Rapport réalisé par un groupe de 10 étudiants de l’IEP de Strasbourg, supervisé par Confrontations Europe.
En novembre 2022, la note d’analyse de Jean Pisani-Ferry estimait que la France doit investir 70 milliards d’euros sur les huit prochaines années afin de remplir sa promesse de neutralité carbone d’ici 2050. Si le rapport assure que cet objectif est “à notre portée”, l’économiste tient à rappeler que cet investissement massif engendre des répercussions certaines sur l’économie. En effet, le financement de la transition environnementale a un coût financier indéniable mais révèle aussi un coût politique et social à prendre en considération. Les objectifs ambitieux engagés par les États membres de l’Union européenne ne peuvent que revêtir des efforts globaux, réalisés par tous les acteurs impliqués dans cette transition environnementale.
A l’image des grandes tragédies grecques d’Eschyle ou de Sophocle, les sociétés contemporaines sont alors confrontées à un phénomène global qui les dépasse et les remet en question. La menace climatique apparaît alors comme une tragédie où la fin funeste semble inéluctable malgré les actions mises en place depuis plusieurs décennies.
Largement inspiré par l’antiquité grecque, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre appelait au contraire à briser cette “tragédie des horizons” en remettant en question les standards de nos systèmes actuels via notamment les choix réalisés concernant les nouvelles voies de financement de la transition environnementale. Emprisonnées dans le dédale de cette transition, nos sociétés contemporaines doivent s’en sortir sans pour autant se brûler les ailes.
Le sujet de la transition environnementale est apparu progressivement avec le Rapport Meadows en 1972 et s’est intensifié, notamment via les Conférences des parties (COP), forums internationaux annuels depuis 1995 dédiés à la lutte contre le Changement Climatique. Ce rapport a ainsi bouleversé les équilibres précaires de nos systèmes politiques, sociaux et économiques.
L’Union européenne va se présenter rapidement comme cheffe de file sur ce sujet. Consciente des enjeux que recouvrent la dégradation de l’environnement, l’UE a, au fil de ses traités, élargi ses compétences. Dès 1986 et l’Acte Unique européen, les questions environnementales deviennent une compétence spécifique de l’UE et sont sujettes à partir du traité de Maastricht à la procédure législative ordinaire. Les traités d’Amsterdam et de Lisbonne, de 1997 et 2007, consacrent le développement durable comme un objectif à atteindre et lui confèrent une définition unifiée.
Aujourd’hui, l’UE dispose d’une politique dans le domaine de l’environnement dont les objectifs sont clairement énoncés aux articles 191-193 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne :
- la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ;
- la protection de la santé des personnes; – l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles ;
- la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le Changement Climatique.
Au fil des années et poussée par une prise en considération grandissante des questions climatiques, l’UE s’est engagée à atteindre des objectifs ambitieux, chiffrés et datés. C’est le cas en décembre 2019 quand elle lance son Green Deal, son Pacte vert pour l’Europe, ayant comme principale ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il en est de même, en 2021, avec l’objectif « Fitfor55 » ou «Ajustement à l’objectif 55» engageant une série de politiques visant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030. A cette fin, l’UE a mis en place des mesures novatrices comme l’élaboration d’un système d’échange de quotas d’émission ou encore un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières approuvé par le Conseil de l’Union européenne en décembre 2022 ciblant les secteurs fortement émetteurs en GES.
L’Union européenne se dote aussi dès 1972 de son premier « Programme d’action pour l’environnement » (PAE). Ces programmes sont des textes permettant à l’UE de définir des objectifs environnementaux prioritaires tout en les inscrivant dans un cadre cohérent. En mai 2022, l’UE a ainsi engagé son 8ème PAE. Constitué principalement d’indicateurs visant à évaluer l’évolution de la transition environnementale en cours, il « vise à accélérer la transition vers une économie régénérative, neutre pour le Climat et efficace dans l’utilisation des ressources, qui rende à la planète davantage qu’elle ne lui prend ».
La crise du SARS_COV2, et la récession économique consécutive, ont constitué une occasion unique de nouveaux investissements dans la transition environnementale. A travers les plans de relance nationaux, dans le cadre du NextGeneration UE, l’Union a pu initier des investissements importants qui ont pour ambition d’être respectueux de l’environnement. En effet, l’UE a imposé aux États membres qu’au moins 30% de ce plan de relance européen soit consacré à la lutte contre le Changement Climatique et au financement de projets écologiques. Les investissements qui ont été réalisés pour relancer l’économie se sont teintés d’une forte couleur écologique et ont porté l’espoir d’un changement radical de nos modèles sociétaux vers « une Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente ». Cette crise a ainsi prouvé le rôle majeur occupé par l’Union européenne ainsi que par les États membres pour permettre une transition écologique. Il est clair aujourd’hui que le marché, à lui seul, ne peut permettre un changement de modèle et qu’une intervention des institutions publiques est nécessaire.
Malgré les efforts déployés, les résultats ne sont pas encore à la hauteur de l’enjeu du siècle. L’Union européenne a certes réduit ses émissions de GES de 31%, entre 1990 et 2020 par rapport aux niveaux préindustriels, grâce au remplacement des centrales à charbon ou à l’utilisation de transports moins polluants mais elle est aussi imputable à un processus de désindustrialisation et dernièrement par le ralentissement global de l’économie réelle. Selon les prévisions de l’Agence européenne de l’environnement (AEE), la réduction des émissions européennes atteindrait 41% soit en-deçà de l’objectif contraignant de 55%. Les mesures prises, bien qu’ambitieuses, sont encore insuffisantes pour faire face au défi environnemental. Dans son approche, l’Union européenne ne semble pas encore intégrer pleinement la “double matérialité”, concept essentiel dans la transition environnementale, qui permet une compréhension holistique des enjeux environnementaux actuels.
De plus, cette transition environnementale ne peut se faire sans une dimension sociale forte. La crise des gilets jaunes en France en est l’exemple le plus saillant mais on peut aussi mentionner les ménages les plus défavorisés partout en Europe qui subissent quotidiennement les effets d’une “climateflation” structurelle et durable.
Dès lors, cette transition ne doit pas se faire au prix d’une fragmentation des sociétés au sein desquelles seules les classes moyennes et défavorisées supporteront le coût du changement. Pour éviter la polarisation autour du débat “fin du monde, fin du mois”, le coût du Changement Climatique doit être porté équitablement selon la responsabilité, l’exposition au risque climatique et les moyens économiques des acteurs. La transition doit alors être mesurée et les efforts demandés, proportionnels aux réalités sociales.
La transition écologique s’impose comme une “transition juste”, concept porté par les mouvements syndicaux internationaux souhaitant une transition «aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté ». Ce concept donne un rôle majeur à l’État qui doit conjuguer cette difficile association de « fin du monde et fin du mois », de transition environnementale et d’inclusion sociale.
L’État n’est évidemment pas l’unique acteur sur lequel la transition repose et ce rapport a aussi pour ambition de le souligner. Le propre de la transition écologique est son caractère multi-acteurs et multi-niveaux. La transversalité d’une problématique aussi complexe impose la coordination des acteurs publics nationaux (région, État, entreprises et banques publiques), européens (Banque centrale européenne, Banque européenne d’investissement, Commission, Parlement, Conseil), des acteurs privés (banques commerciales et entreprises) et des citoyens et consommateurs européens.
Dès lors, ce rapport cherche à évaluer l’influence et la responsabilité sous-jacente de cette multitude d’acteurs quant au financement de la transition environnementale, tout en proposant des solutions concrètes et réalisables. Il repose sur de nombreux entretiens réalisés avec des acteurs et observateurs impliqués dans cette transition, que ce soit dans les secteurs publics ou privés. Fruit du traitement de données et de rapports existants, ce travail de recherches essaye de concilier une approche théorique avec une approche pratique, nourrie par la tenue d’entretiens.
Un point d’attention est porté à la réalité sociale des différents pays européens en prenant en compte le concept de “transition juste”. Ce rapport souhaite émettre des propositions en phase avec ces réalités et permettre une transition complète, adaptée aux moyens de chacun.
Le rapport se divise en trois parties qui interagissent du fait de la transversalité de la thématique. Les secteurs financiers et bancaires, éléments essentiels du financement de la transition écologique sont abordés dans la partie 1 sous le prisme de la notion de risques permettant de proposer des solutions de plus ou moins court-terme dans leur mise en place. La partie 2 étudie les rôles multiples que peuvent prendre les instances publiques nationales et européennes pour inciter mais aussi réaliser le financement de cette transition. Enfin, l’objet de la partie 3 concerne la responsabilité et les moyens d’action des acteurs privés ainsi que les outils dont ils disposent pour accompagner leur transition.