Marcel GRIGNARD
Président de Confrontations Europe
Les consultations citoyennes sur l’Europe lancées en avril peuvent apparaître comme un début de réponse à la nécessité d’impliquer les citoyens, et de les réconcilier avec l’Europe. Mais elles se déroulent dans un climat de tensions croissantes entre États membres.
Les consultations citoyennes décidées par les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays de l’Union avec le soutien de la Commission entendent donner la parole aux citoyens, les interroger : que voulons-nous, nous, Français, Polonais, Roumains, Italiens, Allemands ? Qu’attendons-nous de l’Union européenne dans les domaines de l’emploi, du développement durable, de la sécurité, de l’innovation… ?
Concrètement, dans une majorité de pays de l’Union, une multitude de rencontres sont organisées par des associations, des collectivités, des citoyens afin de débattre de ces questions. Parallèlement un questionnaire en ligne élaboré par un panel de citoyens et traitant des mêmes sujets est ouvert à tous les citoyens européens.
À l’initiative des plus hauts responsables des institutions européennes, des acteurs de la société et des citoyens prennent un peu de leur temps et consacrent de l’énergie à ce qui peut nous rassembler en Europe. Dans le même temps, les relations entre les États membres, déjà difficiles, se crispent chaque jour un peu plus. Des déclarations publiques de chefs d’État ou de ministres à l’encontre de leurs collègues européens tiennent davantage de la leçon ou de l’invective que de l’expression d’une volonté de rassembler les peuples. Nous savons que l’arrivée au pouvoir de partis ouvertement anti-européens n’aide pas à construire des compromis et que la crise de nos démocraties et du politique fragilise les pouvoirs nationaux. Mais, sans compromis, il n’y a plus d’Europe et quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de tel ou tel dirigeant d’un État voisin, au nom de quoi pourrions-nous remettre en cause la légitimité de son élection ?
Revoir le processus de Dublin pour gérer plus humainement et équitablement les phénomènes migratoires, construire un compromis franco-allemand sur le futur de l’Union économique et monétaire, s’accorder sur les conditions de travail des chauffeurs routiers sont autant de sujets de crispations soulignant la nécessité et la difficulté de progresser. Les règles organisant le transport routier conduisent à une concurrence sociale intenable, dégradant les conditions de travail de tous, mettant en grandes difficultés les entreprises de l’Ouest de l’Europe. Le règlement de Dublin qui fait porter la charge de l’accueil des migrants sur le pays de première entrée en Europe fait peser l’essentiel des contraintes sur l’Italie et la Grèce. Les déséquilibres des économies au sein de la zone euro menacent son existence. Ce sont ces sujets qui alimentent les discours des anti-Européens et qui crispent les relations entre les dirigeants convaincus que la solution est européenne.
La divergence des intérêts entre les États est réelle, et explique une large part de l’incapacité à forger des réponses à la hauteur. Mais si la somme des intérêts individuels des citoyens ne fait pas l’intérêt général, la manière dont les États expriment leurs intérêts nationaux ne permet pas davantage de construire l’intérêt commun des citoyens européens.
Le contexte si inquiétant dans lequel se déroule les consultations citoyennes rend plus évidentes encore les conditions que nous avons posées pour qu’elles soient réussies(1). Avec les Eurocitoyens, nous avons affirmé, dès l’automne dernier, qu’il fallait y associer un large éventail de citoyens, notamment ceux qui doutent de l’Europe, voire la rejettent ; qu’il était nécessaire de partir de la société et de ses forces vives ; d’y intégrer le regard d’autres Européens afin de ne pas en rester à une vision nationale de nos intérêts. Nous nous sommes aussi prononcés en faveur d’un processus délibératif s’inscrivant dans la durée. Enfin, il faut que les conclusions de ces consultations soient prises en compte par les institutions nationales et européennes.
Il faudrait une participation large et suffisamment diverse à ces consultations pour qu’un grand nombre de citoyens se reconnaissent dans ses conclusions et pèsent sur les décisions des dirigeants. La tâche est difficile, c’est même un pari audacieux dans le contexte européen actuel, mais la mobilisation de la société civile est vitale pour l’avenir de l’Union européenne.
1) Cf. L’Appel lancé en octobre 2017 par les Eurocitoyens et Confrontations Europe : https://confrontations.org/non-classe/conventions-democratiques-la-societe-civile-au-coeur-de-la-refondation-de-leurope/ ; et « Consultations citoyennes : que peut-on en attendre ? », Marcel Grignard, Revue 121, p. 11, avril-juin 2018.