rôle dans le processus de refondation de l’Union face au risque de dislocation de nos démocraties ? Quel nouveau deal franco-allemand susceptible d’agréger nos autres partenaires européens, car nous ne ferons pas l’Europe sans la Pologne ou la Hongrie. Que sommes-nous prêts à partager au sein des trois cercles de l’Union chers à Confrontations Europe ?
Nous devons redéfinir nos relations avec le 3e cercle, le voisinage, avec une vision différenciée selon nos partenaires de nos intérêts communs à long terme. « L’Europe est trop « inward-looking », alors que nous sommes sur la même plaque que l’Afrique et qu’une immense partie de l’Asie », déplore Philippe Wahl, président du groupe La Poste. Au moment où la Chine se projette dans la « route de la soie », il nous faut réinventer un projet économique et social européen dépassant nos frontières et redéfinissant les finalités de l’entreprise pour porter en commun une solution pour la planète tout entière. Cela projette du mouvement, des infrastructures d’intérêt économique général, des remèdes aux déchirures territoriales.
Face aux enjeux de sécurité et de défense, comme sur le marché intérieur, nous devons identifier les intérêts stratégiques européens à promouvoir et défendre dans le 2e cercle, celui de l’Union européenne. Quel contenu donner à une Europe ouverte sur le monde mais qui prend les moyens de promouvoir ses intérêts communs et ses valeurs ? Quelle politique économique commune ? « L’Allemagne évolue et cette idée est mieux reçue » souligne Evelyne Gebhardt, députée européenne. « Nous avons besoin de politiques industrielles et d’un marché unique numérique qui permettent l’émergence de leaders numériques européens, et pas seulement américains ou chinois » insiste Philippe Wahl avec une exigence de level playing field en matière de concurrences sociales, fiscales. « Des entreprises affichent l’ambition de réintégrer les impacts sociaux et environnementaux », souligne Edouard Jozan, d’Allianz. Mais l’impératif d’offrir des opportunités à tous les jeunes tout en les ouvrant à l’Europe demeure au point mort.
Au sein du premier cercle, aujourd’hui la zone euro, « les Allemands sont prêts à certaines avancées, mais si après les élections allemandes de septembre, Wolfgang Schäuble est encore ministre des Finances allemand, ce sera compliqué », rappelle Evelyne Gebhardt, lui qui affiche une conception stricte qui ne s’accorde pas avec l’impératif de mutualisation. Quelle mutualisation voulons-nous ? Certains appellent à une assurance chômage européenne, nous considérons que commencer ainsi enverrait un mauvais signal à nos partenaires : il faudrait justement transformer les indemnités chômage en mécanisme de formations et de retour à l’emploi. Ce qui est en jeu c’est la création d’une capacité budgétaire commune pour des investissements de long terme centrés sur des biens communs, à commencer par l’investissement humain. Nous avons besoin « de politiques à hauteur d’hommes » avec des projets concrets, un contenu humain, rappelle Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

L’Europe des cercles en question

Le départ des Britanniques réinterroge les cercles : « Les Allemands sont contre l’institutionnalisation de la zone euro » souligne Evelyne Gebhardt. Serons-nous tous dans la zone euro ? Nous y sommes favorables, mais alors « les problèmes de cohésion vont monter d’un cran » insiste Philippe Herzog. Faut-il changer les critères d’adhésion à la zone euro ? « Aux engagements des pays concernés, il faudrait ajouter un engagement de l’Union avec un accompagnement crédible » propose Marcel Grignard, président de Confrontations Europe. Le véritable risque est celui de la dislocation de l’Europe à cause des divergences intra-européennes entre polarisation industrielle sur le cœur de l’Europe et désindustrialisation des périphéries. Nous devons donc articuler des mécanismes macro de stabilisation face à la certitude d’une prochaine crise financière avec une stratégie industrielle européenne d’investissements, pour aider chaque pays à se réformer, chaque territoire à monter en compétitivité, bref des investissements de long terme de cohésion visant à répondre aux fractures actuelles et à éviter les divergences. Ceci suppose de remédier au tropisme français qui tend à se concentrer sur la seule zone euro, et établir les passerelles avec l’Union européenne. Or, jusqu’à présent, nous n’avons pas été capables d’offrir aux pays d’Europe centrale et orientale l’appui massif nécessaire pour leur permettre d’engager la transition vers des économies plus durables. Investir pour préparer l’avenir suppose également un effort substantiel en matière d’investissement numérique, rappelle Emmanuel Massé, de la direction générale du Trésor. Un Plan européen pour les infrastructures sociales manque cruellement, insiste Edoardo Reviglio, chef économiste à la Cassa de Depositi i Prestiti, au regard des perspectives démographiques de vieillissement, du besoin de crèches pour développer le travail des femmes, de la nécessaire transformation des systèmes d’éducation et de formation.
C’est une Europe investie dans les solidarités humaines qui pourra répondre aux attentes des citoyens et prendre un nouveau départ.

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