Par Alexiane Terrochaire–Barbançon, Cheffe de cabinet et chargée de communication Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur)
Les résultats des élections européennes de juin 2024 en France se sont inscrits dans la continuité de ces mêmes scrutins depuis 2014 : aucun parti pro-européen ne les a remportées, le Rassemblement national (RN) obtenant systématiquement la majorité des sièges au Parlement européen. Fait marquant, un pan de la jeunesse a voté pour ce parti, incarné par Jordan Bardella, figure politique jeune et fortement médiatisée sur les réseaux sociaux. Faut-il ainsi considérer que les partis pro-européens ont échoué à faire connaître les impacts positifs de l’Union européenne (UE) sur les vies de ses citoyens ? Faut-il croire que les valeurs défendues par l’UE (article 2 du traité de l’UE), comme la démocratie, le respect des droits humains n’évoquent plus rien ? Faut-il estimer que les Français ne sont plus pro-européens ?
Cet article n’a pas pour but d’analyser les multiples causes économiques, politiques, émotionnelles ayant mené aux résultats désormais connus. Il établit que les citoyens
français ne sont pas plus anti-européens que des peuples comme les Finlandais, ayant voté massivement, le 9 juin dernier, contre le maintien de l’extrême droite dans leur délégation au Parlement européen. Au contraire,, il est affirmé ici que les Français, et particulièrement les jeunes générations,
méconnaissent l’UE ou manquent d’accès à une information objective de qualité (telle que celle enseignée dans un cadre scolaire ou universitaire). Comment soutenir une entité ou une cause dont vous n’avez que peu entendu parler, dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis du politique ?
Une étude IFOP pré-électorale pose un constat paradoxal : bien que les jeunes estiment avoir une bonne connaissance des institutions européennes, 57 % d’entre eux jugent avoir mal été informés à ce propos dans le cadre scolaire, s’appuyant donc sur d’autres sources d’information telles que les
réseaux sociaux. Cela a été confirmé bien antérieurement à ces élections et porté à la connaissance des institutions européennes : les programmes scolaires abordent l’UE sous l’angle de la construction européenne historique, sans ajout contemporain ou mention d’impacts sur la vie quotidienne
des jeunes (Teaching Common Values in Europe – Parlement européen, 2017). Un de ces derniers, par exemple, est la possibilité d’étudier ou de travailler à l’étranger, grâce au programme Erasmus + s’adressant autant aux scolaires qu’aux apprentis ou demandeurs d’emploi. A contrario, la mauvaise
information des jeunes publics, exposés à des informations politisées ou tronquées sur les réseaux sociaux, est moins étudiée et documentée.
Prenons l’exemple de l’état de droit, défini par le Conseil de l’UE comme « recouvrant un processus d’élaboration de la loi qui soit transparent, démocratique et pluraliste et qui rende des comptes, une protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, des juridictions indépendantes et impartiales et la séparation des pouvoirs ». Lorsque les jeunes n’y sont pas sensibilisés, la perte des droits ne suscite pas d’inquiétude, les conséquences n’étant pas visualisables facilement. En Hongrie, le parti présidentiel Fidesz a porté atteinte à la liberté d’expression, en faisant disparaître progressivement les médias d’opposition, sans susciter de mobilisation massive.
Comment lutter contre cette méconnaissance des jeunes ou l’accès limité à une information objective qualitative ? Le rapport préconise l’intensification des heures d’éducation civique pour développer connaissances et sentiment d’être européen(ne) auprès des jeunes générations. Définie comme « l’enseignement se faisant dans les établissements scolaires, éducatifs et structures d’animation concernant la citoyenneté et les valeurs qu’un système éducatif et culturel veut diffuser », l’éducation civique voit son importance et ses apports sous-estimés, ayant disparu ou étant réduite à très peu d’heures dans les cursus actuels (DGESCO, 2022).
En effet, l’éducation civique permettrait deux avancées majeures dans la lutte contre la remise en question de l’état de droit par les différents partis extrémistes européens. Premièrement, en informant les jeunes sur les faits, leur sens critique et leur capacité à trouver des sources d’information fiables (« media literacy ») concernant le fonctionnement démocratique de l’UE seront consolidés.
Deuxièmement, en préconisant un développement des compétences juridiques et politiques. Afin de défendre l’état de droit, un principe aussi simple que l’ajout d’une introduction au droit et aux sciences politiques dans les cursus scolaires secondaires et universitaires permettrait de former plus de talents et de développer plus de connaissances juridiques et politiques, pour stimuler l’esprit critique des jeunes.
Grâce à un engagement fort de l’État, deux mesures politiques pourraient être prises en ce sens. D’une part, l’accès à l’éducation civique pour sensibiliser à la question politique française et européenne doit être envisagé comme un droit à la connaissance et à la compétence, s’inscrivant dans le contexte global du droit à la formation continue, tout au long de la vie. D’autre part, soyons ambitieux : accordons, par une réforme des traités, un nouveau champ de compétences partagées à l’UE, pour lui permettre de légiférer sur l’introduction d’un socle commun de connaissances juridiques, institutionnelles, contemporaines et historiques pour tous les jeunes scolarisés dans les 27 États membres.
Bien que ces solutions puissent apparaître évidentes, interrogeons-nous : pourquoi ne sont-elles pas déjà en vigueur ? Les avantages sont nombreux : tout d’abord, des meilleures connaissances sur l’UE et ses apports, notamment vis-à-vis de l’état de droit ; ensuite, un sentiment accru de devoir protéger les droits acquis et dont chaque citoyen jouit librement, sous peine de considérablement amoindrir sa qualité de vie ; enfin, la participation politique sera plus importante, l’UE générant plus d’intérêt. La citoyenneté européenne en sera stimulée : notion qualifiée de « diffuse », elle permet néanmoins
aux citoyens de 27 États membres de se sentir européen, de bénéficier des mêmes droits aux quatre coins de l’UE, notamment d’élire directement leurs représentants politiques au sein du Parlement européen, pour exprimer leurs préférences en matière de législation politique. Se sentir européen
est l’illustration de la connaissance du fonctionnement institutionnel et permet d’identifier les apports dans la vie quotidienne, ainsi que d’être conscient des limites de l’UE, pour mieux l’améliorer et préserver son apport principal : être égaux en droits, dans 27 pays.