Pascal Canfin
directeur général du WWF France
L’impulsion lancée à la COP21 est la bonne, mais les engagements pris par les États sont en deçà des ambitions affichées : contenir le réchauffement climatique au-dessous des 2 °C. C’est pourquoi, l’ensemble des acteurs (entreprises, individus, collectivités…) doivent poursuivre leurs efforts.
Le bilan de la COP21 ne se limite pas à l’accord signé à Paris début décembre dernier. La COP21 a débouché sur ce qu’on pourrait appeler le « Pacte de Paris » qui comporte deux volets : le premier c’est bien évidemment l’Accord universel, le second c’est l’ensemble des engagements pris en dehors de l’Accord. Pas moins de 10 000 engagements des villes, des entreprises, du secteur financier ont été référencés sur la plateforme des Nations Unies (NAZCA). Des clubs de pays ont également pris des engagements qui vont au-delà des dispositions de l’Accord. Ainsi les États-Unis, la Chine, l’Inde, la France ou l’Allemagne se sont engagés à doubler le montant de l’investissement public en Recherche & Développement verte d’ici 2020.
L’impulsion lancée est la bonne mais les engagements des pays restent en deçà des ambitions nécessaires pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C. De fait, les contributions nationales déposées par les États en vue de la COP21 nous mènent sur une trajectoire d’environ 3 °C. Or, l’Accord prévoit un objectif « bien en dessous des 2 °C ». Est-ce contradictoire ? Oui, si rien n’est fait à court terme. Or, c’est LA principale faiblesse de ¬l’Accord : la révision à la hausse des engagements ne commence… qu’en 2025. C’est tard.
Autre point prêtant le flanc aux critiques : le caractère « non contraignant » de l’Accord. Je vois deux niveaux de contrainte qui ne sont pas dans l’Accord lui-même. La première est la « contrainte politique ». Si cet accord est ratifié par la quasi-totalité des pays, son caractère universel sera confirmé. On voit par ailleurs, une « pression judiciaire » qui a déjà commencé à s’accroître au-delà de l’accord lui-même sur les États et les entreprises. Par exemple, l’OCDE va lancer en 2016 un groupe de travail sur le « devoir fiduciaire » de ceux qui gèrent l’épargne mondiale (fonds de pen¬sion, compagnies d’assurances…) pour savoir s’ils sont en rupture de leur devoir légal vis-à-vis des épargnants s’ils ne prennent pas en compte le risque climatique. J’en conclus donc que si l’Accord ne comporte pas en lui-même de dispositifs de sanction, il vient consolider le risque judiciaire croissant de ceux qui « trichent » face aux enjeux climatiques.
Dans les faits, l’Accord fixant l’objectif de « zéro émission nette »(1) dans la seconde moitié du siècle vient consolider la loi française de transition énergétique adoptée en août 2015, qui définissait un objectif de division par quatre de ses émissions entre 1990 et 2050. Cet objectif de long terme demande également à renforcer l’exigence de cohérence des politiques publiques, et ce dès aujourd’hui. Comment, par exemple, signer un accord intégrant zéro émission nette de gaz à effet de serre et soutenir la construction d’un nou¬vel aéroport en France ! En revanche, l’engagement pris par le président de la République de rehausser l’objectif de réduction des émissions de 2020 implique d’aller plus loin que le paquet européen adopté en 2014 pour la décennie 2020-2030. La France devrait donc, soit pousser à rouvrir le paquet européen, soit décider d’aller plus loin avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, les pays scandinaves…
Enfin, les ONG vont avoir plusieurs priorités dans les prochains mois. Tout d’abord, suivre la mise en œuvre des engagements des entreprises. Par exemple, 114 entreprises se sont engagées à travailler dans les deux ans qui viennent à définir une « feuille de route 2 degrés »(2). Il faut bien sûr veiller à ce qu’elles le fassent vraiment. Les ONG devront également faire pression pour que les États s’engagent à rehausser plus tôt que 2025 leurs contributions, et ensuite suivre les nouveaux engagements qui devront être pris. Enfin, elles devront continuer les actions qui ont permis de changer les mentalités dans le secteur financier, comme le désinvestissement ou les travaux techniques qui montrent la faisabilité d’un avenir 100 % renouvelables.
Au-delà, l’Accord universel, comme les engagements des entreprises, doivent accélérer les actes individuels. Car comme le dit Edgar Morin, il faut passer d’une philosophie du « ou » à une philosophie du « et ». Pour inventer la civilisation post-carbone il faut utiliser tous les leviers : de l’accord universel entre les États, aux engagements des entreprises, à l’innovation verte, en passant par la sobriété individuelle.
1) Le concept d’émissions nettes reprend la définition contenue dans l’Accord qui est de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre ».
2) Au travers de l’initiative Science Based Targets, conjointement menée par le WWF, WRI, Carbon Disclosure Project et le Global Compact des Nations Unies.