La place des pays des Balkans occidentaux sur l’échiquier énergétique de l’Union européenne

Par Marina Glamotchak
Consultante et chargée de recherches en analyse stratégique, politique et économique dans le domaine de l’énergie

L’Union européenne (UE) dispose d’instruments politiques et financiers pour influencer les stratégies énergétiques hors de ses frontières et sa gouvernance extérieure s’accomplit grâce à la Communauté de l’énergie (CE). Cet instrument unique, considéré comme un pilier de la politique énergétique extérieure de l’UE, contribue à sa sécurité énergétique et permet l’extension de l’acquis communautaire énergétique. Quelle est la place des pays des Balkans occidentaux sur l’échiquier énergétique de l’UE ?

Les États voisins et le marché intégré de l’énergie
Pour contrecarrer la stratégie de la Russie sur sa propre périphérie, l’UE a mis en place dès 2006 une Communauté de l’énergie qui a pour but de préparer, dans le domaine de l’énergie, la future entrée dans l’Union de pays limitrophes. Les membres de la CE sont l’UE, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, le Kosovo, la Moldavie (2010), l’Ukraine (2011) et la Géorgie (2017). L’Arménie, la Norvège et la Turquie ont un statut d’observateur. Par ce biais, l’UE a développé une stratégie pour intégrer ces pays dans une structure institutionnelle commune, au sein de laquelle elle peut poursuivre ses intérêts énergétiques dans un environnement familier, celui des règles contraignantes qu’elle a édictées.

Afin d’accroître la sécurité de l’approvisionnement européen, l’idée directrice du « Traité instituant la Communauté de l’énergie » est d’établir des réseaux transeuropéens d’énergie (dans les secteurs de l’électricité, du gaz naturel, du pétrole et des énergies renouvelables) d’abord régionaux, puis de les intégrer progressivement dans les marchés énergétiques communs.

Dans le cadre de la CE, les parties contractantes se sont engagées à respecter les standards européens : libéraliser le marché de l’énergie, appliquer les mesures juridiques, créer des conditions favorables à de nouveaux investissements dans l’énergie, établir un marché régional de l’électricité et du gaz et les relier au marché de l’UE.

Toutes ces mesures doivent à la fois accroître la sécurité de l’approvisionnement européen à travers un marché intégré de l’énergie et renforcer sa capacité institutionnelle et administrative. Afin d’y aboutir, la CE, entre autres, offre des investissements (subventions, prêts, accès à certains programmes de l’UE) et une assistance technique aux parties contractantes.

Ainsi, la Communauté de l’énergie ouvre aux pays des Balkans occidentaux une perspective européenne, car malgré les promesses, un nouvel élargissement européen n’est pas à l’ordre du jour dans l’immédiat.

Les Balkans au carrefour des corridors énergétiques
Depuis la découverte en 1997 d’immenses gisements d’hydrocarbures dans les eaux de la mer Caspienne, l’Europe du Sud-Est se trouve au carrefour des corridors énergétiques, et sa position stratégique sur la route des approvisionnements nécessaires à l’Europe occidentale ne cesse de se renforcer. Cette importance s’accroit compte tenu de la coupure du gaz russe (fin août 2022), puis des sabotages sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 (septembre 2022).

La région balkanique, dernière étape de transit avant le consommateur final, l’Union européenne, occupe à un double titre une position stratégique sur la route des approvisionnements nécessaires de l’Europe. D’une part, la sécurité gazière européenne repose en partie sur le Gazoduc trans-adriatique (TAP) puis les terminaux GNL, dont Krk en Croatie ; d’autre part, un des rares gazoducs russes vers l’Europe fonctionne toujours (TurkStream)¹.

Rappelons que dans le cadre géopolitique de l’UE, le corridor sud-européen cherche à contourner le territoire et l’influence russes afin d’acheminer jusqu’au marché européen le gaz en provenance du gisement offshore de Shah Deniz, situé dans les eaux territoriales azerbaïdjanaises de la mer Caspienne. D’une capacité de 16 milliards de m³ (dont 6 milliards de m³ retenus en Turquie), ce corridor se compose de plusieurs gazoducs :

  • La traversée de la Géorgie et de la Turquie se fera respectivement au moyen des gazoducs du Sud Caucase (SCPX), Caucase Sud (SC) et Trans-Anatolie (TANAP),
  • Le Gazoduc Trans-Adriatique (TAP) relie la frontière gréco-turque au sud de l’Italie, en passant par l’Albanie.

Afin que les pays des Balkans ne soient pas seulement des pays de transit du gaz, il faudrait assurer plusieurs connexions gazières avec le TAP dont Ionian Adriatic Pipeline (IAP) entre des pays ayant accès à la mer Adriatique (Albanie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine et Croatie). Ce gazoduc IAP fera partie intégrante de l’anneau gazier des Balkans (Western Balkan Gaz Ring) par lequel les pays de la région seront interconnectés entre eux. Avec le forage dans l’Adriatique et la construction des Terminaux GNL de Krk (Croatie), de Vlora (Albanie) et de Bar (Monténégro), l’IAP pourrait recevoir également du gaz de ces sources supplémentaires pour approvisionner l’Europe.

A ce titre, l’Interconnexion Grèce/Bulgarie (IGB) raccorde ce dernier pays au gazoduc TAP et au terminal gazier grec d’Alexandropoulos, alimenté par des livraisons de GNL de l’Algérie, du Qatar et des États-Unis.

L’UE et le corridor trans-balkanique
Avec le changement climatique et la transition énergétique, l’électricité s’invite dans le grand débat énergétique. N’ayant presque aucun concurrent dans cet édifice inédit, l’UE est en train de construire un véritable monopole des connexions électriques.

En vue d’articuler les politiques énergétiques, la Commission européenne a procédé à une intégration du marché intérieur de l’électricité dans laquelle les pays des Balkans ont été inclus. Le câble sous-marin entre le Monténégro et l’Italie a été le premier projet mis en place. Quant aux pays des Balkans, ils doivent renouveler leurs capacités nationales de production et élargir cette capacité avec des énergies renouvelables² en « verdissant » le secteur de l’énergie dans la région, marquée par le charbon.

Enfin, des connexions nationales et transfrontalières à haute tension sont nécessaires, d’une part, pour satisfaire les besoins nationaux plus élevés en matière de production d’électricité et, d’autre part, pour équilibrer la fluctuation de la production des énergies renouvelables et ouvrir la possibilité d’exporter de l’électricité vers l’Union européenne.

Deux étapes importantes, indispensables pour relier les réseaux électriques de la région avec ceux de l’UE, permettront l’augmentation de la capacité transfrontalière entre les pays des Balkans et une exportation de l’électricité vers l’UE.

La première étape consiste en la réalisation de liaisons stratégiques :

  • reconnecter les lignes des anciennes républiques yougoslaves,
  • connecter le Monténégro à l’Albanie (déjà connectée avec le Kosovo),
  • établir des liaisons entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie, le Kosovo et la Grèce.

La deuxième étape permettra de relier complètement les marchés d’Europe orientale et occidentale par la construction du corridor trans-balkanique (un système de transport de tension de 400 kV). Le corridor implique deux États membres de l’UE (Roumanie et Italie) et trois parties contractantes de la Communauté de l’énergie (Serbie, Bosnie-Herzégovine et Monténégro). Du fait que le système électrique monténégrin est déjà relié par un câble sous-marin avec l’Italie, il est nécessaire d’intégrer le système monténégrin dans le système électrique de l’Europe du Sud-Est (Albanie, Grèce, Macédoine du Nord), d’une part, et, d’autre part, de renforcer les connexions avec les deux systèmes limitrophes (serbe et bosnien).

Cependant le câble sous-marin, conçu pour faire du Monténégro une plaque tournante dans le domaine de l’électricité, relie les systèmes électriques de l’Italie, du Monténégro, puis de la Serbie, de la Bosnie-Herzégovine et cela sur les lignes de vieilles centrales à charbon ! Afin d’augmenter les autres flux d’électricité vers les pays de l’UE, le corridor trans-balkanique comprend les projets de nouvelles lignes de transport double de 400 kilovolts (kV) entre les sous-stations électriques (TS) de Serbie et de Roumanie, puis entre les TS serbes, la mise à niveau du réseau de transport à 400 kV de l’ouest de la Serbie et une nouvelle ligne de transport au Monténégro.

Cette connexion des systèmes électriques permettra à l’Italie d’importer 3095 MW : la Roumanie exportera 1200 MW, la Serbie 250 MW, la Bosnie-Herzégovine 500 MW et le Monténégro 120 MW.

Conclusion
Pour assurer sa propre sécurité énergétique, notamment en matière de diversification et de sécurisation des voies d’acheminement, l’UE a intégré la région des Balkans dans un processus émergent, voire sa politique énergétique.

Ainsi, sur le plan de l’énergie – même si le processus d’intégration des pays des Balkans occidentaux à l’UE patine depuis deux décennies – ces pays font déjà partie intégrante de l’UE.

  • ¹ Quand l’UE a imposé la séparation entre les producteurs et les distributeurs la Russie a construit le gazoduc Turk Stream (2014) à la porte de l’UE et a arrêté le transit du gaz destiné aux pays des Balkans via l’Ukraine.
  • ² L’initiative South East Europe Energy Roadmap (SEERMAP) tente de remplacer de l’énergie fossile utilisée (30% en 2030 et 95% en 2050).

Pour en savoir plus sur Marina Glamotchak
Consultante et chargée de recherches en analyse stratégique, politique et économique dans le domaine de l’énergie, elle est collaboratrice de plusieurs instituts de recherches.
Elle est l’auteur de plusieurs articles et livres, dont l’Insécurité énergétique européenne – Enjeu stratégique dans les Balkans (Technip, Paris, 2023) et L’enjeu énergétique dans les Balkans. Stratégie russe et Sécurité européenne (Technip, Paris, 2013). Ses travaux les plus récents se concentrent sur la stratégie énergétique ainsi que sur les dynamiques sociales face à la transition énergétique.

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