Mireille Battut
associée à Secafi, filiale du groupe Alpha spécialisée dans l’expertise, l’assistance et le conseil auprès des instances représentatives du personnel
Si, en dépit de l’enthousiasme de ses militants, l’Europe n’a jamais réussi à enflammer les imaginations, elle n’en promettait pas moins une vie meilleure sous forme de croissance liée aux échanges dans une zone pacifiée, qui s’est ensuite élargie aux nouveaux membres, leur permettant l’accès, dans la démocratie, au progrès économique et social.
En contrepartie d’un tropisme libéral assumé dans le domaine économique, la construction européenne a permis de développer des pratiques de dialogue social dans les entreprises transnationales. Besogneuse dans ses méthodes, technocratique dans son processus de décision, elle garantit des socles de compromis durables excluant des régressions.
Or ces régressions sont arrivées : dans le champ industriel avec les délocalisations, dans le champ économique avec la punition de la Grèce, dans le champ politique avec le déshonneur de laisser périr en mer des réfugiés en détournant les yeux. Du fait de ces régressions, les imaginaires ne produisent plus des utopies mais des dystopies.
Utopie. « Cours, camarade, le vieux-Monde est derrière toi » : hier, la génération de 1968 pouvait se représenter l’avenir comme une promesse. Dystopie. Aujourd’hui, les jeunes qui manifestent tous les vendredis nous forcent à contempler ce que nous en avons fait ; le vieux-Monde est devant eux, qui leur bouche l’avenir.
Les élections européennes ont eu lieu et l’on est presque soulagé que les droites extrêmes ne soient pas en mesure de constituer un groupe unifié. Pour autant, sans groupe majoritaire, le Parlement européen va devoir fonctionner au gré d’alliances circonstancielles, sans orientation claire, sans feuille de route.
Fait aggravant, la puissance américaine nous met au pied du mur. Après s’en être pris à la Chine et à l’Iran, après avoir contraint les entreprises européennes à se plier à des lois unilatérales, Donald Trump s’apprête sans doute à menacer commercialement l’espace européen. Et il n’aura échappé à personne qu’en face de lui, l’Europe a des problèmes de leadership, entre rébellion des « petits » pays et désunion du « couple » franco-allemand.
Et voilà que la Commission décide de signer l’accord Mercosur, au moment où les postes-clés de la présidence des institutions ne sont pas distribués, comme si la vacance de pouvoir n’avait aucune importance, et comme si les critères de respect de l’Accord de Paris sur le climat n’étaient pas en cause.
Alors, faut-il désespérer et laisser se poursuivre les fractures ? La construction européenne nous est plus nécessaire que jamais. Sa force, pour peu qu’elle s’y tienne, ce n’est ni le jeu de jambe ni l’uppercut, c’est la stratégie du Sumo.
La stratégie du Sumo consiste à s’appuyer solidement sur notre socle : éthique, climatique, industriel, social, régulatoire… ce que nous appelons notre « camp de base ». Notre espace doit être suffisamment structuré pour que ceux qui s’y intéressent soient conduits à en adopter les règles et les valeurs (RGPD, fiscalité des plateformes, stratégie bas carbone…). À condition de ne pas, justement, détruire ces institutions précieuses que sont les instances de dialogue, de ne pas se tromper en dérégulant… À ces conditions, nous saurons faire respecter les valeurs auxquelles nous tenons.
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