Pour le Triangle de Weimar, il est temps de passer à l’action

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Par Melchior Szczepanik, Chef du bureau de Bruxelles, Institut polonais des affaires internationales (PISM)

Le Triangle de Weimar : une nouvelle renaissance

À première vue, le Triangle de Weimar est une forme de coopération qui semble prédestinée à devenir un moteur dynamique de l’intégration européenne. Il réunit trois grands États membres de l’Union européenne en tenant compte des besoins d’importantes coalitions régionales : le Nord frugal, le Sud et le flanc oriental. Toutefois, en raison de divergences de vues, le format n’a jamais vraiment atteint son potentiel.

La formation d’un nouveau gouvernement en Pologne, en décembre 2023, soutenu par une large coalition de partis généralement favorables à une coopération étroite avec l’UE, a ouvert la voie à une relance du format. En mai 2024, les ministres des affaires étrangères des trois pays ont adopté l’Agenda de Weimar . Ils se sont notamment engagés à dépenser davantage pour la défense et à maintenir un soutien indéfectible à l’Ukraine. Ils ont également appelé à ce que l’UE qui parle d’une seule voix en matière de politique extérieure et ont affirmé que le rôle du Haut Représentant devait être renforcé. En outre, les ministres se sont déclarés déterminés à soutenir une politique climatique mondiale ambitieuse et équitable. La réactivation du Triangle de Weimar a été mentionnée par le ministre polonais des affaires étrangères, Radek Sikorski, parmi les dix événements les plus importants de la politique étrangère polonaise au cours de la première année de son mandat .

La transformation de l’UE nécessite un leadership

La réactivation de Weimar ne pouvait pas arriver à un moment plus opportun, car l’UE a un besoin urgent d’un leadership audacieux. Pour s’imposer dans un monde de plus en plus perturbé, l’UE et ses États membres doivent s’adapter. Les principaux objectifs du nouveau cycle politique peuvent être regroupés sous trois rubriques : la sécurité, l’économie et les réformes internes. L’Union doit renforcer sa capacité à se défendre, à soutenir l’Ukraine et à contenir les attaques de la Russie contre l’ordre fondé sur des règles. En outre, l’Union tentera de stimuler la croissance, mais en respectant ses ambitions en matière de climat et de protection de la biodiversité. Enfin, l’UE a besoin d’une introspection approfondie qui débouchera sur des réformes des politiques communes, des procédures de prise de décision et du budget. Ces modifications devraient permettre à l’UE d’agir
rapidement en cas de crise, de se doter de moyens financiers à la hauteur de ses ambitions et d’utiliser ses ressources de manière plus efficace.

Sur les questions mentionnées ci-dessus, le Triangle de Weimar pourrait fournir des modèles de réformes et les mener. Compte tenu de leur potentiel diplomatique, militaire et économique, les trois pays sont essentiels pour maintenir un soutien significatif à l’Ukraine et pour construire un pilier européen fort au sein de l’OTAN. La réalisation de l’objectif d’une coopération plus étroite dans le secteur de l’industrie de la défense dépendra également en grande partie de leur détermination. Sur le plan économique, si la Pologne peut se prévaloir d’une croissance dynamique, la plupart des entreprises qui pourraient devenir des « champions européens » viennent de France et d’Allemagne. C’est d’ailleurs cette dernière qui dispose de la puissance financière nécessaire à une révolution industrielle. Weimar pourrait ainsi devenir le laboratoire d’une politique industrielle équilibrée, qui ne perturbe pas la concurrence sur le marché unique et répartit équitablement le fardeau de la décarbonisation. En outre, un accord préliminaire entre les payeurs nets et le principal bénéficiaire net du budget de l’UE pourrait faciliter un compromis sur le cadre financier pluriannuel. Enfin, une coordination étroite au sein du Triangle de Weimar est primordiale si l’UE veut maintenir un front uni dans les discussions avec la nouvelle administration américaine sur les différents aspects de la coopération transatlantique.

Pour planifier les réformes, les décideurs ne manquent pas d’idées et d’inspiration. Le rapport d’un groupe d’experts franco-allemand de septembre 2023 a exhorté les États membres à envisager des changements institutionnels audacieux . Récemment, un grand nombre de recommandations ont été formulées dans des analyses présentées par des groupes de réflexion polonais .

Un plaidoyer en faveur d’une coopération de Weimar plus ambitieuse n’implique pas que les trois participants doivent négliger d’autres formes de coopération multilatérale intra-UE. Au contraire, pour que Weimar devienne un moteur d’intégration, les trois partenaires doivent accorder une grande attention aux préoccupations de leurs alliances régionales traditionnelles.

La Pologne, par exemple, continuera à travailler en étroite collaboration avec ses partenaires du flanc oriental, particulièrement menacés par l’attitude agressive de la Russie, et donnera donc le ton du débat sur l’amélioration de la résilience et de la préparation de l’Union à toute une série de crises et de menaces.

Une réflexion plus orientée vers la communauté est nécessaire

La renaissance de Weimar n’a pas effacé les divergences entre les partenaires. Ces dernières années ont été marquées par plusieurs affrontements très médiatisés concernant la meilleure façon de soutenir l’Ukraine, le commerce, l’avenir du budget de l’UE et la politique énergétique. Les facteurs liés à la politique nationale – faibles majorités parlementaires, désaccords au sein des coalitions au pouvoir – pourraient également constituer un obstacle à une coopération fructueuse, car ils sapent
l’énergie des dirigeants et entravent les initiatives audacieuses au niveau de l’UE. Dans les trois pays, le fort soutien social dont bénéficient les forces politiques eurosceptiques dissuade les gouvernements d’envisager de faire des concessions dans l’intérêt commun à long terme.

Pour que le Triangle de Weimar atteigne son plein potentiel, il ne doit pas se limiter à des consultations et à de nobles déclarations. Les partenaires doivent parvenir à des positions communes et les mettre en pratique, par exemple en progressant enfin dans la promotion de la coopération dans le domaine de l’industrie de la défense.

Ils doivent faire preuve de détermination pour dépasser les perspectives à court terme et s’attaquer aux intérêts particuliers au nom d’avantages clairs pour la communauté. Les dirigeants de Weimar ne devraient pas hésiter à réévaluer même les aspects de leur stratégie européenne qui ont longtemps eu le statut de dogmes. L’Allemagne doit surmonter son aversion pour la dette et accepter que la puissance militaire soit parfois nécessaire pour défendre les intérêts de l’UE. La France pourrait faire preuve de plus de souplesse pour concilier la volonté d’autonomie stratégique de l’Europe et une coopération étroite avec des partenaires fiables non-membres de l’UE, tandis que la Pologne pourrait adopter des changements institutionnels, en renonçant notamment à l’unanimité. La France et la Pologne seraient bien avisées de s’engager auprès des agriculteurs et des lobbies agricoles pour dissiper leurs appréhensions à l’égard de l’accord commercial du Mercosur et ouvrir la voie à la transition verte dans l’agriculture. Enfin, les dirigeants de Weimar renforceront leurs appels aux réformes au niveau de l’UE s’ils s’efforcent en même temps d’améliorer les réglementations nationales afin de rationaliser la transition verte, de stimuler les innovations et de soutenir les entrepreneurs.


  1. Un programme de Weimar pour une Union forte et géopolitique, 22 mai 2024, www.gov.pol. ︎
  2. R. Sikorski sur X le 13 décembre 2024. ︎
  3. Naviguer en haute mer : réformer et élargir l’UE pour le XXIe siècle. Rapport du groupe de travail franco-allemand sur la réforme institutionnelle de l’UE, 18 septembre 2023. ︎
  4. Voir : UE2029 : Défis pour la Commission européenne et recommandations, Institut polonais des affaires internationales, octobre 2024 ; Quelles politiques pour une Europe sûre et compétitive ? 10 idées pour la Commission européenne, Institut économique polonais, décembre 2024 ; Re-charging Europe, Green Economy Institute, Cambridge Econometrics, janvier 2025. ︎

The Weimar Triangle: yet another revival

At first glance the Weimar Triangle is a cooperation formula that seems predestined to be a dynamic driver of EU integration. It unites three large EU member states with sensitivity to the needs of important regional coalitions: the frugal North, the South, and the Eastern flank. Yet divergences of views meant that the format never quite achieved its potential.

The creation of a new government in Poland, in December 2023, backed by a broad coalition of parties generally supportive of close EU cooperation, paved the way for a revival of the format. In May 2024 ministers of foreign affairs of the three countries adopted a Weimar Agenda1. Their pledges included spending more on defence and maintaining steadfast support for Ukraine. They also called for an EU that speaks with one voice on external policy and claimed the High Representative should be strengthened. In addition, the ministers declared determination to support an ambitious and fair global climate policy. Reactivation the Weimar Triangle was mentioned by the Polish foreign minister Radek Sikorski among the ten most important events in Polish foreign policy during the first year of his tenure2.

EU transformation requires leadership

Weimar’s reactivation could not come at a more opportune moment as the EU is in dire need of audacious leadership. To hold its own in an increasingly disrupted world, the EU and its member states need to adapt. Key objectives for the new political cycle could be grouped under three labels: security, economy, and internal reforms. The Union must strengthen its ability to defend itself, support Ukraine, and contain Russia’s assault on the rules-based order. In addition, the bloc will attempt to galvanise growth but do so in a way that is in line with its climate ambitions and the protection of biodiversity. Finally, the EU needs a thorough introspection that will produce reforms of the common policies, decision-making procedures, and budget. Those alterations should enable the EU to act swiftly when crises occur, secure financial means that correspond with its ambitions, and use its resources more effectively.

On the issues mentioned above the Weimar Triangle could provide blueprints for reforms and lead them. Given their diplomatic, military and economic potential the three countries are vital for maintaining significant support for Ukraine and for building a strong European pillar within NATO. Reaching the objective of closer cooperation within the defence industry sector will also largely hinge on their determination. On economic issues, though Poland can boast dynamic growth, most of the companies that could become “European champions” come from France and Germany. In addition, it is the latter that has financial firepower to drive an industrial revolution. Hence Weimar could become a laboratory of a balanced industrial policy that does not disrupt competition on the single market and allocates the burden of decarbonisation fairly. Furthermore, a preliminary agreement between the net payers and the major net beneficiary of the EU budget could facilitate a compromise on the Multiannual Financial Framework. Finally, a close coordination within the Weimar Triangle is

paramount if the EU is to maintain a united front in talks with the new U.S administration on various aspects of transatlantic cooperation.

In planning reforms the decision-makers face no shortage of ideas and inspiration. The report of a Franco-German expert group of September 2023 urged the Member States to consider bold institutional changes3. Recently a large number of recommendations featured in analyses presented by Polish think tanks4.

A plea for a more ambitious Weimar cooperation does not entail that the three participants should neglect other formats of intra-EU multilateral cooperation. Much the contrary, if Weimar is to become an engine of integration, all three partners must pay a lot of attention to the concerns of their traditional regional alliances. Poland, for instance, will continue to work closely with partners from the Eastern flank – particularly threatened by Russia’s aggressive posture and therefore setting the tone of the debate on improving the Union’s resilience and preparedness for a variety of crises and threats.

More community-oriented thinking needed

The revival of Weimar has not erased divergences between partners. Recent years brought several high-profile clashes between them concerning the best way to support Ukraine, trade, the future of the EU budget and energy policy. Factors related to national politics – slim parliamentary majorities, disagreements within ruling coalitions – could also constitute an obstacle to fruitful cooperation as they sap leaders’ energy and hinder bold moves on the EU level. In all three countries the strong social support for Eurosceptic political forces is a disincentive for the governments to consider making concessions for the sake of long-term common interest.

If the Weimar Triangle is to reach its full potential, it must not limit itself to consultations and lofty declarations. Partners should reach common positions and translate them into practice, for instance by finally making some progress in promoting cooperation in the realm of defence industry. They need to show determination to go beyond short-term perspectives and tackle vested interests in the name of clear benefits for the community. Weimar leaders should not shy away from re-evaluating even those aspects of their EU strategy that have enjoyed the status of dogmas for a long time. Germany needs to deal with its debt aversion and accept that military might can sometimes be necessary to defend EU’s interest. France could show more flexibility to reconcile the drive for Europe’s strategic autonomy and close cooperation with reliable non-EU partners, while Poland could embrace institutional changes, relinquishing unanimity in particular. Both France and Poland would be well advised to engage with the farmers and agricultural lobbies to dispel their apprehensions towards the Mercosur trade agreement and pave the way for the green transition in agriculture. Finally, Weimar leaders will strengthen their calls for reforms at the EU level, if at the same they make efforts to improve national regulations to streamline the green transition, boost innovations and support entrepreneurs.


  1. A Weimar Agenda for a Strong, Geopolitical Union, 22 May 2024, www.gov.pol. ↩︎
  2. R. Sikorski on X on 13 December 2024. ↩︎
  3. Sailing on High Seas: Reforming and Enlarging the EU for the 21st Century. Report of the Franco-German working group on the EU institutional reform, 18 September 2023. ↩︎
  4. See: EU2029: Challenges for the European Commission and Recommendations, Polish Institute of International Affairs, October 2024; What Policies for a secure and competitive Europe? 10 ideas for the European Commission, Polish Economic Institute, December 2024; Re-charging Europe, Green Economy Institute, Cambridge Econometrics, January 2025. ↩︎
12-02-Article-Melchior-Szczepanik-version-fr

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