Dans un entretien accordé à Thomas Dorget et Pierre Fouquet, Laure Coudret-Laut, directrice de l’agence Erasmus+ France Education/Formation » et Mathieu Roumégous, directeur de l’agence Erasmus+ France «jeunesse/sport » au sein de l’Agence du Service Civique sont revenus sur les 35 ans du célèbre programme Erasmus.
Confrontations Europe : Le 20 janvier 2022, nous avons célébré les 35 ans d’Erasmus+, une politique publique emblématique de l’intégration européenne en matière d’éducation et de formation. Quel regard portez-vous sur le développement du programme durant ces trois décennies ?
Laure Coudret-Laut : A son lancement en 1987, Erasmus s’adressait uniquement aux étudiants et à leurs professeurs. Au fil des années, des dispositifs similaires sont nés : le programme jeunesse en 1989 ; les programmes Comenius pour l’enseignement scolaire et Leonardo da Vinci pour la formation professionnelle en 1995 ; et enfin, le programme Grundtvig pour l’éducation des adultes.
Le basculement majeur arrive en 2014 lorsque les différents dispositifs sont rassemblés en un seul et même programme européen : Erasmus+, qui inclut également des opportunités pour les acteurs du sport. Ce « + » marque une volonté de plus d’ouverture et d’ambition. Le programme Erasmus+ est ainsi mieux organisé et bénéficie d’un budget plus important. Il comporte deux particularités :
- Les bénéficiaires de ce programme reçoivent un financement à hauteur de 80% et surtout, à la différence des autres programmes structurels, en amont de leur projet.
- Dans chaque pays participant, des agences nationales sont responsables de la promotion et de la gestion du programme. De par leur proximité avec le terrain, elles peuvent plus facilement répondre aux besoins spécifiques des bénéficiaires des pays dans lesquels elles exercent.
Entre 1987 et 2020, ce sont plus de 12 millions d’européens qui ont pu bénéficier du programme Erasmus+ !
Mathieu Roumégous : La partie « jeunesse » du programme Erasmus+ permet, quant à elle, de soutenir l’éducation non formelle des jeunes (activités pédagogiques qui se déroulent en dehors du cadre scolaire). Par exemple, des mobilités collectives courtes (groupes de jeunes de 13 à 30 ans pour une durée de 3 semaines maximum) sont financées et peuvent s’organiser autour de thématiques très diverses (citoyenneté, culture, développement durable…).
Par ailleurs, le programme ne s’adresse pas uniquement aux jeunes mais aussi plus largement aux travailleurs de jeunesse. En effet, toute personne en contact avec les jeunes, tels que des bénévoles, des salariés d’associations ou encore des agents de services jeunesse dans les collectivités territoriales, peuvent bénéficier de mobilités dans des structures homologues et ainsi favoriser l’échange de bonnes pratiques.
CE : Un budget de 26,6 milliards d’euros a été alloué à Erasmus+ pour la période 2021-2027 – en hausse de 80% par rapport à celui de la période précédente (2014-2020), complété par plus de 2 milliards d’euros provenant de l’instrument de coopération extérieure de l’UE. C’est une augmentation conséquente qui laisse présager de fortes ambitions. Quels sont ainsi vos objectifs pour les prochaines années ?
Mathieu Roumégous : Effectivement nous avons de grandes ambitions. L’objectif, à l’échelle de l’ensemble du programme Erasmus+, est de permettre la mobilité de 10 millions de personnes supplémentaires pour le période 2021-2027, c’est-à-dire presqu’autant que sur toute la période entre 1987 et 2020.
L’une des priorités 2021-2027 tant pour le secteur jeunesse/sport que celui éducation/formation est l’inclusion et la diversité. L’idée est de toucher, quel que soit leur statut, davantage de participants. Il y a une réelle volonté de développer l’égalité des chances, notamment en octroyant des financements supplémentaires aux participants ayant des besoins spécifiques (situation de handicap par exemple) ou vivant dans des zones enclavées (zone rurales, quartiers prioritaires de la politique de la ville, territoires ultra-marins…).
Laure Coudret-Laut : Concernant le volet formation, nous poursuivons également nos efforts sur les personnes en requalification, notamment avec le concours de Pôle emploi. Même si le volume de participation reste relativement modeste, la formation de longue durée à l’étranger est toujours une réussite.
D’après nos études, il existe globalement deux types de prescripteurs pour les personnes non familières de la mobilité : les professeurs et les administratifs. Dans notre réflexion en cours, appuyée sur les remontées concrètes du terrain, nous explorons différentes possibilités pour permettre à tous les professionnels de l’éducation et de la formation de vivre cette mobilité. Et nous le savons, les bénéficiaires du programme Erasmus+ sont très souvent ses premiers ambassadeurs. Fort des expériences vécues et des connaissances acquises, les professeurs et le personnel éducatif vont pouvoir consolider leur offre de formation et, à leur tour, inciter les jeunes à la mobilité.
Enfin, nous assistons depuis quelques années à un changement d’échelle majeure dans nos agences. En France, nous engageons une politique plus directe vers les territoires, notamment via l’expérimentation de cinq antennes locales ayant pour objectif de multiplier les contacts au cœur des territoires. Par ailleurs, nous avons également concentré nos communications, non plus seulement sur les établissements d’accueil, mais également sur les utilisateurs finaux. Afin de toucher un maximum de jeunes, nous menons des campagnes sur les réseaux sociaux.
CE : En 2017, les Français considéraient Erasmus comme la plus grande réussite concrète de l’Union, devant la politique agricole commune (PAC) ou l’euro. Toutefois, le programme reste souvent l’apanage des étudiants du supérieur. Ainsi, en France entre 2014 et 2020, 350 000 étudiants ont bénéficié d’Erasmus+ contre seulement 164 000 apprentis et élèves en formation. Comment développer concrètement le programme pour toutes et tous alors que certains employeurs sont parfois réticents à laisser partir leurs apprentis et que les structures d’accueil n’ont souvent pas les ressources disponibles pour permettre ces mobilités ?
Laure Coudret-Laut : Depuis quelques années, les lignes ont bougé notamment sous l’impulsion de Jean Arthuis, lors de sa mandature de député européen (2014-2019) et, plus récemment, via son association « Euro App Mobility ».
De plus, le développement du programme est soutenu par une forte volonté politique. A l’échelle nationale, en 2018, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a levé quelques freins, notamment par la possibilité de suspendre un contrat d’apprentissage et de professionnalisation pendant la période de mobilité. A l’instar des universités, les CFA disposent désormais de services des relations internationales composés d’experts de la mobilité, ayant vocation à chercher des formations similaires à l’étranger et des entreprises d’accueil pour les jeunes. Enfin, les entreprises prennent consciences des bénéfices tirés par l’arrivée d’un jeune venu d’un autre Etat membre. C’est en effet une chance formidable de transmettre un savoir-faire mais aussi de recevoir, en retour, les observations et l’enthousiasme d’un jeune apprenti.
Pour qu’une mobilité soit pleinement réussie et valorisable, le facteur clef est la durée. Il est utile de partir trois semaines pour acquérir des compétences transversales mais si on souhaite être réellement formé professionnellement, l’idéal est de partir au moins 3 mois.
CE : Comment évaluez-vous l’efficacité du programme Erasmus+ en France ? Existe-t-il un lien de causalité entre la popularité de l’UE dans un Etat membre et le succès d’Erasmus+ ?
Laure Coudret-Laut : Lorsqu’on part en Erasmus+, on en revient toujours plus européen ! Le programme permet à bon nombre de jeunes de partir à l’étranger pour la première fois, de rencontrer et de vivre avec des européens venant des quatre coins de l’Union, de se tisser un réseau hors des frontières…
Les grandes universités se sont emparées d’Erasmus+ et disposent désormais d’un budget conséquent dédié à la gestion des bourses du programme. Depuis 2017, les alliances d’universités européennes ont tissé des liens forts et ambitionnent à terme de créer de véritables diplômes européens.
Le programme Erasmus+ est extrêmement populaire dans l’Europe occidentale et méridionale, notamment en Italie, championne de la participation en dépôt de projets. Les pays d’Europe du nord, qui disposent d’une « bourse baltique », mieux dotée que la bourse Erasmus+, utilisent davantage la mobilité bilatérale ou régionale.
Mathieu Roumégous : En France, l’agence Erasmus+ Jeunesse et Sport finance plus de 500 projets par an et participe ainsi, comme l’a dit Laure, à la démocratisation de l’Europe. Le renforcement du sentiment d’appartenance à l’Europe s’observe tout autant chez les jeunes qui participent à ces projets.
En complément, le Corps européen de solidarité permet également de renforcer l’adhésion au projet européen. Ce programme donne la possibilité aux jeunes âgés de 18 à 30 ans de se porter volontaire en Europe ou dans un pays voisin de l’Europe, dans le cadre de projets organisés par des organisations à but non lucratif d’une durée de deux semaines à un an. Il s’agit d’un formidable instrument pour l’engagement et la découverte des richesses interculturelles européennes.
CE : La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que 2022 serait l’année européenne de la jeunesse. A la tête du Conseil de l’Union européenne pour six mois depuis le 1er janvier 2022, la France va porter et faire vivre cet engagement. Ainsi, la PFUE ambitionne de développer un service civique européen de 6 mois ouvert à tous les jeunes de moins de 25 ans. Comment cette ambition pourrait concrètement se matérialiser et quelles sont les barrières et freins à son développement ?
Mathieu Roumégous : L’Agence a accueilli l’annonce du chef de l’Etat comme une marque supplémentaire de reconnaissance de l’ensemble du travail effectué en France pour l’engagement de la jeunesse. Cela témoigne de la réussite du Service Civique, d’un point de vue quantitatif (depuis 2010, environ 600 000 jeunes ont pu bénéficier d’une mission) comme qualitatif (91% des volontaires se disent satisfaits de leur mission), ainsi que du Corps européen de solidarité avec un écosystème particulièrement actif et mobilisé en France.
Le Service Civique européen pourra ainsi s’appuyer sur les Services Civiques ou programmes nationaux similaires existants et le Corps européen de solidarité. La réponse à l’objectif fixé par le Président de la République pourra s’orienter vers le renforcement :
- Des partenariats entre pays disposant déjà d’un Service Civique ;
- De l’ « interopérabilité » entre ces dispositifs pour permettre, par exemple, de commencer un Service Civique en France et de le terminer dans un autre pays ;
- Des moyens du Corps européen de solidarité pour accroître les synergies entre toutes les parties prenantes.
Le Service Civique représente une opportunité unique pour les jeunes de tous profils d’acquérir une expérience d’engagement à l’étranger bénéfique pour leur parcours personnel, éducatif voire professionnel, tout en développant leur attachement à la citoyenneté européenne.