Par David Elvira-Martinez, PhD
Global Corporate Public Policy Head, Sanofi
Le rapport Draghi nous livre un constat préoccupant de la situation économique européenne : faible compétitivité européenne, faible croissance potentielle, innovation insuffisante. Ces difficultés économiques sont exacerbées par un double défi démographique : le vieillissement de la population et du personnel de santé (1). En effet, une population âgée nécessite davantage de soins, ce qui exerce une pression sur nos systèmes de santé universels et complique l’accès aux soins. Ainsi, les opportunités économiques pour l’Union européenne ne pourront plus reposer sur une augmentation de la démographie et d’ici 2040, la main-d’œuvre européenne devrait diminuer de près de deux millions de travailleurs par an (2).
Les pistes face à la situation économique générale
Trois piliers essentiels sont envisagés par le rapport Draghi pour redresser l’économie européenne :
- Accélérer l’innovation technologique et augmenter significativement les investissements en R&D pour combler le retard par rapport aux États-Unis et à la Chine ;
- Mettre en place un plan cohérent alliant compétitivité économique et réduction des émissions de carbone ;
- Diminuer la dépendance de l’Union Européenne (UE) vis-à-vis des matières premières et
des technologies étrangères.
Repenser les déterminants de la croissance, notamment la productivité européenne, devient donc essentiel afin de construire une Europe à la fois pionnière de la croissance durable, puissance stratégique souveraine et modèle de protection sociale.
En effet, l’économie européenne dispose d’un avantage unique lié à la robustesse de ses modèles de sécurité sociale. Par conséquent, le rapport Draghi qualifie les industries de la santé de critiques pour la compétitivité européenne. En favorisant les investissements en R&D et une production pharmaceutique innovante répondant aux défis sanitaires futurs, nous pouvons garantir notre autonomie stratégique vis-à-vis des importations de solutions de santé, notre compétitivité et attractivité, tout en renforçant notre système de santé.
Une industrie de la santé innovante permet de renforcer la compétitivité et la souveraineté européenne
Le secteur pharmaceutique est essentiel pour la santé, la richesse et la résilience de l’Europe. En effet, il représente à lui seul le plus grand contributeur à la balance commerciale de l’UE, atteignant une valeur d’environ 158 milliards d’euros d’excédent commercial en 2023 (3). Par ailleurs, la productivité de l’industrie pharmaceutique (Gross Value Added: GVA per employee) est bien supérieure à la moyenne des industries européennes (4). De surcroît, l’Europe est un leader mondial dans la recherche et la production de vaccins, hébergeant 22% des essais cliniques mondiaux et les plus grandes installations de recherche (5).
D’autre part, l’industrie pharmaceutique exerce un double impact positif sur l’économie :
- Un impact direct sur l’activité économique en tant que secteur industriel et de services. En 2022, l’industrie pharmaceutique a contribué à hauteur de 311 milliards d’euros au PIB de l’UE27 et de 448 milliards d’euros au PIB européen (3).
- Et un impact indirect grâce aux gains de productivité résultant de l’amélioration de la santé de la population et de la réduction de la pression sur les systèmes de santé. Enfin, elle constitue un investissement fiscalement positif: dans un pays comme la France, les recettes fiscales annuelles du secteur pharmaceutique local sont supérieures aux coûts fiscaux, avec un excédent fiscal de 4,8 milliards d’euros contre 4,2 milliards d’euros, représentant un retour sur investissement de 14 % dans les médicaments (6).
Par ailleurs, un intérêt mutuel entre partenaires publics et privés existe dans le développement de nouvelles thérapies. De nouvelles solutions technologiques basées sur l’intelligence artificielle révolutionnent déjà la santé en accélérant la découverte de traitements innovants pour répondre aux enjeux que soulèvent le vieillissement de la population (7).
Les innovations en santé offrent des solutions pour améliorer la qualité des soins. Elles répondent aux besoins thérapeutiques non couverts des populations tout en bénéficiant à la croissance économique et la productivité de l’Europe grâce à une population en meilleure santé. Ces innovations thérapeutiques, en devenant les médicaments essentiels de demain, peuvent maintenir l’Europe dans une position concurrentielle au niveau mondial.
Des soins préventifs pour une meilleure qualité de vie, un avantage économique et des bénéfices sanitaires
Les bénéfices des progrès pharmaceutiques sont particulièrement évidents dans le domaine de la prévention, dans lequel l’Europe peut être pionnière. Les soins préventifs bénéficient à la santé des populations et des systèmes de santé (augmentation de l’espérance de vie, de la qualité de vie, meilleure efficacité des systèmes de santé), et offrent des avantages économiques substantiels. En effet, un euro investi en prévention génère 14 euros de bénéfice économique dans les pays à revenu élevé (8) et 19 euros pour les vaccinations des adultes (9).
Ces gains, substantiels, peuvent ensuite être réinvestis pour améliorer la qualité des services de santé, développer de nouvelles thérapies, ainsi que soutenir l’éducation et l’emploi, créant ainsi un cercle vertueux entre santé et productivité.
Aujourd’hui l’investissement des gouvernements dans la prévention est autour de 4% (10), avec moins de 0,5% des budgets nationaux alloués à l’immunisation (11). Un investissement accru dans les mesures préventives présente donc un potentiel d’économies à considérer.
La santé : un investissement stratégique pour l’avenir
Une industrie de la santé innovante est donc essentielle pour l’accès des patients et citoyens aux thérapies les plus performantes, tout en bénéficiant à une compétitivité, une souveraineté et une sécurité sanitaire accrue. Elle contribue, par ailleurs, à la rétention des talents, à la localisation des essais cliniques et à l’implantation de sites de recherche et industriels innovants. En effet, dans les nouveaux contextes politiques mondiaux et la forte empreinte de la Chine dans la R&D et l’industrie pharmaceutique, l’Europe doit créer son propre modèle.
Le rapport Draghi alerte sur le fossé de compétitivité du secteur pharmaceutique entre Europe, États-Unis et Chine, principalement liés aux faibles investissements en R&D. Les niveaux d’investissement en R&D pharmaceutique entre États-Unis et Europe, comparables jusqu’en 2014, ont vu les écarts se creuser depuis lors, pour attendre un fossé majeur d’environ 25 milliards d’euros en 2022 (12).
Les conséquences se matérialisent sur l’origine des nouvelles molécules accédant aux marchés : alors que les origines étaient équilibrées entre les deux jusqu’en 2013, les écarts se sont creusés entre 2018 et 2023 pour descendre à seulement 26% des molécules originaires d’Europe, par rapport à 53% des États Unis (13). Le secteur pharmaceutique, en particulier celui des traitements innovants, repose sur des investissements à long terme dans la recherche, le développement et la production. Il requiert donc un cadre réglementaire et juridique stable et prévisible.
D’autre part, malgré tous les bénéfices générés par ce secteur (santé des populations, résilience des systèmes et dynamisme de l’économie), les dépenses continuent d’y être perçues comme un coût plutôt que comme un investissement.
Compte tenu des contraintes budgétaires, un nouveau cadre de gouvernance économique en Europe (14) (Réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance), est entré en vigueur en avril 2024, permettant davantage de flexibilité pour les pays en situation de dette publique et/ou déficit excessifs, afin qu’ils mettent en œuvre des plans de réforme structurelle sur une durée allongée à 7 ans (versus 4 initialement), si ces pays prévoient des investissements publics prioritaires dans 4 domaines clés : transition verte et digitale, défense et résilience économique et sociale.
Il est donc essentiel que la transition des systèmes de santé vers la prévention, approche plus proactive des soins, soit reconnue comme un investissement prioritaire contribuant à la « résilience économique et sociale». Les investissements coordonnés au niveau européen dans l’innovation pharmaceutique et la prévention sont à même de soutenir l’ambition géostratégique et économique de l’Europe.
Un appel à l’action
Les investissements en R&D et production pharmaceutiques innovantes sont un moteur essentiel de l’économie européenne. Outre leurs bénéfices sur la santé des populations et la résilience des systèmes, ils contribuent à la compétitivité, à la souveraineté et à la sécurité sanitaire de l’Europe. Pour maximiser leur potentiel, ces investissements doivent être accompagnés de cadres réglementaires et législatifs propices au secteur (tels que la révision de la General Pharmaceutical Législation en cours) et être intégrés aux priorités bénéficiant de flexibilité dans le cadre de la Réforme du Pacte de stabilité et de croissance.
- EU competitiveness: Looking ahead – European Commission
- Health at a Glance: Europe 2024 – State of Health in the EU Cycle
- International trade in medicinal and pharmaceutical products
- Economic footprint of the pharmaceutical industry in Europe
- Improving the attractiveness of the Vaccines Industry in the European Union
- Poids de la régulation de l’industrie de santé et contribution du G5 santé à l’économie en 2022
- A Blueprint for Competitiveness: Elevating Europe’s Life Science Sector
- Return on investment of public health interventions: a systematic review – PubMed
- The value of prevention for economic growth and the sustainability of healthcare, social care and welfare systems
- Health at a Glance: Europe 2024 – State of Health in the EU Cycle
- Immunization funding across 28 European Countries
- Economic footprint of the pharmaceutical industry in Europe
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- New economic governance framework