Europe et présidentielle : pour le meilleur ou pour le pire ?

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Tribune commune

L’Europe est brandie comme un bouc émissaire permettant d’évacuer à bon compte les responsabilités nationales. Le débat présidentiel doit, au contraire, répondre à une question essentielle : pourquoi avons-nous besoin de l’Union européenne ?

A six mois de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, la sécurité face à la menace terroriste, la politique vis-à-vis des migrants, la croissance et l’emploi, l’avenir de la jeunesse sont autant de thèmes au coeur de la campagne. Ils sont aussi au centre des discussions entre les dirigeants européens qui tentent de ranimer la construction européenne après le choc du Brexit.
Nous nous réjouissons de voir la question européenne prendre une place importante dans le débat national, mais nous sommes doublement inquiets : l’Europe est brandie comme un bouc émissaire permettant d’évacuer à bon compte les responsabilités nationales, et nous attendons des candidats qu’ils développent plus clairement leur vision de l’Union européenne. Nous souhaitons que le débat présidentiel permette de répondre à une question essentielle : pourquoi avons-nous besoin de l’Union européenne ?

« L’Europe » n’est pas responsable de tous les malheurs de la France ! Les compétences de l’UE sont limitées, voire inexistantes, dans des domaines qui sont au coeur de la vie quotidienne des Français : l’éducation et la formation, le logement, les règles du marché du travail, le fonctionnement de la protection sociale, le niveau d’impôts et de taxes, la sécurité et l’ordre public… On ne peut pas à la fois vouloir davantage d’harmonisation fiscale et sociale, et faire comme si, dans ces domaines, les problèmes français résultaient de « normes européennes » dont on ne trouve trace nulle part. A l’inverse, si nous progressons en matière de fiscalité des multinationales, qui par définition échappent au cadre national, c’est bien à l’Union européenne que nous le devons.

Les pays de l’UE sont « unis dans la diversité », y compris dans leur capacité à prendre de bonnes ou de mauvaises décisions en matière économique, sociale et budgétaire. Comme nombre de nos compatriotes, nous pourrions devenir « franco-sceptiques » en constatant que certains de nos voisins s’en sortent mieux que nous. Un seul exemple : la France a un taux de chômage d’environ 10 %, la Grèce de plus de 20 % et l’Allemagne de moins de 5 %, alors que toutes trois font partie de la même UE, de la même zone euro et du même espace Schengen. C’est d’abord à nos dirigeants que nous devons demander des comptes quant aux résultats qu’ils ont obtenus aux niveaux national et européen. Si le fonctionnement de l’Union économique et monétaire doit être amélioré, c’est bien la défiance entre les gouvernants de nos pays qui freine les compromis nécessaires.

Que l’Union européenne ait des compétences « subsidiaires » ne signifie pas qu’elle soit un enjeu secondaire : le futur président et son gouvernement prendront en effet des décisions en son nom, aux côtés de leurs homologues des autres Etats membres et des parlementaires européens. L’UE façonne la vie de nos agriculteurs et de nos pêcheurs, quelques-unes de ses règles encadrent les choix politiques nationaux (notamment en matière de déficit budgétaire, de commerce international et de concurrence), et l’appartenance à l’espace européen de libre circulation a des incidences à la fois positives et négatives : il y a déjà là matière à un intense débat public ! Ce débat doit être d’autant plus approfondi que l’heure est grave : nous, Européens, sommes menacés à nos portes (Etat islamique, Syrie, Libye, Ukraine, etc.), alors que la montée de l’europhobie et des euroscepticismes entrave le dynamisme de notre Union. Une partie de notre destin national se joue pourtant bel et bien sur le terrain européen, car seule l’union fait la force. Face aux menaces sécuritaires, mais aussi face au changement climatique, à la dépendance énergétique, à la finance folle ou aux migrations incontrôlées, les solutions strictement nationales sont inopérantes. Au contraire, sur ces thèmes, nous avons des préoccupations, des intérêts et un avenir communs avec les autres Européens.

Aux candidats à la présidentielle de dire quelle « Europe » ils souhaitent, comment ils entendent associer les citoyens à son élaboration, de dire ce que sont les attentes des autres Européens, comment les processus de décision européens peuvent gagner en transparence et en efficacité… La France joue depuis toujours un rôle important dans l’évolution de la construction européenne pour l’accélérer ou pour la freiner. Notre pays peut être un véritable inspirateur de l’Union européenne, même s’il ne saurait imposer ses vues à l’ensemble de ses partenaires : attention au « déni de démocratie » qui consisterait à promettre une Europe « refondée » ressemblant à une France en plus grand, alors qu’elle résulte par construction d’un compromis à 28, et bientôt 27.

Une large majorité des Français n’a nullement l’intention de quitter l’UE ou la zone euro, mais ils constatent sa difficulté à sortir des crises qui s’entrechoquent. Nous demeurerons parmi les copropriétaires les plus influents de la maison commune européenne : c’est aussi pour cela que nous appelons tous les candidats et tous nos concitoyens à se saisir pleinement du prochain scrutin présidentiel afin d’en faire un grand rendez-vous démocratique, à la fois national et européen.

Yves BERTONCINI, Jean-Marie CAVADA, Thierry CHOPIN, Denis SIMONNEAU et  Anne MACEY

Yves BERTONCINI est directeur de l’Institut Jacques Delors ; Jean-Marie CAVADA est président du Mouvement européen France ; Thierry CHOPIN est directeur des études de la Fondation Robert-Schuman ; Denis SIMONNEAU est président d’EuropaNova ; Anne MACEY est déléguée générale de Confrontations Europe.

Cet article « Europe et présidentielle : pour le meilleur ou pour le pire ? » est paru en premier dans Les Echos. 

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