Auteur : Marcel Grignard
président de Confrontations Europe
Confrontations Europe a placé l’enjeu d’un « capitalisme européen » au cœur de ses réflexions. Pourquoi un tel choix ? Que cherchons-nous à travers un tel objectif ? En quoi cette démarche peut-elle éclairer le projet politique des institutions européennes pour le mandat qui s’ouvre ?
Depuis longtemps nous nous inquiétons des difficultés de l’Union Européenne à adopter une stratégie et une politique à la hauteur des défis qu’elle doit relever alors que, prise en étau dans l’affrontement que se livrent la Chine et les États-Unis, elle risque de perdre pied dans bien des domaines. Une faiblesse européenne résultant pour une large part des divisions des Européens crispés sur la défense de leurs intérêts nationaux. Marché unique et règles communes bien établies cohabitent avec des formes de capitalisme diverses et propre à chaque État membre favorisant les concurrences, compliquant ou empêchant les coopérations indispensables. Tenter de faire converger les capitalismes européens a donc un intérêt en soi.
La « financiarisation » de l’économie portée par les Anglo-Saxons, qui a érigé en principe de base la rentabilité financière et le court terme, n’a pas épargné l’Europe. Et est partout une des causes de la montée des inégalités et des précarités, limitée en Europe grâce à la force des systèmes de solidarité mais ceux-ci sont de plus en plus en tension. De plus en plus d’économistes libéraux, des patrons de grands groupes multinationaux, des responsables gouvernementaux s’alarment enfin des risques provoqués par ces dérives du capitalisme qui pourraient finir par mettre en péril libéralisme et capitalisme. Ils rejoignent ceux qui mettent en garde sur les risques d’explosions sociales violentes.
L’impératif de faire face à l’urgence climatique est un de ces paramètres alimentant les inquiétudes et obligeant à transformer le capitalisme. Mais l’urgence à agir ne doit pas occulter la complexité des problèmes à résoudre ni faire l’impasse sur l’indispensable diagnostic.
Nous sommes face à des enjeux imbriqués les uns dans les autres, ou l’interdépendance est grande, où il suffit de quelques drones et de quelques activistes pour bloquer la moitié de la production de pétrole d’un État du Golfe. L’Europe n’est pas et ne pourra prétendre être un continent isolé sur la planète. Mais si elle veut assurer sa souveraineté dans ce monde globalisé en profonde transformation, elle doit rechercher les voies des coopérations, réduire les concurrences entre les États de l’Union pour relever les défis qui nous sont communs. C’est un des enjeux d’un capitalisme européen.
La transformation du capitalisme mondial appelle des réponses régionales qui seront diverses parce que solutions à des situations différentes et, surtout, devront prendre en compte une dimension culturelle essentielle dans la recherche d’équilibre entre les enjeux économiques, sociétaux, sociaux, environnementaux… Vision partagée de l’entreprise, il n’y aura pas de solutions solides à la crise du capitalisme sans analyse sérieuse des causes, sans la volonté de ne pas réduire l’exercice à corriger les excès les plus visibles. On peut certes réduire les inégalités en agissant sur la distribution de la valeur ajoutée, par une fiscalité plus redistributive mais l’exercice a des limites et ne traite pas la question du sens. Il va falloir réinterroger les chaînes de valeur qui, dans une économie globalisée, mettent en concurrence les fiscalités, les normes sociales et environnementales dans des stratégies déterritorialisées. En conséquence, il faut repenser notre outillage européen qu’il s’agisse du marché intérieur, des politiques industrielles, de concurrence, d’échange… Et si le socle social européen est une réelle avancée, il est loin d’être suffisant.
Débat public en progrès
Confrontations Europe aborde ces sujets, depuis quelques années, en partant de l’entreprise avec pour ambition de parvenir en Europe à une vision partagée de l’entreprise dans la société de demain : quelle place pour ses parties constituantes, ses parties prenantes et de son rapport au territoire ? Depuis le débat public a heureusement progressé. La question aujourd’hui se formule autour de la « raison d’être », de la mission que se donne l’entreprise élargissant ainsi sa responsabilité avec la prise en compte du monde dans lequel elle se meut.
Partir de l’entreprise et du rôle de l’ensemble de ses composantes, interroger la capacité de l’Europe à converger vers une forme de capitalisme qui n’ignore ni son histoire ni ses valeurs, ce sont deux voies cohérentes et incontournables pour avancer concrètement vers un développement mettant la même exigence à la performance économique, l’inclusion sociale, la préservation de la planète. C’est compliqué, difficile et ne laisse pas de place au dogmatisme.