Pierre Fouquet, Chargé de missions Énergie et Numérique au bureau bruxellois de Confrontations Europe
Que serait une démocratie sans son double, la participation politique ? Or, si cette dernière ne s’exprime pas exclusivement à travers le vote, les urnes sont bien l’une des pierres angulaires de nos démocraties représentatives, un fidèle baromètre de leur état de forme. Le tableau est, à ce titre, peu encourageant, notamment du côté des jeunes. Leur abstention massive ne cesse de s’installer dans le paysage politique européen : seulement 42 % des jeunes européens ont participé à l’élection européenne de 2019 contre plus de 55 % pour les plus de 55 ans. À l’échelle nationale, l’élection présidentielle n’a mobilisé qu’un peu plus de la moitié des moins de 25 ans au premier tour, 41% d’entre-deux s’étant abstenus.
Pire, la conjoncture actuelle risque d’aggraver le phénomène. N’oublions pas que les jeunes ont consenti à de grands sacrifices durant la pandémie de Covid-19 et ont payé un lourd tribut sur le marché du travail. En 2020, l’UE a par exemple enregistré plus de 2 millions de demandeurs d’emplois supplémentaires. Une hausse du chômage qui touche principalement les jeunes et les citoyens les moins diplômés, le taux des 15-29 ans en « risque de pauvreté ou d’exclusion sociale dans l’UE » était à cet égard de 25,4 %, ce qui correspond à environ 18,1 millions de jeunes.
Dans ce contexte, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que 2022 serait l’année européenne de la jeunesse. Cette initiative pose donc une question fondamentale : de quelle jeunesse parle-t-on ?
Une participation politique différente mais toujours engagée
Cette désaffection à l’égard de la politique et plus largement de la démocratie est multifactorielle : dilution idéologique, crise des organisations politiques, montée de l’individualisme, déception vis-à-vis du personnel politique…
Si une majorité semble désabusée par le vote, la jeunesse n’a pourtant pas renoncé à la mobilisation politique, comme le démontre l’implication dont elle fait preuve sur le front du climat, de la lutte contre les discriminations ou du combat pour la réduction des inégalités. La participation politique ne se cantonne pas aux urnes, loin de là.
À ce titre, la Conférence sur l’avenir de l’Europe ambitionnait d’être le parfait exemple d’une démocratie participative fondée sur la délibération et la reconnexion du citoyen avec le politique. L’UE a, sans nul doute, revitalisé son processus démocratique en faisant la promotion d’une participation citoyenne à la prise de décision politique. Après quelques 6 465 évènements, 7 plénières et plus de 49 propositions, la tâche la plus ardue reste néanmoins à accomplir : convertir les grandes promesses politiques en réalisations concrètes.
Même si les institutions s’efforcent de constituer des groupes représentatifs de la diversité de l’UE, les jeunes prenant part à ce genre de vastes consultations ou à d’autres mobilisations politiques, sont sociologiquement et géographiquement identifiés. Ils appartiennent bien souvent aux catégories sociales les plus favorisées, se sentent légitimes à s’occuper des affaires de la cité et demeurent conscients de leurs intérêts à le faire. C’est d’ailleurs la critique majeure émise à l’encontre du modèle « citoyen » de ces modes de démocratie participative, en raison de son caractère élitiste et de sa captation par des structures déjà engagées sur ce sujet.
Développer la mobilité, réduire les inégalités
Que faire pour ces jeunes qui n’y croient plus, qui ont déserté le champ de la politique, les travailleurs précarisés ou sans emploi, les révoltés ou les désengagés, les plus éloignés de la décision politique ? Ce sont souvent les catégories sociales les plus défavorisées, celles qui rentrent dans la vie sans qualification, ni formation. La réponse est connue : l’école. Car nous le savons bien, les connaissances et les compétences sont le ferment de l’insertion sociale. Ainsi, en 2017, les Français, dans leur grande majorité considéraient Erasmus+ comme la plus grande réussite concrète de l’UE. Toutefois, ce programme reste souvent, là aussi, l’apanage des étudiants du supérieur. Or, la mobilité participe, non seulement du développement d’un sentiment d’appartenance européen, mais aussi à la constitution d’un capital européen que chaque jeune pourra faire fructifier dans sa vie professionnelle et personnelle. L’ouverture massive d’Erasmus+ aux apprentis et aux élèves en formations professionnelles ainsi que la création d’un service civique européen pourraient dès lors offrir à ces jeunes, une expérience concrète de la mobilité et un aperçu de la diversité culturelle qui compose l’UE.
Placé en haut de la pile des dossiers de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), le sentiment d’appartenance est incontestablement un des moteurs les plus puissants de l’intégration européenne. Pour créer cette communauté de destin entre Européens, il conviendrait de commencer, en priorité, par l’avenir : sa jeunesse. La mobilité de toutes et tous et la participation citoyenne sont, entre autres, des voies à investir avec force. Les crises et les immenses défi s qui nous attendent, à l’image de la transition environnementale, seront des combats gagnés à la seule condition qu’ils soient menés ensemble. Pour cela, il apparaît essentiel d’écouter et de parler à toute la jeunesse sans oublier « ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte », comme nous y invitait Charles Péguy.