ASCPE et Confrontations Europe
Principaux messages retenus lors de la réunion du 16 Octobre 2015
Nous traversons une période critique dans l’histoire de l’énergie, un bouleversement majeur sur fond de profondes incertitudes de tous ordres (économiques, technologiques, géopolitiques…), amplifiées par le lien désormais indissoluble entre énergie et climat. Il en résulte une extrême difficulté à établir des prévisions, comme on le voit avec le prix du pétrole. A la fin des années 1990, l’OPEP avait réussi à instaurer une relative stabilité : le prix a été maintenu entre 22 et 28 dollars par baril ($/bl) jusqu’en 2003 ; puis, tiré par une croissance économique mondiale de l’ordre de 4 % par an, ce prix n’a cessé d’augmenter, approchant 150 $/bl en Juillet 2008, avant de s’effondrer et repartir à la hausse ensuite. On a incriminé la spéculation financière dans ces fluctuations, mais comme le montre le rapport remis à Christine Lagarde en 2009, sa responsabilité réelle parait impossible à cerner avec précision. Quels sont les fondamentaux actuels ?
Côté offre
Personne n’avait prévu l’arrivée rapide du pétrole de schiste (shale oil) aux Etats Unis, exploité par de nouveaux acteurs, des petites compagnies pratiquant la fracturation hydraulique (fracking) dans les Etats qui l’autorisent. Ce développement a permis au pays d’atteindre une quasi autonomiepétrolière, générant un excès d’offre au plan mondial ; mais avec un prix voisin de 40 $/bl, nul ne peut prévoir combien de ces entreprises resteront rentables, malgré les remarquables progrès technologiques réalisés dans leurs activités. Le gouvernement américain ne fera rien pour réguler l’offre; le marché décidera du prix. Pour l’instant, le marché vit à l’heure de l’Arabie Saoudite, qui s’est affranchie des contraintes de l’OPEP en quotas de production. Cette attitude crée de graves tensions chez les membres de l’organisation les plus fragiles (Algérie, Nigeria, Venezuela…) ainsi que dans certains autres pays, tels que le Brésil ou la Russie, qui hésitent à investir dans de nouveaux gisements. Si la Russie se rapprochait de l’Arabie Saoudite (qui n’est pas à l’abri d’une crise interne dans un proche avenir), la donne pourrait changer ; cependant la perspective d’une relance des exportations iraniennes complique l’analyse. Les grandes compagnies pétrolières ont reporté une partiede leurs investissements, en attendant que les prix repartent à la hausse. On ne peut pas exclure que ce gel devienne définitif si une pression s’exacerbait pour « sortir du pétrole », comme celle qui prend de l’ampleur à l’encontre du charbon, au nom à la fois de la préservation du climat et de la qualité de l’air.
Côté demande
La consommation mondiale diminue, au point que l’on évoque le niveau atteint ces dernières années comme un pic qui ne se retrouvera plus (peak demand, en référence au peak oil mentionné antérieurement). Plusieurs facteurs expliquent cette tendance, tels que l’arrivée des
biocarburants ou les efforts de maîtrise de la demande, et bien sûr la crise économique, ayant entrainé notamment une stabilisation de la consommation chinoise en produits pétroliers. De nombreux observateurs estiment que la demande conditionnera désormais le marché, et non plus l’offre, comme dans les décennies passées
L’impact de baisse du prix des produits pétroliers sur la croissance mondiale demeure incertain. En principe, la baisse devrait bénéficier aux pays consommateurs ; toutefois le ralentissement économique les pénalise aussi. Pour un pays comme le Japon, le tassement des exportations vers la Chine exerce un effet négatif que ne compense pas un moindre coût de ses importations en pétrole et gaz.
L’Union Européenne peut espérer une diminution du prix de son gaz, mais l’abrogation des clauses d’indexation dans les nouveaux contrats limitera l’ampleur de cette baisse. Par ailleurs, la consommation de gaz a chuté en Europe, en conséquence à la fois de la crise économique dans la zone euro et du regain de compétitivité du charbon, désormais exporté des USA où il est supplanté par le gaz de schiste. D’éventuelles exportations américaines de gaz naturel liquéfié ne modifieraient pas le prix du gaz rendu en Europe. Enfin, la fiscalité sur les produits pétroliers, très lourde dans nos pays, atténue l’impact de la baisse des prix du brut.
Cette dernière peut-elle décourager les efforts d’efficacité énergétique en Europe, et retarder la pénétration des énergies propres, qui demeurent deux axes majeurs de sa stratégie ? Malgré d’indéniables tendances centrifuges, la politique énergétique européenne reste supportée par le soubassement commun que constituent les objectifs « 3×20 pour 2020 ». Ils impliquent une transition énergétique reposant en grande partie sur l’engagement des collectivités territoriales ; les nouvelles approches en matière de mobilité, traitement des déchets ou aménagement urbain échappent à l’influence des marchés pétroliers. La décentralisation est favorisée par les incertitudes mentionnées plus haut, qui rendent aléatoires les investissements lourds dans des installations à longue durée de vie, telles que les centrales nucléaires. Pour un pays comme la France, la décentralisation représente un phénomène nouveau, engendrant de remarquables initiatives locales. Si la perspective de territoires (voire de consommateurs individuels) autarciques au plan énergétique parait utopique, ce mouvement semble suffisamment puissant pour nous inviter à réfléchir sur la gouvernance d’un ensemble conjuguant de multiples petites productions locales avec un système centralisé, composé de grandes unités ainsi que d’un réseau à dimension nationale ou européenne. Il en va de même à l’échelle mondiale : l’urbanisation massive appelle des centrales électriques de forte puissance pour alimenter les villes, tandis que des technologies légères pourront satisfaire les besoins des zones rurales.
Le débat met en lumière l’extrême difficulté à concilier une politique publique avec un marché à taille mondiale ; l’abandon des outils de planification conduit les gouvernements à un tâtonnement permanent.
Une proposition pour favoriser l’investissement bas-carbone.
Henri Prévot expose un mécanisme destiné à garantir la rentabilité d’investissements bas-carbone en s’affranchissant de la connaissance à long terme du prix du pétrole. Dans le cadre réglementaire actuel, ce prix détermine les choix d’investissements, les opérateurs ne retenant les solutions les moins émettrices que dans les cas où ils en tirent un avantage financier par rapport à des projets basés sur des technologies conventionnelles. Afin de systématiser cet avantage, il conviendrait d’instaurer une taxe sur les énergies fossiles amenant leur prix complet à un niveau tel que toutes les réponses permettant à un Etat d’atteindre son plafond d’émission présentent la meilleure rentabilité. Le niveau de la taxe dépendrait de l’ambition climatique de chaque Etat et son montant varierait en fonction du cours mondial de l’énergie fossile visée.
L’investisseur saurait ainsi que le coût d’un projet conventionnel sera toujours plus élevé que celui d’un projet « propre », sur toute sa durée de vie, quels que soient les prix des énergies fossiles sur les marchés internationaux. Modulé suivant les fluctuations de ces prix, l’ajustement à intervalle régulier de la taxe permettrait aussi de se caler sur les « coûts d’évitement », qui évoluent dans le temps. On réduirait ainsi à la fois les effets d’aubaine (subventionner une opération qui se serait faite sans aide, compte tenu du gain qu’elle procure), et les retards d’investissement (report d’une opération dont la rentabilité reste faible en période de bas prix des énergies fossiles). L’objectif des Etats relatif à leurs émissions de gaz à effet de serre demeurerait fixé par un accord international et, dans le cas de l’Union Européenne, par un dispositif communautaire.