Dr. Gisela WAISMAN
Directrice adjointe au Département des Affaires économiques au Ministère des Finances (Suède)
En Suède, le nombre de demandeurs d’asile a été pendant 30 ans, entre 1984 et 2013, autour de 26 000. En 2010, ce nombre avait déjà commencé à augmenter pour atteindre 81 000 demandeurs d’asile en 2014 et a doublé en 2015. Selon les chiffres de l’OCDE, la Suède compte le plus grand nombre de demandeurs d’asile par habitant en Europe.
Ce n’est qu’en Hongrie que le nombre de demandeurs d’asile est plus élevé mais les migrants ne sont pas restés, ils s’y sont juste enregistrés. Le nombre de demandes d’asile est trois fois plus élevé qu’en Allemagne et plus de six fois plus que la moyenne de l’UE. Sur 163 000 demandeurs d’asile, 70 000 étaient des enfants, et 35 000 mineurs non-accompagnés. Gérer ces arrivées en si grand nombre a posé problème, puisqu’il était, par exemple, difficile de trouver un toit pour chacun et que les tentes mises à disposition ont fini par être usées. A la fin de l’année 2015, la Suède a donc choisi de rétablir des contrôles aux frontières et les règles permettant l’octroi de permis de résidence ont été modifiées. Le nombre de demandeurs d’asile a par conséquent reculé pour s’établir à 29 000 en 2016, un chiffre proche des moyennes annuelles.
Dès 2010, un « programme d‘introduction » de deux ans a été mis en place pour les réfugiés ayant obtenu leur permis de résident et ayant été placés dans une municipalité. Le Programme est coordonné par le Service d’Emploi public suédois, financé par l’Etat, et offre une indemnité de départ (de l’ordre de 650€ par mois) à ceux qui prennent part activement aux programmes proposés. Ces mesures comprennent des cours de suédois, d’instruction civique (portant sur les droits et devoirs) et des activités de préparation à l’emploi (notamment des apprentissages ou des emplois subventionnés).
Les bénéficiaires du « programme d’introduction » viennent principalement d’Afghanistan, de Syrie, et d’Erythrée. La moitié d’entre eux n’ont été qu’à l’école primaire ou n’ont pas été scolarisés du tout. Le point positif est que ces réfugiés sont plutôt jeunes (la majeure partie a entre 20 et 40 ans) et que nous avons donc le temps de leur fournir une éducation. Le gouvernement prévoit de rendre obligatoire aux réfugiés adultes ayant été à l’école jusqu’en primaire leur participation à des cours municipaux dans le cadre du « programme d’introduction ». 90 jours après le « programme d’introduction », la part des réfugiés ayant un emploi ou ayant reçu une éducation complète est très faible. Seuls 30% d’entre eux travaillent ou suivent des cours. Pourtant, la situation s’améliore peu à peu, puisque le Programme est corrigé et ajusté.
Néanmoins, il y a encore beaucoup à faire pour que ces chiffres augmentent. En fait, les réfugiés mettent beaucoup de temps à trouver un emploi en Suède, alors que le taux de chômage chez les Suédois est très faible. Comparé aux autres pays européens le taux d’emploi des réfugiés est néanmoins très correct. Et comment pourrait-on définir l’attitude des Suédois envers l’immigration ? L’accueil réservé aux immigrés est beaucoup plus positif que dans la majorité des autres pays européens. Et, avec le temps, ces attitudes s’améliorent encore un peu plus, ce qui prouve que les nouvelles générations sont plus accueillantes à l’égard des réfugiés. Récemment, néanmoins, les réactions sont devenues plus négatives.
En 1992, 65% des personnes interrogées se disaient en faveur de l’accueil d’un nombre plus faible d’immigrés, selon l’étude SOM menée par l’Université de Göteborg. Ce taux est tombé à 40% en 2015 puis a grimpé à 52% en 2016. Dans le même temps, la part de personnes interrogées percevant l’accueil d’un nombre plus faible d’immigrés comme une mauvaise idée en Suède était passée de 16% en 1992 à 37% en 2015 puis était retombée à 24% en 2016.
Les attitudes envers les immigrés en Suède sont devenues beaucoup plus polarisées. Quand je suis partie d’Argentine pour venir en Suède, j’ai été surprise par le fait que beaucoup de Suédois pensaient que la plupart des problèmes devaient être réglés par l’Etat. Mais depuis l’arrivée de réfugiés, le discours a évolué et l’on entend : « nous allons régler cela nous-mêmes » et de nombreux Suédois se mobilisent pour accueillir et aider les réfugiés à s’intégrer. En même temps, les votes pour des partis antiimmigration ont fortement augmenté en Suède et on peut même observer l’émergence d’actes violents ciblant des réfugiés. Plus d’une douzaine d’incendies ont été signalés dans des logements abritant des réfugiés, la majorité de ces incendies ont une origine criminelle.
L’opinion publique suédoise s’avère traversée de deux mouvements contradictoires, une partie des citoyens s’affirme en faveur des réfugiés, une autre les rejette.