Jean-Marie Cavada
Président de l’Institut des Droits Humains Numériques (IDFRights.org)
Les deux projets de Règlements sur les services numériques (Digital Services Act) et les marchés numériques (Digital Markets Act) présentés à la mi-décembre par la Commission européenne prévoient une régulation ambitieuse des géants du numérique. Jean-Marie Cavada, ancien député européen, analyse pour nous la portée de ces deux textes et salue le pas décisif que constitue cette réforme de l’espace numérique.
Depuis une dizaine d’années, l’Europe a cherché à faire rentrer les industries du numérique, largement hors la loi dans le monde entier, dans le spectre de ses valeurs. Ce fut essentiellement le fameux RGPD de 2018, qui sanctuarisait les données individuelles comme un bien personnel. Puis vint la Directive « Droit d’auteur-Droits voisins » (contenus artistiques et de presse) de 2019, qui octroyait, après deux ans d’âpres négociations, aux créateurs et aux éditeurs de presse, une base juridique légale pour négocier avec les plateformes un juste partage des revenus, jusque devant les tribunaux si nécessaire.
Depuis le 15 décembre 2020, la Commission européenne a pris un vrai virage politique, en posant deux types de projets législatifs dans deux domaines gigognes : la régulation des services numériques (Digital Services Act), et les conditions d’opération sur le marche européen (Digital Markets act). Nettoyage des réseaux de leurs contenus illicites, respect des données personnelles, inter-opérabilité, le vent tourne sur notre continent, pour les géants du capitalisme numérique tels que les GAFAM américains et autres BATX chinois. Le temps du far-west et des méthodes scandaleusement illégales, pourrait bien s’éloigner. C’est particulièrement vrai pour les pratiques concurrentielles ou fiscales, jusque-là souvent contournées, même au prix d’amendes que ces entreprises ne semblent guère craindre. Si le Conseil des Etats membres et surtout le Parlement européen qui aura la voix finale, n’affaiblissent pas ces textes, l ‘Union aura réussi un pas décisif pour faire respecter ses valeurs humaines et commerciales sur son sol.
Si l’Europe fut la première à faire respecter les valeurs individuelles et collectives de ses citoyens-utilisateurs du net, et de ses démocraties, elle n’est plus la seule. Il devient désormais impressionnant de constater la pluie d’amendes, d’auditions parlementaires, de plaintes en justice et même de procès qui s’abattent depuis l’été 2020 sur la plupart des GAFAM américains. De façon presque symétrique, la Chine, qui encourageait jusqu’à présent le gigantisme capitalistique de ses propres colosses du web, ouvre tout à coup sans prévenir une vaste enquête contre Alibaba, la plus grande plateforme de commerce B2B du monde, sonnant ainsi la disgrâce d’un de ses « héros », le fondateur Jack Ma si souvent cajolé par Pékin. Ainsi, clairement, les Etats-Continents ouvrent-ils la décennie 2020 en essayant de faire rentrer, plus ou moins sévèrement, les industries du numérique dont la puissance est ressentie comme un désordre violent et une menace des souverainetés, dans une activité régulée, et contrôlée si besoin est.
Pour nous Européens, il n’est que temps de quitter nos prosternations admiratives et surtout nos naïvetés, et pas uniquement dans le domaine du digital.
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Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) constitue le texte de référence de l’Union européenne en matière de protection des données à caractère personnel.