Lorène WEBER
Chargée de mission, Finance et Jeunes, Bureau de Bruxelles, Confrontations Europe
En Hongrie, les atteintes à l’État de droit, à l’indépendance du système judiciaire et de la presse, ou encore les attaques à l’encontre de l’Université d’Europe Centrale par le gouvernement du Premier ministre Viktor Orban ont fait couler beaucoup d’encre depuis déjà plusieurs années.
Un autre aspect de la vie publique hongroise est en revanche beaucoup plus discret : la casse du système social hongrois, qui est pourtant tout aussi préoccupante que les atteintes à l’État de droit, et qui a mené à des manifestations de grande ampleur dans le pays.
En début d’année, la Hongrie a ainsi été confrontée à des mouvements sociaux d’une ampleur inédite dans le pays, et qui ont réuni tous les partis de l’opposition (de l’extrême-droite aux socialistes en passant par les écologistes), diverses catégories socio-professionnelles, des syndicats, des activistes, des organisations de jeunesse et des citoyens de tous bords.
La Hongrie est-elle coutumière de ce genre de protestations sociales ?
Habituellement non, mais elles sont parties de l’adoption d’une loi permettant à un employeur de réclamer jusqu’à 400 heures supplémentaires par an à ses salariés, payables jusqu’à trois ans après. Les syndicats ont dénoncé une « loi esclavagiste » et se sont unis aux défenseurs des droits de l’homme et aux opposants politiques pour mener les protestations et organiser des grèves. Ce qui est une première pour le pays depuis la chute du communisme, la Hongrie n’a habituellement pas de tradition gréviste ou syndicaliste. Seulement 1 salarié sur 10 est d’ailleurs syndiqué en Hongrie. Pourtant, ce mouvement a réussi à s’organiser et à se faire entendre. Le syndicat des ouvriers de l’usine Audi notamment, après une semaine de grève, a réussi à obtenir une hausse des salaires de 18% et un week-end libre par semaine. Mais cette victoire n’a pas pour autant infléchi la politique du gouvernement. Le secteur de la santé est également concerné, professionnels du secteur et citoyens ont exprimé leur colère, face à l’état déplorable du système et des infrastructures de santé du pays.
Cette situation est-elle liée à l’émigration des travailleurs hongrois vers d’autres pays européens ?
La Hongrie connaît effectivement une pénurie de main-d’œuvre, aggravée par l’émigration des Hongrois d’une part, en particulier les jeunes, et le refus de l’immigration d’autre part. Le gouvernement hongrois est hostile à l’immigration et refuse d’ouvrir le marché du travail à des travailleurs immigrés, et la loi sur les 400 heures supplémentaires a en partie été présentée comme nécessaire pour pallier cette pénurie de main-d’œuvre. Mais cette stratégie ne reflète pas
qu’un rejet de l’immigration et un bafouement des droits sociaux, elle cache aussi un dumping social destiné à rendre le marché hongrois attractif pour les entreprises allemandes voisines. Concernant l’émigration, depuis 2010, 600 000 jeunes Hongrois à la recherche de meilleures conditions de vie et de travail ont quitté le pays. La situation est préoccupante pour le marché du travail et la démographie hongroise, à tel point que Viktor Orban avait proposé une politique d’aide au retour consistant à verser 3000 € à tout citoyen hongrois émigré revenant au pays, mais faute de candidats, cette politique a été abandonnée.
Je terminerais en disant que, depuis quelques années, la Hongrie a ainsi cumulé atteintes à l’État de droit, à l’indépendance de la justice et de la presse, à l’éducation, et aux droits sociaux. Par la même, elle a porté atteinte aux valeurs de l’Union européenne et à ses traités. Pourtant, aucune mesure ou sanction concrètes n’ont été prises contre le gouvernement hongrois, si ce n’est le lancement d’une procédure de sanction, qui a peu de chances d’aboutir. La situation en Hongrie est symptomatique de l’urgence pour l’Union de se réveiller sur le terrain de la défense des droits et des valeurs qu’elle est censée défendre.