ENJEUX CLIMATIQUES ET MIGRATOIRES – Comment articuler Green Deal et Pacte migration et asile ?

Par Damien Carême, Député européen (Les Verts/ALE, France) et membre de la Commission LIBE – LA REVUE #137

En janvier 2022, avant que la meurtrière invasion russe de l’Ukraine et ses répercussions sur les prix de l’énergie ne mettent le coût de la vie au premier rang des préoccupations des Européen·nes, les changements climatiques et l’immigration étaient perçus comme deux des  «problèmes les plus importants auxquels l’UE devait faire face ».

Les effets toujours plus concrets des changements climatiques — des inondations record de 2021 aux sécheresses de 2022, jusqu’à la canicule marine du printemps 2023 — expliquent cette inquiétude légitime. Les migrations sont, elles aussi, sur le devant de la scène, pour le pire souvent, que ce soit à l’occasion de terribles drames, ou qu’elles soient instrumentalisées par l’extrême droite. Aucun doute : migration et climat sont deux des défis les plus urgents que l’Union européenne doit relever. Des réponses apportées dépendra notre avenir commun.

Force est de constater que l’approche choisie par l’UE est une impasse. « Green Deal » — ou Pacte vert — et Pacte migration et asile partagent une seule chose, leur niveau d’ambition : faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050, pour l’un ; réformer le système défaillant et inhumain d’accueil des demandeur·euses d’asile, pour l’autre. Les liens entre ces deux politiques majeures de la Commission von der Leyen s’arrêtent là.

Les deux Pactes ont été élaborés en silo, sans penser ni leurs interactions ni la nécessaire cohérence. Le Pacte migration et asile est censé établir un système instaurant une véritable solidarité européenne dans l’accueil des exilé·es·. Le Pacte vert s’ancre dans le fameux principe du « leave no one behind », « ne laisser personne de côté ». En réalité ni l’un, ni l’autre ne prend en compte l’influence des changements climatiques sur les déplacements forcés de population. Ils renforcent au contraire l’Europe forteresse. Plus que jamais, il est nécessaire de traiter les enjeux climatiques et migratoires sous le prisme de leur interdépendance. Des solutions existent, mais elles impliquent une volonté politique forte.

L’UE doit retenir ses engagements dans le cadre de l’accord de Paris

Les changements climatiques redessinent profondément la géographie et les zones habitables de notre planète. D’ores et déjà, les approvisionnements alimentaires sont perturbés partout où sécheresse et fonte des glaciers compromettent l’accès à la ressource en eau. À mesure que l’anormal devient la nouvelle normalité, les déplacements de population deviennent plus fréquents : déjà 20 millions d’exilé·es climatiques selon le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), plus de 200 millions d’ici 2050.

Pour enrayer ce phénomène, l’UE doit tenir ses engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris en termes de réduction de ses émissions d’abord, et de financement de l’adaptation dans les pays du Sud, ensuite. Il ne s’agit pas là de charité, mais bien de justice climatique. Le principe de « responsabilité commune mais différenciée » implique que l’engagement de l’Europe soit proportionnel à nos responsabilités présentes mais également passées.

Si les objectifs européens de réduction de nos émissions de 55% sont louables, le sabotage en règle de ces politiques par la droite et l’extrême droite européennes laisse peu d’espoir quant à leur réalisation d’ici 2030.

Depuis la COP15 de 2009, la promesse des pays industrialisés de verser 100 milliards de dollars annuels aux pays du Sud n’a jamais été tenue. Deux mille quatre cents milliards de dollars par an seraient désormais nécessaires. Des montants colossaux qui ne suffiront pas si l’UE et l’ensemble des bailleurs internationaux ne desserrent pas l’étau de la dette qui asphyxie les pays du Sud et entrave leur développement.

Pour prévenir les drames à nos frontières, il nous faut aussi repenser complètement notre politique migratoire

Le focus sécuritaire intensifie le caractère néocolonialiste de nos relations avec les pays tiers. Les partenariats « mutuellement bénéfiques » avec ces pays tiers n’ont de mutuels que le nom. Leurs objectifs sont clairs : empêcher la plupart des exilé·es d’atteindre l’UE. C’est seulement en 2022 que la question de la migration légale est ajoutée au Pacte. La Commission fait alors un lien entre migration et « accompagnement à la transition de l’UE vers une économie verte », mais en limitant les voies légales d’accès à certain·es travailleur·euses « choisi·es » en fonction des compétences recherchées par l’UE. Nous privons ainsi les pays du Sud de leurs talents et de toute perspective d’un développement local et soutenable, et excluons les autres exilé·es d’un accueil digne.

Pourtant, la transition écologique et sociale en Europe ne se fera pas sans prise en compte des personnes exilées.

Disons-le tout de suite, accueillir les personnes qui sont contraintes de quitter leur pays ne peut se résumer à une politique utilitariste qui consisterait à ne « sélectionner » que les plus qualifié·es d’entre eux·elles pour travailler dans nos hôpitaux ou en tant qu’ingénieur·es. Il n’empêche que les exilé·es ont un rôle clé à jouer dans notre transition.

Il nous faut anticiper les besoins massifs de main-d’œuvre dans toutes les filières au cœur de la transition écologique. Pour relever ces défis immenses, les politiques migratoires répressives sont contre-productives. Ouverture de voies d’accès sûres et légales, accueil digne et humain, reconnaissance des compétences, délivrance de visas de travail dans l’UE sont autant de conditions indispensables à une transition écologique et sociale juste.

L’union européenne doit faire preuve de cohérence dans l’ensemble de ses politiques

La transition écologique et la préservation du vivant doivent être pensées globalement car la bataille pour le climat et la biodiversité ne pourra se gagner uniquement par et dans l’UE.

La réduction des importations de pétrole et de gaz russes et l’explosion des coûts de l’énergie qui s’est ensuivie auraient dû être l’occasion d’un renforcement du Pacte vert et d’une accélération de la transition énergétique.

Mais plutôt que de repenser intégralement notre mix énergétique et notre consommation, la Commission européenne s’est contentée de trouver d’autres sources d’approvisionnement. Il fallait assouvir nos besoins exponentiels en énergie.

La sobriété énergétique demeure ainsi la grande absente du Pacte vert. Elle est pourtant, avec les renouvelables et l’efficacité énergétique, un élément indispensable d’une transition écologique juste. C’est la clé pour nous libérer de nos politiques énergétiques prédatrices, de notre dépendance aux énergies fossiles et envers des régimes non démocratiques, et pour cesser enfin de contribuer à la déstabilisation politique de régions entières et, de facto, aux mouvements migratoires qui en découlent.

Avoir pensé les enjeux climatiques et migratoires de manière distincte est une erreur. Aucune réforme d’une politique d’accueil et de protection des exilé·es digne de ce nom ne peut raisonnablement évacuer la question des réfugié·es climatiques et de celles et ceux qui fuient la misère. De la même manière, aucune politique climatique ambitieuse ne saurait se faire à sens unique, dans une approche « utilitariste », sauf à assumer le fait, pour l’UE, de priver les pays tiers — « ses partenaires » — de véritables chances de réussir leur transition écologique et sociale.

La lutte contre les changements climatiques, et les exils forcés qu’ils entraîneront, prendra du temps. Certain·es appellent à « réouvrir » la Convention de Genève afin d’élargir la définition des réfugié·es aux personnes victimes des changements climatiques. Ce serait une erreur ! Les négociations auxquelles j’ai participé sur le Pacte européen migration et asile m’ont convaincu d’une chose : le danger est immense de revenir sur des acquis progressistes. En attendant, comme l’a récemment rappelé le rapporteur spécial de l’ONU, les États ont la responsabilité de protéger les personnes déplacées par les impacts des changements climatiques. Nous pouvons, nous devons !, agir à court terme pour améliorer le sort des chercheur·euses de refuge, pour réellement ne laisser personne de côté. Ni ici ni là-bas.

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