Confrontations Europe
À crédit depuis le 2 août. En 2017, nouveau triste record, l’Humanité a consommé en sept petits mois la totalité des ressources que la planète est capable de régénérer en un an (« Jour de dépassement de la Terre »). Dans les années 1970, cette date se situait en décembre…
L’Économie Circulaire – en particulier, la transition des structures de production et de consommation linéaires vers des modèles circulaires – est un enjeu majeur pour la France et l’Union européenne. Un enjeu politique, tout d’abord, puisque la transition vers la circularité permettrait à l’UE de contribuer à la réalisation de plusieurs Objectifs de Développement Durable (ODD)(1). Mais, un enjeu économique également : en tendant à décorréler la croissance économique de la consommation de matières premières, elle permettrait de rendre l’économie européenne plus résiliente. Sur le plan stratégique, grâce à la récupération de certaines matières premières rares, la transition vers la circularité peut être un axe de préservation de l’autonomie stratégique des Européens et de l’UE. L’économie circulaire a enfin un impact industriel dans la mesure où elle pousse à la réorganisation du tissu industriel, des relations au sein des filières et de l’accompagnement les acteurs (formation professionnelle, politique de filières).
Pour favoriser la transformation des systèmes productifs dans le sens d’une plus grande circularité, seule l’articulation des démarches locales, nationales et européennes peut permettre de relever les défis que celle-ci pose.
Construire un cadre favorable à l’économie circulaire
Le développement d’une économie circulaire se heurte à plusieurs obstacles qu’il convient de comprendre pour formuler une réponse politique adéquate.
Tout d’abord, des modèles économiques innovants dans la valorisation des déchets ne peuvent émerger et croître que sur les bases d’un grand marché européen circulaire, qu’il faut encore bâtir. Le cadre du marché intérieur a été conçu pour les besoins de processus de production linéaires et n’est pas, à de nombreux égards, adapté à l’objectif de développement d’une économie circulaire. Ainsi, les régulations actuelles des mouvements transfrontières des déchets au niveau international (Convention de Bâle), européen (directive déchets) ou national (différences de régulation) prennent insuffisamment en compte les problématiques de circularisation de l’économie.
Si les modèles économiques circulaires émergents produisent des externalités positives pour la société (amélioration de la productivité-matière, réduction des déchets), ils sont bien souvent fragiles. Des signaux-prix forts reflétant ces externalités peuvent être nécessaires pour que ces modèles apparaissent comme durables et crédibles et ainsi permettre la transformation des chaînes de valeur linéaires. De même, la volatilité des prix des matières premières (commodities) au niveau international est également une menace majeure pour la pérennité de ces modèles et doit donc être prise en compte.
Développer une politique industrielle ambitieuse
Pour permettre une transition rapide des économies européennes vers des modèles circulaires, il faut augmenter le nombre d’installations de valorisation des déchets (et non se contenter de moderniser certaines installations existantes), et ce selon un rythme bien supérieur à celui actuel. Or, cette nécessité industrielle se heurte à la montée des syndromes dits NIMBY (Not In My Backyard – Pas dans mon jardin), voire BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone – Ne rien construire nulle part à proximité de quiconque). Associer les parties prenantes est un enjeu déterminant dans la réalisation de cette politique de transformation des systèmes productifs.
Autre problème de taille, le taux de valorisation des déchets dangereux n’a guère évolué depuis 10 ans. La capacité à traiter ces déchets conditionne la confiance de la société dans une économie circulaire. La recherche de solutions est un enjeu majeur pour son développement pérenne.
Par ailleurs, des compétences et des métiers spécifiques seront nécessaires au déploiement d’une économie véritablement circulaire. Cette question, qui conditionne le succès de la démarche d’ensemble, est pourtant trop peu traitée. Malgré l’intégration des enjeux de circularité dans son plan de coopération sectorielle en matière de compétences, le Plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire ne traite que de façon marginale le sujet.
QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE ?
L’économie circulaire ne doit pas se résumer à la seule gestion durable des déchets, mais intégrer toutes les phases du cycle de vie d’un produit. Quel que soit le niveau observé (chaînes de valeur, territoires, État, etc.), la gouvernance multipartite impliquant les acteurs privés et publics est la règle dans une économie circulaire.
1) En septembre 2015, les 193 États membres de l’ONU ont adopté le programme de développement durable à l’horizon 2030 qui comporte 17 objectifs de développement durables.
Les recommandations de Confrontations Europe
Recommandation 1
Faire de la transition vers la circularité et de l’utilisation efficace des ressources, des moyens privilégiés d’une stratégie industrielle visant à renforcer la compétitivité de l’industrie française et européenne, à réduire durablement les divergences entre les économies européennes, en particulier au sein de la zone euro, et à participer à la réalisation des objectifs de développement durable.
Recommandation 2
Une politique ayant pour objectif la transition des modèles économiques vers la circularité doit partir du cycle de vie d’un produit et en couvrir toutes les phases ainsi que toutes les formes de celles-ci, selon la hiérarchie suivante : prévenir, moins et mieux consommer, réutiliser, réparer tout ce qui peut l’être en l’état ou avec quelques transformations, recycler (valorisation matière), transformer déchet/matière en produit, valoriser énergétiquement (en chaleur, électricité) et éliminer ce qui ne peut être réutilisé ou transformé.
Recommandation 3
Le pilotage au niveau politique de la transition vers la circularité doit être effectué sur la base d’une analyse des risques et des opportunités non d’une démarche politique centralisée descendante.
Recommandation 4
Une telle approche de la transition vers la circularité impose une gouvernance inclusive, associant la totalité des acteurs et parties prenantes et encourageant les expérimentations à tous les niveaux.
Recommandation 5
Il convient de mettre en cohérence les réglementations applicables aux produits lors de leur première mise sur le marché (règlement REACH(1), par exemple) et lors de leur mise sur le marché à la suite d’une opération de valorisation (directive Déchet(2)).
Recommandation 6
Dans le cadre de la révision de la directive déchets (actuellement en discussion), il convient que la Commission puisse définir des critères harmonisés de sortie du statut de déchet et/ou harmonise les conditions dans lesquelles ces critères sont définis au niveau national.
Recommandation 7
En l’absence d’action possible au niveau de l’Union, les États membres devraient coopérer pour permettre la circulation des matières premières secondaires et l’émergence de modèles économiques innovants comme c’est le cas, par exemple, pour certaines matières premières secondaires dans le cadre du « North Sea Ressources Roundabout »(3) (auquel la France participe).
Recommandation 8
Étudier la possibilité d’introduire des incitations (financières, fiscales, réglementaires…) à chaque étape de la vie d’un produit pour favoriser le développement de nouveaux modèles économiques (amélioration du taux de collecte des déchets ou de l’intégration des matières recyclées dans la production de ces biens ; augmentation de la consommation de biens intermédiaires contenant des matières premières recyclées).
Recommandation 9
S’engager pour que le suivi de la volatilité sur les marchés de commodities redevienne une priorité de la politique commerciale européenne (le dernier rapport d’activité sur la politique commerciale de l’UE sur les matières premières date de 2012).
Recommandation 10
La mise en place de filières de collecte, traitement et valorisation des déchets dangereux doit être érigée en priorité de la future feuille de route française.
Recommandation 11
La montée en puissance des filières industrielles de valorisation des déchets requiert d’associer les différentes parties prenantes, et en particulier les riverains, dans la conception des installations industrielles nécessaires et de prendre en compte leurs attentes.
Recommandation 12
Il est nécessaire de contribuer à la mise en place de filières circulaires d’excellence françaises et européennes pour les matières premières définies comme critiques pour l’Union.
Recommandation 13
Il convient de revaloriser, notamment par des campagnes de sensibilisation, les métiers et filières de formation nécessaires au développement de l’économie circulaire.
Recommandation 14
– La création de filières spécifiques de formation (initiale et continue) aux métiers et compétences nécessaires à la valorisation des déchets les plus complexes est un prérequis majeur au développement de celle-ci.
– Le recours aux initiatives sectorielles financées par l’UE dans le cadre de sa « Nouvelle stratégie en matière de compétences pour l’Europe » doit être valorisé pour l’identification des compétences nécessaires au développement des activités circulaires.
1) Règlement européen (n° 1907/2006) entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne.
2) Directive de 2008 visant à protéger l’environnement et la santé humaine en soulignant l’importance d’une gestion des déchets appropriée et des techniques de valorisation et de recyclage pour atténuer les pressions sur les ressources et améliorer leur utilisation.
3) « Pacte vert » initié par le gouvernement néerlandais et signé le 3 mars par la Belgique (Flandre), la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni destiné à harmoniser leurs définitions des matières premières secondaires et à s’assurer qu’il n’existe aucune entrave inutile à l’envoi de ces matières vers les autres pays participants.