Auteur : Simon Fraser
diplomate britannique, vice-président de l’Institut royal des relations internationales de Chatham House et conseiller du programme Europe, et associé-gérant du cabinet Flint Global
Le Brexit n’en finit pas de ne pas finir… Simon Fraser, diplomate britannique, fin connaisseur de la politique européenne, revient sur cette saga et analyse pour nous quel pourrait être le déroulement des prochains mois
A u Royaume-Uni, le débat sur le Brexit est au point mort depuis fin mars. Après une exténuante série de votes parlementaires ayant tous débouché sur des impasses, l’article 50 a été prorogé jusqu’à fin octobre. Mais le Brexit continue d’occuper les esprits et paralyse la vie politique britannique. Theresa May est le second Premier ministre à tomber. Une question agite désormais les conservateurs : qui sera le prochain dirigeant du parti et futur Premier ministre ?
À l’heure où j’écris ces lignes, Boris Johnson – à moins qu’il ne se tire lui-même une balle dans le pied – semble le mieux placé. Il a gagné à sa cause de nombreux députés – dont certains le vouaient aux gémonies il y a encore quelques jours – et il est bien plus populaire dans les rangs du parti que son rival, Jeremy Hunt. Mais les jeux sont loin d’être faits, car la campagne mettra en lumière les faiblesses de Johnson.
L’un de ses deux hommes sera-t-il capable de mettre en œuvre le Brexit ? Johnson se fait fort d’y parvenir d’ici le 31 octobre, avec ou sans accord de sortie, alors que Hunt, lui, n’exclut pas de prendre davantage de temps. Mais changer de dirigeants ne changera pas la donne. Le nouveau Premier ministre sera en butte aux mêmes contraintes que Theresa May. Les négociateurs de l’UE refusent de rouvrir l’accord de sortie, alors que le Parlement britannique, au sein duquel le chef de l’exécutif ne disposera d’aucune majorité, s’oppose aussi bien à l’accord actuel qu’à une sortie sans accord.
Quelle stratégie de renégociation ?
Les deux candidats affirment vouloir renégocier le backstop irlandais et « obtenir un meilleur accord », mais ils n’ont pas réellement de solutions. Les solutions britanniques pour gérer la frontière irlandaise ne convainquent guère les dirigeants européens. Ces derniers sont prêts à discuter la nature de la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni ; seul problème : les Britanniques ne savent pas quelle relation ils souhaitent. Les Européens n’ont pas beaucoup de raisons d’aider Johnson. La plupart des dirigeants ne l’apprécient guère. Ils ne lui font pas confiance et sont loin d’être convaincus de sa capacité à entraîner le Parlement Britannique dans ses menaces de no-deal. Par ailleurs, ils préféreraient éviter qu’avec Nigel Farage il joue un rôle actif à Bruxelles sur le long terme.
En cas d’échec de la « stratégie de renégociation », le nouveau Premier ministre aura à répondre de son choix face au Parlement. Le no-deal sera l’issue légale si aucun accord n’est ratifié d’ici le 31 octobre. Mais si une majorité de députés y sont opposés, ils trouveront un moyen de bloquer le processus, bien aidé par le président de la Chambre des Communes, John Bercow.
À moins qu’il n’ait réussi à négocier un accord plus avantageux, le futur Premier ministre, pour mettre en œuvre la moindre décision sur le Brexit, devra soit modifier le rapport de force au sein du Parlement, soit obtenir un nouveau mandat public. Pour ce faire, il n’y a que deux solutions : une élection ou un second référendum. S’il est au plus haut dans les sondages, Boris Johnson pourrait se sentir en mesure de remporter des élections anticipées. Il s’agirait cependant d’une stratégie très risquée, qui pourrait amener au pouvoir les Travaillistes, et mettre Johnson sur la touche (voilà pourquoi Hunt ne veut pas entendre parler d’élections anticipées). Un second référendum ne serait pas non plus dénué de risques – aggravation des divisions politiques, résultats peu probants, hostilité de la frange pro-Brexit du Parti Conservateur – sans même évoquer ce qui serait le libellé de la question qui devrait être posée aux électeurs.
Quel que soit le scénario, le futur Premier ministre aura bien du mal à débloquer la situation avant la date limite du 31 octobre. La tâche paraît même impossible. Il semble qu’on se dirige tout droit vers une extension de l’article 50. À condition, bien sûr, que l’UE soit d’accord.
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