Philippe HERZOG
Président fondateur, Confrontations Europe
La victoire d’Emmanuel Macron marque la fin d’un cycle de la représentation politique. Les Français ont renvoyé aux vestiaires les partis qui ont occupé en alternance le sommet de l’État, et donné sa chance au nouveau Président qui a préparé de longue date et avec beaucoup d’intelligence son entrée en scène. Pour autant la crise politique demeure bien visible : un grand nombre de Français ont exprimé un rejet radical du « système », un euroscepticisme profond ; et une abstention de grande ampleur souligne le peu d’intérêt porté à l’Assemblée Nationale. Une opportunité s’ouvre, à chacun de la saisir, lui et nous, sachant qu’un véritable changement exigera de profondes évolutions des mentalités et un partage des responsabilités. Il y a 20 ans déjà, dans un livre intitulé « Reconstruire un pouvoir politique » où plusieurs personnalités de Confrontations se sont exprimées, j’ai présenté un diagnostic de la crise de notre démocratie et appelé à une révolution des rapports entre la société civile et l’État. « Gouverner en partenaires » : ceci est toujours d’actualité.
Le nouveau gouvernement réunit des personnalités issues de partis de droite et de gauche ainsi que de la société civile. Le Parlement lui est très majoritairement acquis. Le contraste est fort avec les gouvernements de François Hollande où l’esprit partisan allait de pair avec l’étalage indécent des divisions. Mais le nouveau Président n’a pas encore présenté une vision, un projet mobilisateur pour tous, alors que la société est profondément divisée entre des catégories sociales qualifiées et actives et une masse de gens sous qualifiés ou au chômage, de jeunes en échec scolaire, dont beaucoup vivent sur des territoires ravagés par la désindustrialisation et la ¬déshérence des ruralités, et où les violences se développent. Le pouvoir central est fragile et pourtant il va devoir faire participer les forces vives du pays à son redressement, qui implique de reconstruire une société civile, d’insérer les exclus et d’élever les potentiels humains.
La « modernisation » du modèle social va s’engager. La mobilité sur le marché du travail, la formation professionnelle et la sécurisation des parcours sont trois dimensions indissociables. Plus qu’un dialogue social traditionnel pour renégocier les droits, il y a besoin d’une convergence et d’une coresponsabilité de tous les acteurs publics, privés et sociaux concernés, pour gagner l’adhésion et la volonté de changement des travailleurs eux-mêmes. Il ne faut pas oublier aussi qu’une mobilité ne fait sens qu’accompagnée d’une stratégie de réindustrialisation susceptible de créer des emplois durables et de réduire des déficits commerciaux dont l’ampleur est extrêmement grave.
Il manque encore l’annonce d’une stratégie de réforme de l’État, alors que l’ampleur croissante des dettes publiques et sociales témoigne de l’inefficacité profonde de son administration. Et la réforme de l’éducation nationale paraît très timide au regard de sa crise avérée mais masquée. Le silence demeure sur les contenus scolaires imposés par l’élitisme républicain et les corporatismes centralisés, et sur le manque de liens entre l’école, l’entreprise et la vie active.
Emmanuel Macron est élu dans un contexte économique international plus favorable que celui qu’ont connu ses prédécesseurs, et plus significatif encore est le changement de la donne géopolitique. La politique de Donald Trump oblige l’Union européenne à mieux assumer ses propres responsabilités, comme Angela Merkel l’a clairement souligné. Avec un Brexit rendu très incertain par la grave crise politique au Royaume-Uni, l’Allemagne a impérativement besoin de travailler avec un partenaire français plus responsable, et tous les deux doivent coopérer avec les pays de l’Est qui sont des partenaires indispensables. La bonne nouvelle est qu’Emmanuel Macron, européen convaincu, donne priorité au retour de la France en Europe. Une nouvelle consolidation de la zone euro et une politique commune de sécurité et défense sont désormais possibles. Encore faut-il que les Français eux-mêmes, dans leur masse, apprennent à devenir européens, et fassent preuve de discipline autant que d’ouverture.
Nous ouvrons un crédit à Emmanuel Macron, et avec esprit critique et constructif nous participerons aux combats pour redresser la France et refonder l’Europe dans leurs trois dimensions indissociables, culturelle, économique et politique.