Martin KOOPMANN
Directeur de la Fondation Genshagen
La France a voté, et la réaction allemande est multiple : elle exprime autant un soulagement, une certaine méfiance et un grand espoir. Soulagement, parce que la perspective d’une victoire du Front national semblait plus réelle que jamais. Le scénario de se retrouver dans une Union européenne délaissée par le Royaume-Uni, combattue par une France lepéniste et exposée à un avenir plus qu’incertain a marqué les débats outre-Rhin tout au long des élections en France. Soulagement aussi, parce que les grandes orientations du programme du nouveau président reflètent une approche cohérente à l’opposé des positions radicales des partis de l’extrême droite et de l’extrême gauche françaises.
Le rejet fondamental du principe de l’économie sociale de marché et d’une économie ouverte est pratiquement inconnu en Allemagne. En revanche, les Allemands se retrouvent sans difficulté dans l’équilibre des priorités définies par Emmanuel Macron. Les projets, d’un côté, d’une simplification et d’une libéralisation du droit de travail et, de l’autre, d’une amélioration des revenus d’une grande partie de la société française portent la marque politique d’un gouvernement centriste. C’est précisément ce que les Allemands vivent dans leur pays depuis au moins vingt ans. L’Allemagne est devenue, depuis l’ère du chancelier Gerhard Schröder et de son « Agenda 2010 », puis au fil des gouvernements successifs d’une chancelière chrétienne-démocrate (qui pourrait passer dans bien des domaines comme une sociale-démocrate) et suite aux deux « grandes coalitions » de la CDU/CSU et du SPD formées en 2005 et en 2013, un pays dominé par une pensée politique « du centre ».
Un programme comme celui d’Emmanuel Macron ne susciterait aucun étonnement en Allemagne. La majorité des observateurs et experts économiques allemands est convaincue que l’ensemble des réformes proposées par le président Macron constituent la condition sine qua non d’une relance durable de l’économie française. Les secteurs définis comme décisifs pour l’avenir de la France, notamment la formation et le numérique, sont ceux qui ont déjà été identifiés en Allemagne comme prioritaires quant à l’avenir de nos sociétés.
Mais le soulagement ressenti en Allemagne après la victoire d’En Marche s’accompagne aussi d’une forme de méfiance. Les Allemands appréhendent la tournure « révolutionnaire » que peuvent prendre les événements en France. Le parcours politique de Macron intrigue en Allemagne : un jeune inconnu devient président sans avoir bénéficié du soutien d’aucun parti politique au cours de la campagne électorale et, qui plus est, après avoir combattu, au cours de sa campagne, pratiquement toutes les forces politiques du pays (à l’exception du centre). Les Allemands affichent un certain scepticisme quant à l’avenir politique d’une telle figure politique qui n’aurait pu prendre le pouvoir en Allemagne. Quelle sera la stabilité du gouvernement Macron ? Comment le nouveau président va-t-il gérer les premières crises inévitables même s’il se trouve assuré du soutien d’une Assemblée nationale largement dominée par les nouveaux arrivants d’En Marche ?
L’espoir prévaut néanmoins. Un grand espoir européen. Malgré les incertitudes et l’immensité de la tâche qui attend le nouveau président et son équipe, le changement de cap de la France constitue une immense chance pour le pays, pour les relations franco-allemandes et pour la construction européenne. Cette victoire semble offrir enfin la possibilité d’établir un nouvel équilibre entre la France et l’Allemagne : basé sur la capacité et la volonté d’assumer leur responsabilité commune dans l’Europe d’aujourd’hui. Certaines voix allemandes s’interrogent sur le coût pour l’Allemagne des réformes européennes envisagées par Emmanuel Macron. Cela se comprend, la culture de la stabilité monétaire et de la rigidité budgétaire domine une large part de la pensée allemande en politique européenne. Mais il faut aussi que l’Allemagne comprenne que la politique de réformes qui sera lancée par Macron en France n’est que la première étape du sauvetage de la construction européenne. La France de Macron exigera des réponses claires quant à ses idées sur une réforme de l’Union européenne. Il faut que l’Allemagne s’y prépare rapidement, la deuxième manche devra être actionnée dès la mise en place du nouveau gouvernement allemand à l’automne 2017.