Philippe HERZOG
Président fondateur de Confrontations Europe
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Plus de soixante ans ont passé depuis la création de la Communauté européenne. Le monde et la société ont profondément changé. L’Union à six s’est élargie à vingt-huit. La refondation du projet politique européen et de ses institutions est indispensable, elle appelle une renaissance de la culture européenne. Un vaste effort individuel et collectif doit être entrepris pour renouveler les valeurs et les imaginaires, confronter les récits nationaux et partager des projets. C’est un combat de civilisation qui doit s’enraciner dans de nouveaux engagements. Il est significatif que nos sociétés nationales éprouvent le besoin de ré-identifier leur relation à l’Europe. Le referendum britannique est un premier exemple, et en fait toutes les nations s’interrogent. Mais David Cameron n’a pas posé la bonne question : le choix n’est pas entre la sortie et le statu quo, il est entre le repli sur l’Etat-nation et la participation à une refondation de l’Union. Les pro-européens ont voulu convaincre leurs concitoyens de l’utilité du maintien et ils ont fait appel à la peur des conséquences de la sortie. Mais le souffle positif de mise en valeur de la portée historique, humaniste et universelle d’une Europe unie et de son renouvellement dans le nouveau monde a fait défaut. Cette carence britannique n’est pas isolée, chaque nation est tentée par le repli tout en voulant garder les bénéfices de l’Union. La source humaniste semble tarie.
Le sens de l’Union, ce n’est pas la projection de nous-mêmes et de nos désirs, c’est l’unité dans la diversité. La carence d’une éducation et d’une politique culturelle européennes au niveau des institutions nationales et européennes prive l’Union de sens et les peuples n’ont pas actuellement les capacités voulues pour construire leurs projets. Une gouvernance de l’Union conduite essentiellement par des règles, avec une uniformisation peu soucieuse des différences et qui ne fait pas appel à l’esprit et à la participation de tous, a fait son temps ; elle est maintenant facteur de crise. Dans ces conditions, nos populations n’ont ni la conception ni l’affectio societatis requis pour un progrès d’unité. Pire, une véritable déculturation s’est produite dans ces trente dernières années. Notre rapport au passé est marqué par l’oubli, le « présentisme » sévit, comme l’observe l’historien François Hartog et bien d’autres avec lui. Cela va de pair avec le déni des réalités et la méconnaissance d’autrui qu’analyse Stanley Cohen. Quant au futur, il n’est qu’incertitude, nous ne nous projetons plus vers l’avenir. Il est loin le temps où Hegel disait que l’Europe, c’est la marche de la vie vers plus loin qu’elle-même.
Aujourd’hui nos concitoyens éprouvent le besoin de réaffirmer des valeurs enracinées dans la nation. Si cela reste introverti, c’est une régression. Nous devons consentir l’effort de connaître leurs autres Européens et de dialoguer avec eux pour leur faire confiance. Sans une identité européenne plus consciente et plus active, l’Union va se rompre. Le sursaut pour un nouveau départ ne peut pas être seulement l’affaire d’élites éclairées comme jadis. Il doit motiver nos populations beaucoup plus en profondeur. Encore faut-il en créer les conditions: par sa mobilité mentale et pas seulement physique, par la relation professionnelle, associative, créative à l’autre Européen, chacun doit pouvoir vivre concrètement son européanité et saisir l’apport de l’Union.
Sachant que chaque peuple a vécu une histoire différente et que le rapport à l’autre ne se vit pas de la même façon d’une génération à la suivante, l’engagement de la jeunesse est absolument décisif. Il y a donc devoir de transmission et de co-construction intergénérationnelle ; or à cet égard la carence éducationnelle et éthique dans l’espace public est flagrante. Les Etats ont refusé que l’éducation soit une compétence partagée dans l’Union, préférant enfermer leurs citoyens dans les légendes nationales. Quant à l’Europe de la culture, celle des musées et des sites, elle donne à voir la beauté de la diversité, mais pas l’âpreté du combat dont chacun est responsable pour vivre ensemble en Europe. Il faut redonner sa profondeur à l’histoire pour conquérir un futur, rappeler que l’identité européenne a précédé l’identité nationale avant que les drapeaux de l’Etat-nation ne la brisent, et apprendre que la Renaissance commencée après la Seconde Guerre mondiale est inaboutie et très fragile faute de traditions et de soutiens. Nous devons organiser et multiplier les échanges des maîtres et des élèves entre les pays européens pour dépasser l’ignorance et les clivages culturels, inventer l’apprentissage européen pour tous. L’autocritique est indispensable. Ainsi nous n’avons pas su accueillir convenablement les nouveaux pays membres dans l’Union et nous remettons en cause les libertés de circulation en accusant les mobilités. Les critères de Copenhague pour l’élargissement n’étaient fondés que sur l’appropriation de nos règles. Nos Etats et l’Union ont complètement ignoré le besoin d’une politique culturelle pour que les Européens de l’Ouest comprennent et valorisent ce qui était en fait une réunification entre des peuples très longtemps séparés par les murs mentaux et physiques dressés entre eux par leurs Etats.
L’Etat-nation se veut seul souverain. Mais l’Etat n’est pas le peuple et au contraire la culture du pouvoir qu’il propage aliène les gens. Les peuples sont nullement souverains quand ils délèguent les choix collectifs à leurs représentants et ensuite protestent et se retournent contre « le système ». D’autre part, les Etats ne s’entendent pas entre eux en Europe et les soi-disant coordinations font du surplace. Cela étant, l’Europe fédérale, un idéal dans l’ancienne culture des Lumières, est refusée actuellement par nos peuples ; quant aux notions de « souveraineté partagée » et de « fédération d’Etats-nations », elles ne leur parlent pas. En substance elles restent beaucoup trop délégataires. La culture des Lumières qui confiait la souveraineté à une forme étatique – nationale ou supranationale – dans un cadre de droit, révèle ses limites. Nous devons inventer un nouveau concept d’Union politique, de Confédération, avec des formes institutionnelles qui tiennent compte des formidables différences entre les nations, accueillent réellement les périphéries, et font directement appel à l’association des populations pour former des choix collectifs. Ces formes doivent être conçues pour mieux résoudre les problèmes ancestraux mais complètement renouvelés de la sécurité et de la prospérité, de la place de l’Europe dans le monde. Mes amis du King’s College de Londres, m’ont demandé de rédiger un essai pour lancer un débat sur l’identité européenne. Cet article s’en inspire. Découvrez –le sur mon site: www.philippeherzog.org
Un article pour Huffington Post