Nathan Bliscaux, ingénieur en optimisation des systèmes énergétiques et analyste de marché au sein du Dalkia.
Dans cet article pour Confrontations Europe, Nathan Bliscaux, aborde les enjeux de la décarbonation de la fourniture de chaleur en Europe, un domaine central de la transition énergétique pourtant encore trop méconnu.
«D’ici à 2030, 35 millions de bâtiments pourraient être rénovés et jusqu’à 160.000 emplois verts supplémentaires créés dans le secteur de la construction »»
STRATÉGIE DE LA “VAGUE DE RÉNOVATION“, COMMISSION EUROPÉENNE
Quand vient l’heure d’évoquer le développement durable ou encore l’efficacité énergétique, une grande thématique reste le plus souvent aux abonnés absents : celle de la chaleur. Et pourtant, la chaleur dite dérivée recouvrant la production de chaleur au sein des centrales de chauffage et de cogénérations représente pour l’année 2021, rien qu’à l’échelle de l’Union européenne, une production atteignant les 651 TWh. (Eurostat 2022)
Confinée dans des fours industriels pour produire de l’acier ou circulant dans les conduits des logements, l’énergie thermique, appelée communément chaleur, continue aujourd’hui de représenter la part belle de la consommation énergétique en Europe. Bien qu’encore largement carbonée, la production de chaleur tend à se verdir au sein de l’UE avec actuellement un tiers de cette chaleur qualifiée de propre car produite à l’aide d’énergies renouvelables. (Eurostat 2022) et (Defreville 2022)
Si la part des renouvelables poursuit une trajectoire croissante, elle ne constitue pas la seule et unique voie afin de répondre aux ambitieux objectifs du Green Deal et du plus récent plan Fit for 55 fixés par la Commission européenne. (Commission Européenne 2020) et (European Council et Council of the European Union 2023).
En effet, la mutualisation de systèmes de chauffage présente également un fort intérêt dans un but d’amélioration des performances énergétiques et de sobriété. De fait, les réseaux de chaleur semblent être le meilleur moyen afin de réaliser cette mutualisation. Au nombre de 6000 en 2015 en Europe, ces réseaux permettaient déjà de chauffer quelque 60 millions de personnes, représentant alors pas moins de 11 à 12% du marché de chauffage de l’espace communautaire. Répartis de façon inégale entre les pays, ces réseaux sont bien développés dans les pays nordiques où ils sont d’ores et déjà le moyen de chauffage dominant. La France, elle, en comptait près de 900 en 2021 satisfaisant les besoins de 2 millions de foyers. (Cerema 2022) et (FEDENE 2022)
FIGURE 1 : RÉSEAUX DE CHALEUR EN EUROPE (SOURCE : UNIVERSITÉ D’HLAMSTAD ET ALBORG, 2013
La technologie des réseaux de chaleur n’est de surcroît pas bien complexe. Simple système de distribution de chaleur centralisé, un réseau comprend une ou plusieurs unités de production de chaleur et un réseau de distribution primaire transportant cette chaleur à l’aide d’un fluide caloporteur ainsi que des sous-stations d’échange. Ces sous-stations permettent le transfert de chaleur par le biais d’échangeurs avec des réseaux secondaires directement intégrés au sein des structures chauffées (logements collectifs, bureaux voire logements individuels). De surcroît, les réseaux de chaleur présentent un certain nombre d’autres atouts avec notamment une extrême adaptabilité en matière de transition des énergies fossiles, comme le gaz naturel ou le charbon, vers des énergies plus vertes et valorisables. À cela s’additionne l’intérêt technico-économique d’un moyen de chauffage centralisé permettant in fine la réduction de coûts d’opération et de maintenance. En plus de cela, la dimension territoriale de ces réseaux offrant la possibilité de mobiliser des sources énergétiques locales et potentiellement plus propres. (Agence de la transition écologique 2022) et (Ministères Écologie Énergie Territoires 2023)
FIGURE 2 : SCHÉMA RÉSEAU DE CHALEUR (SOURCE : CEREMA SUR LE SITE DU MINISTÈRE ÉCOLOGIE ÉNERGIE TERRITOIRES 2023
Publiée par la Commission en 2020 au moment du Green Deal, la « Renovation Wave » vise à considérablement accélérer le rythme des rénovations énergétiques en Europe. Parmi l’un des segments les plus énergivores du fait d’un parc de logement ancien sur l’ensemble du continent, les bâtiments représentent à eux seuls 40% de la consommation énergétique totale de l’UE. Thématique environnementale de premier plan, la rénovation énergétique l’est aussi sur le front du social dans l’optique de lutter activement contre la précarité énergétique ; c’est pourquoi la vague de rénovation planifie de doubler le rythme des rénovations d’ici à 2030.
C’est dans ce même esprit qu’a été adoptée en septembre 2023 la directive relative à l’efficacité énergétique. Mettant en avant les atouts des réseaux de chaleur dans un objectif d’économies d’énergie primaire, cette législation appuie l’intérêt d’accentuer l’efficacité de ces réseaux tout en y intégrant de plus en plus d’énergies renouvelables. L’article 26 de cette directive définit notamment ce qu’est un réseau de chaleur efficace à l’aide de pourcentages d’énergies renouvelables, telles les bioénergies (biomasse et biométhane) ou la géothermie, utilisées comme source d’approvisionnement en chaleur. Si jusqu’au 31 décembre 2027, est considéré comme efficace un réseau de chaleur utilisant au moins 50 % d’énergies renouvelables, la législation ne cesse ensuite de se renforcer. À noter également que les énergies renouvelables ne sont pas les seules sources considérées dans l’article 26. Effectivement, la directive prend aussi en compte la chaleur fatale, des industries par exemple, ainsi que la chaleur issue de la cogénération et permet d’atteindre les fameux 50 % en combinant ces différentes sources. Reste qu’à moyen terme les conditions établies sont de plus en plus exigeantes aboutissant en 2050 à des réseaux de chaleur dits efficaces car utilisant exclusivement des énergies renouvelables ou de la chaleur fatale. (Journal officiel de l’Union européenne 2023)
Pour ce faire, des nouvelles générations de réseaux de chaleur sont actuellement en développement après celles ayant déjà permis une amélioration considérable de l’efficacité énergétique de ces réseaux. L’enjeu est dès à présent de s’orienter vers des réseaux capables de s’adapter aux nouvelles constructions plus économes en énergie et capable même de réinjecter sur le réseau de distribution primaire une partie de leur énergie thermique. (ADEME 2019)
F I G U R E 3 : G É N É R A T I O N D E R É S E A U X D E C H A L E U R (T H O R S E N , L U N D , M A T H I E S E N 2 0 1 6)
L’approvisionnement en chaleur via les énergies renouvelables de ces réseaux est lui aussi amené à croître. Une évaluation des potentiels nationaux en termes de chaleur et de froid doit d’ailleurs être soumise par chaque État auprès de la Commission en conformité au règlement (UE) 2018/1999 concernant la promotion de l’énergie produite à partir des énergies renouvelables. Ce même règlement, revu il y a maintenant deux ans, fixe des exigences concrètes en lien direct avec la directive européenne initiale de 2018 sur les renouvelables, aussi dénommée directive RED II pour Renewable Energy Directive II. Une version par ailleurs réactualisée de cette directive est entrée en vigueur cet automne, RED III. Concernant l’intégration des énergies renouvelables au sein du chauffage, l’article 23 révisé de cette directive affiche, contrairement à la version précédente de la directive RED II, un objectif contraignant pour les États. Ces derniers doivent assurer une hausse de la part des énergies renouvelables d’au moins 0,8 point de pourcentage en moyenne annuelle calculée pour la période 2021-2025 puis d’au moins 1,1 point entre 2026 et 2030 afin de remplir les objectifs du plan Fit for 55. L’article 24 ciblant ici les réseaux de chaleur rehausse quant à lui l’objectif d’augmentation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ainsi que de chaleur fatale. Cet objectif passe en effet de 1 point dans la version de 2018 à 2,2 points de pourcentage en moyenne annuelle calculée pour la période 2021-2030 par rapport à 2020.
Cet objectif passe en effet de 1 point dans la version de 2018 à 2,2 points de pourcentage en moyenne annuelle calculée pour la période 2021-2030 par rapport à 2020. Cet objectif reste ici cependant non contraignant. De surcroît, ce même article révisé renforce les droits des clients des réseaux de chaleurs. Les clients ont le droit de se déconnecter si le réseau de chaleur existant ne remplit pas les critères d’un chauffage efficace et que leur solution alternative d’approvisionnement en chauffage ou en refroidissement entraîne une performance énergétique nettement meilleure. (Commission Européenne 2021), (Journal officiel de l’Union européenne 2018) et (Journal officiel de l’Union européenne 2023b).
Dès à présent, des projets ambitieux ont pu voir le jour au sein de pays européens comme la France avec l’aide de dispositifs tels que le Fonds Chaleur participant activement au développement de réseaux de chaleur propre. À titre d’illustration, la ville de Dijon a fait le choix il y a maintenant presque une décennie d’un réseau de chaleur propre grâce à l’engagement financier à hauteur de 11 millions d’euros de ce fonds. Aujourd’hui, la métropole dijonnaise bénéficie d’un réseau de chaleur propre combinant une chaufferie biomasse aux côtés d’une usine d’incinération de déchets ménagers de la métropole. Ce réseau de chaleur alimenté à 80 % par une chaleur issue des énergies renouvelables n’est qu’un projet parmi d’autres en Europe avec notamment celui de Rotterdam, aux Pays-Bas qui emploie la chaleur industrielle produite par le port pour chauffer pas moins de 145.000 foyers. (Dalkia et Dijon métropole Non datée) et (Dalkia et Association des Directeurs Généraux des Communautés de France 2016)
Face aux dérèglements climatiques et aux étés de plus en plus caniculaires, le froid, pendant du chaud, est une problématique de plus en plus prégnante. Selon l’ADEME, les besoins de froid dans les secteurs résidentiels et tertiaires pourraient dépasser 28 TWh en 2050. Il est de fait urgent de penser ces réseaux de froid propres de manière analogue à ceux de chaleur afin de lutter notamment contre les phénomènes d’îlots de chaleur en périodes estivales. C’est ce que l’Union européenne s’efforce de faire au travers de ces directives fraîchement rééditées et mentionnant les deux types de réseaux. (Observatoire des réseaux de chaleur et de froid Non daté) et (FEDENE 2022).
SOURCES :
ADEME. 2019. « Réseaux de chaleur et de froid, état des lieux de la filière: marchés, emplois, coûts », mai, 89.
Agence de la transition écologique. 2022. « Les réseaux de chaleur – Ademe ». 16 février 2022. https://expertises.ademe.fr/energies/energies-renouvelables-enr-production-reseaux stockage/passer-a-laction/transport-lenergie/reseaux-chaleur.
Cerema. 2022. « Les réseaux de chaleur en Europe et dans le monde ». 25 janvier 2022. https://reseaux-chaleur.cerema.fr/espace-documentaire/les-reseaux-chaleur-en-europe-et dans-monde.
Commission Européenne. 2020. « Une vague de rénovations pour l’Europe: verdir nos bâtiments, créer des emplois, améliorer la qualité de vie ». 20 2020. https://eur lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:0638aa1d-0f02-11eb-bc07-
01aa75ed71a1.0001.02/DOC_1&format=PDF.
2021. « Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil ». 14 juillet 2021. https://eur lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021PC0557&from=FR.
Conseil Européen, et Conseil de l’Union Européenne. 2023. « Chronologie – Pacte vert pour l’Europe et ajustement à l’objectif 55 ». 15 novembre 2023. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/timeline-european-green-deal-and fit-for-55/.
Dalkia, et Association des Directeurs Généraux des Communautés de France. 2016. « Les réseaux de chaleur ». https://www.adgcf.fr/upload/billet/609-livret-dalkia.pdf.
Dalkia, et Dijon métropole. Non datée. « LE RÉSEAU DE CHALEUR DE DIJON MÉTROPOLE LA CHAUFFERIE BIOMASSE DES PÉJOCES ». https://www.dijon-energies.fr/sites/dijon energies/files/2018-12/reseau-de-chaleur-de-Dijon-metropole_0.pdf.
Defreville, Hugues. 2022. « La chaleur renouvelable c’est quoi ? • Newheat ». Newheat. 2 avril 2022. https://newheat.com/quest-ce-que-la-chaleur-renouvelable/.
European Commission. Site actualisé. « Renovation Wave ». Site actualisé. https://energy.ec.europa.eu/topics/energy-efficiency/energy-efficient-buildings/renovation wave_en.
European Council, et Council of the European Union. 2023. « Fit for 55 ». 15 novembre 2023. https://www.consilium.europa.eu/en/policies/green-deal/fit-for-55-the-eu-plan-for-a-green transition/.
Eurostat. 2022. « Eurostat – Electricity and Heat Statistics ». Eurostat – Statistics Explained. juillet 2022. https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php? title=Electricity_and_heat_statistics.
FEDENE. 2022. « Enquête des réseaux de chaleur et de froid ». https://www.fedene.fr/wp content/uploads/sites/2/2022/11/FEDENE_EARCF2022-Synthese-WEB_compressed.pdf.
Journal officiel de l’Union européenne. 2018. « DIRECTIVE (UE) 2018/ 2001 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL – du 11 décembre 2018 – relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables », décembre, 128.
2023a. « Directive (UE) 2023/… du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 (refonte) », septembre, 111.
2023b. « Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil », octobre, 77.
Ministères Écologie Énergie Territoires. 2023. « Réseaux de chaleur ». 30 mai 2023. https://www.ecologie.gouv.fr/reseaux-chaleur.
La-chaleur-propre-comme-enjeu-de-renovation-energetique-europeen-Quel-potentiel-pour-les-reseaux-de-chaleur-dans-le-Pacte-vert-2