Auteur : Hana Mravco
chercheur en charge du programme Société civile à Via Iuris (Slovaquie), une organisation offrant aide juridique aux citoyens sur des questions de justice et d’environnement
La Slovaquie a été marquée, depuis 2016, par d’importantes manifestations (de professeurs, d’étudiants) depuis 2016 mais l’assassinat, en février 2018, du journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée ont déclenché une vague de protestation sans précédent et contraint le Premier ministre à démissionner.
En février 2018, la société civile slovaque a connu un réveil brutal. Elle a pu mesurer dans les faits la faiblesse de son système démocratique. Depuis des années, la Slovaquie souffrait d’un état de droit défaillant, d’une corruption endémique et d’une défiance généralisée envers les institutions étatiques. Les Slovaques étaient pourtant persuadés que leur liberté d’expression était intouchable, quand bien même les journalistes étaient systématiquement attaqués, traités de « sales prostitués anti-Slovaques » et de « serpents visqueux » par l’ex-premier ministre Robert Fico (resté dix des douze dernières années aux commandes du pays). Le meurtre d’un journaliste d’investigation et de sa fiancée a fait voler en éclat nos certitudes quant au caractère sacré de la liberté d’expression en Slovaquie. Avant l’assassinat de Ján Kuciak, la Slovaquie était encore 28e sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse 2018. Depuis, elle a été rétrogradée à la 35e position(1).
Dans la foulée de ce double meurtre, les grandes rédactions nationales ont monté des équipes communes dans le but de partager l’information et de poursuivre le travail initié par Ján Kuciak(2). Au-delà de cette mobilisation, l’assassinat a provoqué une indignation généralisée, alors que le journaliste venait d’écrire un article prouvant l’existence de liens entre des politiciens élus et des officines gouvernementales et la mafia italienne. Même si la Slovaquie a connu ces dernières années quelques événements de grande ampleur – les manifestations de professeurs avant les élections législatives de 2016, les marches étudiantes anti-corruption de 2017 – aucun n’avait encore poussé à la démission le Premier ministre Fico, plusieurs membres de son gouvernement, et même le chef de la police(3). Des dizaines de milliers de citoyens ont participé à la veillée funèbre et aux manifestations de protestation à travers le pays (les plus massives depuis la Révolution de Velours) organisées par l’initiative « Pour une Slovaquie honnête », avec la coopération des mouvements militants et d’organisations de la société civile.
Le réveil de la société civile est pourtant loin d’être un long fleuve tranquille. Alors que les manifestants exigeaient la formation d’un nouveau gouvernement digne de confiance et que le Président demandait que « soit institué un changement substantiel, ou que soient organisées des élections anticipées afin de retrouver la confiance des citoyens », Robert Fico a continué à nier la gravité de la situation. Ces faits tendent à montrer que le Président Kiska a joué un rôle important sachant faire preuve de fermeté dans les moments clés.
Au même moment, en réponse aux appels à la démission de milliers de Slovaques à travers le pays, Robert Fico a accusé des forces étrangères de tenter de déstabiliser le pays par le biais de « Pour une Slovaquie honnête ». Pire encore, en réponse cette fois aux appels à la démission lancés par le Président, Fico a sorti de sa manche le « plan Soros », semant le doute sur la rencontre qui avait eu lieu entre le président slovaque et le financier George Soros à New York en 2017. Cette rhétorique a pourtant fini par lui coûter le soutien de ses partenaires de Most-Hid qui ont demandé un remaniement ministériel ou des élections anticipées.
La désaffectation pour le gouvernement actuel ainsi que les pressions exercées par la société civile, suite au meurtre de Ján Kuciak, ont trouvé un premier écho lors des élections municipales de début novembre, marquées par la victoire de candidats hors partis (certains issus des milieux militants). Les résultats ont également montré de manière indiscutable l’incapacité de l’opposition parlementaire à renverser le gouvernement actuel. Cette tendance a en partie été confirmée par la victoire de Zuzana Čaputová(4) à l’élection présidentielle slovaque, qui a battu Maroš Šefčovič, représentant de Direction, le principal parti, et vice-président de la Commission européenne.
1) Selon le classement de la Liberté de la Presse 2010 de Reporters sans Frontières.
2) https://spectator.sme.sk/c/22003649/events-that-changed-Slovakia-2018.html
3) https://rsf.org/fr/slovaquie
Zuzana C ˇaputová, avocate environnementaliste, s’était fait connaître en se battant avec succès, aux côtés de l’association Via Iuris, contre l’installation d’une décharge de la taille de 18 terrains de foot dans la ville de son enfance, Pezinok. Cette victoire, qui a pris une dimension européenne, lui avait valu d’obtenir en 2016 le prix Goldman pour l’Environnement.