Hugues SIBILLE
Président de la Fondation Crédit Coopératif et du Labo de l’ESS
Et si le retour de la confiance en Europe passait par l’entrepreneuriat social et solidaire… Il ne s’agit pas là d’une boutade rhétorique. La dynamique existe. La feuille de route a été dessinée et ne demande qu’à prendre forme.
Les peuples européens se défient de l’Europe. Il ne sert à rien de leur asséner des discours moralisateurs construits par et pour des élites mondialisées. Il faut répondre concrètement à leurs peurs de l’avenir. La carte électorale du Brexit révèle la fracture terrifiante qui traverse l’Europe entière : les jeunes, les diplômés, les Londoniens, les actifs d’un côté, et les âgés-retraités, les ruraux, les chômeurs-déclassés, de l’autre.
Les peuples européens n’accordent plus leur confiance à des dirigeants financiers et économiques qui les ont conduits à la catastrophe de 2008. Ils considèrent les institutions européennes comme opaques, contraignantes, peu démocratiques.
Quel rapport avec l’économie sociale et solidaire ? Il est essentiel ! L’entrepreneuriat social et solidaire pourrait – voire devrait – agir comme un agent de retour à la confiance démocratique européenne, un acteur de réconciliation de l’économique et du social écartelés aujourd’hui par la fin des États Providence européens. Dans cette crise sans précédent que traverse la social-démocratie, il est un partenaire de nouvelles politiques publiques co-construites avec les sociétés civiles. L’économie sociale et solidaire est l’une des solutions permettant de faire face aux problèmes. Essayons-la pour de vrai. On dit aussi qu’elle est fille de la nécessité. Cette nécessité devient brûlante, avant que les démocraties européennes ne se transforment en « démocratures ».
Michel Barnier, après Jacques Delors, l’avait compris. Lorsqu’il était Commissaire européen, il a relancé une politique européenne favorable à un entrepreneuriat social modernisé, en publiant notamment une Initiative pour l’Entrepreneuriat social (IES), le 25 octobre 2011, et en créant un groupe d’experts (GECES) auprès de la Commission. Il était parvenu à secouer le cocotier entre une vieille économie sociale européenne (coopérative et mutualiste) et le nouvel univers des start-up sociales. Ça renâcle, ça résiste, ça discute, mais ça avance. Les 16 et 17 janvier 2014, à Strasbourg, se sont pressés 2 000 entrepreneurs et acteurs de l’ESS européenne, lors d’une manifestation judicieusement baptisée : « Entrepreneurs sociaux, prenez la parole ! ». La dynamique était au rendez-vous, trois commissaires et le président de la Commission présents. Une déclaration combative a été adoptée. Ce fut un succès.
Quatre grands problèmes
Après le départ de Barnier, le soufflé est retombé. Les nouveaux commissaires européens se montrent peu empressés sur le sujet. Les acteurs nationaux retournent à leurs préoccupations nationales. Le Parlement se fait discret. Heureusement de petites lumières brillent ici ou là. Le Luxembourg, sous l’impulsion de son ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire Nicolas Schmit, met l’ESS à l’ordre du jour de sa présidence. Un sommet sur le sujet se tient à Luxembourg, les 3 et 4 décembre 2015. Un GECES 2.0 est relancé et se met au travail pour produire un rapport, remis à la Commission à Bratislava, le 1er décembre 2016. Ce Rapport prolonge et approfondit l’initiative Barnier. Il fait, dès son titre, la synthèse entre Économie sociale et Entrepreneuriat social. C’est un appel à l’action, adressé aussi bien à la Commission qu’aux États membres et aux collectivités territoriales, visant à s’attaquer à quatre grands problèmes : un manque de visibilité, de reconnaissance et d’identité ; des difficultés spécifiques d’accès au financement ; un cadre juridique inadapté dans certains cas et un besoin d’internationalisation. Sur tous ces sujets le GECES fait des propositions, dans un esprit d’écosystème favorable à l’ESS.
Changer d’échelle
Et nous voici, avec une bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. À moitié vide, car l’ESS ne figure pas dans le plan d’action 2017 du Président Juncker et les Commissaires ne semblent toujours pas très motivés par l’ESS. À moitié pleine, car une Initiative européenne sur les start-up et les scale-up, adoptée à Strasbourg le 22 novembre 2016, fait explicitement référence à l’économie sociale.
La vérité est que, pour aller plus loin, il faudrait davantage de rapport de force, avec une économie sociale plus puissante et mieux organisée au niveau européen, et des liens plus forts avec les organisations syndicales et les mouvements civiques et citoyens. Cela urge. L’ESS est une économie sociale de marché qui sait où elle va. Elle privilégie le long terme sur le court terme, les régulations collectives sur les réussites individuelles, l’investissement social sur la dépense sociale. Elle concilie la flexibilité et la sécurité. Elle est en phase avec le xxie siècle européen.
Alors, vite, on change d’échelle ?