Isabell HOFFMANN
Chef de projet EUpinions, Bertelsmann Stiftung
Quel rôle l’Allemagne va-t-elle avoir à jouer dans cette Europe à 27 ? Le départ du Royaume-Uni la place un peu sous les feux de la rampe, mais quel style de leadership doit-elle adopter ?
Berlin va continuer à jouer un rôle central dans la politique européenne, et ce rôle va même s’amplifier avec la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Bien que le Royaume-Uni ait joué un rôle minime, voire aucun rôle, dans la gestion des diverses crises européennes au cours des dernières années, sa sortie va perturber l’équilibre actuel des pouvoirs dans l’UE. Cette visibilité accrue inévitable de l’Allemagne effraie Berlin, peut-être avec raison étant donné le malaise ancien de l’Europe face à « la question allemande ».
L’Union européenne est une communauté juridique basée sur des institutions communes parfaitement équilibrées. L’Allemagne a su longtemps utiliser ce système avec maestria, garantissant un équilibre et une forme de réconciliation par une attitude toute en retenue. Que ce soit sur le plan de la méthode ou des résultats obtenus, l’Allemagne a su remporter bien des succès lorsqu’elle a combiné ses forces en adoptant une « approche interne » de l’intégration à l’UE. Berlin devrait continuer à suivre cette voie dans les années à venir.
Le partenariat franco-allemand est un exemple classique d’une alliance qui aurait pu longtemps être décrite comme moribonde. Les prédictions apocalyptiques et les menaces de divorce régulières font partie intégrante de cette amitié, tout comme les tentatives régulières des deux pays de sceller d’autres alliances, de choisir de nouvelles options ou une autre façon d’œuvrer. Mais en réalité, aucun partenariat ne s’est avéré jusqu’ici aussi stable, fiable et fructueux que l’amitié franco-allemande. Elle sera également indispensable afin que l’Union européenne puisse rester unie tout au long du Brexit et au-delà pour assurer la stabilité et la paix à long terme.
Leadership invisible
Toutefois, un solide partenariat avec la France ne suffira pas. Bien d’autres membres de l’Union européenne partagent également des intérêts communs avec la République fédérale. Almut Möller et Joseph Janning du Conseil européen des relations internationales ont désigné certains de ces partenaires possibles : les Pays-Bas, les États scandinaves, les pays du Benelux ou l’Autriche(1). Solliciter l’appui de ces pays d’une manière plus résolue et systématique – et à un stade plus avancé – pour élaborer des solutions ne pourra être que bénéfique à l’Allemagne. Plusieurs autres États membres de l’UE tentent désormais de renforcer leurs relations bilatérales avec Berlin, et l’Allemagne devra également essayer de renforcer ces liens.
L’Allemagne a toutes ses chances d’améliorer son image en Europe et de renforcer ses relations avec ses voisins. Mais elle doit résister à la tentation de fanfaronner pour ce qu’elle a accompli. Si son style de leadership est invisible et fondé sur l’intégration, il deviendra bien plus efficace au niveau européen. L’Allemagne devrait partager le mérite de ses réussites, en particulier avec les institutions européennes. Au cours des dernières années, Berlin n’a cessé de critiquer la Commission européenne. Toutefois, dans le contexte de la « stratégie d’invisibilité » allemande, il serait prudent de traiter les institutions européennes avec plus de respect.
La nécessité d’un style de leadership fondé sur l’intégration paraît d’autant plus importante que l’UE affronte de nombreux bouleversements extérieurs. La nature et la structure des crises varient fortement – tout comme les instruments nécessaires pour les résoudre. Le gouvernement fédéral allemand a besoin d’un soutien interne solide pour être efficace dans le cadre de son nouveau rôle : l’Allemagne doit désormais tenter d’accroître la coordination européenne.
En outre, l’Allemagne fait également face à un nombre croissant de demandes en termes de politique étrangère et de sécurité. Les dirigeants politiques allemands doivent s’assurer que les attentes de leurs alliés n’aillent pas à l’encontre des positions de leur électorat, généralement réfractaire à tout engagement militaire. Cette critique ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Toutefois, comme l’a fait observer Daniel Keohane, des personnalités éminentes telles que le président fédéral, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense ont essayé de préparer le grand public aux défis à venir(2). Il se peut que ces efforts fassent petit à petit évoluer la perception que la population allemande a du rôle plus prépondérant que l’Allemagne se doit de jouer dans le monde.
L’article peut être lu dans son intégralité sur le site de la Fondation Bertelsmann : www.bfna.org/publication/ europes-reluctant-leader.
1) “Leading from the center: Germany’s new role in Europe”, ECFR, juillet 2016 : www.ecfr.eu/page/-/ECFR_183_-_GERMAN_LEADERSHIP2.pdf.
2) Daniel Keohane, “A greater military role for Germany?” Carnegie Europe, juin 2016 : http://carnegieeurope.eu/strategiceurope/?fa=6374.