La finance est morte. Vive la finance durable

Auteur : Emmanuelle Mourey

présidente du Directoire de Banque Postale Asset management

Les événements politiques et sociaux des derniers mois ont révélé l’aspiration forte de nos concitoyens à infléchir le modèle économique et social actuel. Au cœur de ces mutations, la finance a un rôle central à jouer. Parfois cible des contestations, elle n’en demeure pas moins une pièce maîtresse au service d’une économie plus juste et soucieuse de son environnement.

Emmanuelle Mourey, présidente du Directoire de Banque Postale Asset management

En France, l’année 2019 a commencé dans une tension couleur jaune. Tous les samedis, les ronds-points de France ont été le rendez-vous des oubliés. Tous n’avaient pas les mêmes motivations. Mais tous, à travers leur colère, exprimaient bien souvent un sentiment d’injustice face à une société dont ils se sentaient exclus. Dans le même temps, la cause climatique rassemblait dans les rues du monde, comme le 16 mars dernier, lors de la Marche du Siècle. Des milliers de pancartes brandies refusaient le diktat du court-terme et exigeaient un changement de modèle.

Changer de modèle : le mot n’est plus tabou. Questionner les limites de notre système économique et financier non plus. Ce dernier, qui avait permis, tout au long du xxe siècle, une croissance efficace et une prospérité pour beaucoup, témoigne de ses limites. En janvier 2019, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, déclarait lui-même : « nous ne pouvons pas payer toujours plus de croissance par toujours plus d’inégalités. Nous sommes au bout de ce raisonnement ».

De nombreuses entreprises ont, elles aussi, entamé leur mue, comprenant que leurs intérêts personnels devaient se conjuguer avec l’intérêt collectif. Aux États-Unis, les entreprises à mission, connues sous le nom de « B Corp » (pour Benefit Corporation) commencent à prendre une place de plus en plus grande, même si elles ne sont pour l’instant qu’environ 2 000. En France, le gouvernement agit aussi dans ce sens : la loi PACTE rend dorénavant possible la création d’entreprises à mission. Plusieurs d’entre elles se positionnent d’ailleurs dans ce sens.

Quel rôle pour la finance dans cette révolution vertueuse ?

Loin de se tenir à l’écart du mouvement, la finance joue un rôle de promoteur actif au service d’une croissance positive pour tous. La prise de conscience ne date pas d’hier. En 2015 déjà, Mark Carney, directeur de la banque d’Angleterre, prononçait son célèbre discours La Tragédie des Horizons dans lequel il prédisait que le plus gros risque systémique de la finance était le risque climatique, décliné en trois volets : le risque physique lié aux catastrophes naturelles, le risque de transition lié aux changements de modèles vers une économie bas carbone et le risque de dépréciation massive lié à l’effondrement des énergies fossiles.

Au-delà des mots, l’affection des investissements bascule progressivement en faveur des acteurs responsables. En 2018, le GSIR (Global Sustainable Investment Review)(1) comptabilisait dans le monde 30 683 milliards de dollars de fonds d’investissement socialement responsable (ISR). En Europe, les encours responsables représentent aujourd’hui environ 12 300 milliards d’euros. La France participe activement à cet effort, avec 1 830 milliards d’euros en investissement responsable.

Ces chiffres sont honorables. Mais ils témoignent également d’une grande marge de progression. Le marché de l’ISR reste fortement dominé par les investisseurs institutionnels (assureurs et mutuelles, caisses de retraite et instituts de prévoyance, etc.). Ces organismes représentent en effet 75 % de l’encours socialement responsable mondial. Par ailleurs, les actifs actions représentent la moitié de ce marché spécifique, suivis des titres obligataires pour seulement 36 %.

Il existe donc de nombreux relais de croissance en matière de finance durable, tant sur les produits que sur la cible des investisseurs privés par exemple. Ma conviction est que nous n’en sommes encore qu’aux prémices. La conjonction des planètes, la mobilisation de l’opinion publique sans oublier le caractère inéluctable des défis écologiques et démographiques font de la finance durable l’avenir de la finance de demain. La question se pose alors : comment aller plus loin ?

Quatre défis

À mes yeux, quatre défis en particulier sont à relever pour donner une place centrale à la finance durable.

  1. Tordre le cou aux soupçons de plus faible performance

Les investissements socialement responsables ont longtemps souvent souffert d’une perception de moindre rentabilité. On ne pouvait pas à la fois être responsable et performant. Une pensée datée qui change peu à peu. Oui, les produits d’investissement socialement responsables peuvent se révéler fructueux. Selon la méta-analyse, Performance Financière de l’ISR de Christophe Revelli et Jean-Laurent Viviani(2), les résultats observés tendent à prouver que l’éthique n’a pas de coût financier et génère une rentabilité similaire à celle de l’investissement conventionnel. Je me permettrais d’aller plus loin : sur le long terme, seules les entreprises ayant intégré les défis écologiques et sociaux au cœur de leur modèle seront gagnantes.

  1. Faire œuvre de pédagogie

Second défi indispensable : clarifier et unifier les discours sur la finance durable.

Pour un non spécialiste, ce segment de la finance s’apparente encore trop souvent à un maquis complexe. Rien que sur le marché européen, il existe d’innombrables labels (comme les français GreenFin, TEEC ou ISR Public, mais aussi le LuxFLAG, le Nordic Swan Ecolabel, le FNG, le Febelfin…) et autant de produits différents.

Il ne s’agit pas de remettre en cause ces labels, ni de nier leur légitimité. Chacun entend répondre à une sensibilité particulière et à orienter le consommateur final. Mais faute d’harmonisation, c’est le contraire qui va se produire, ne permettant pas de réaliser des comparaisons pertinentes et finissant par semer le doute quant à l’impact réel de ces investissements. C’est pourquoi nous attendons beaucoup du travail engagé par la Commission européenne, à l’instar de ce qui a été réalisé sur les normes comptables, pour simplifier la démarche – et prévoit de créer prochainement une nouvelle catégorie d’écolabel pour les produits financiers.

  1. Accompagner les réseaux de distribution

Peut-être en raison du maquis, peut-être aussi parce que les mentalités sont longues à changer, l’investissement socialement responsable est parfois plus présent sur les prospectus de communication des acteurs financiers que dans la bouche des conseillers.

Selon le baromètre de Deloitte(3), seuls 28 % des conseillers en gestion de patrimoine et conseillers de banques privées parlent d’investissement responsable à tous leurs clients, et 41 % seulement à ceux qui le demandent.

Nous savons bien que la tâche n’est pas aisée. Il faut vaincre les craintes, changer les habitudes en interne. Mais ce travail de formation est pourtant indispensable afin de répondre aux attentes croissantes d’investisseurs institutionnels comme privés qui veulent donner du sens à leur argent.

  1. S’engager pleinement

Enfin, rien ne remplacera l’engagement de conviction.

Au sein de Banque Postale Asset Management, nous avons fait le choix de devenir 100 % ISR d’ici 2020. L’ISR est l’application du développement durable aux placements financiers. C’est investir dans des titres performants sur le plan financier tout en portant une attention particulière à la mesure de l’impact environnemental, social et de gouvernance (critères ESG) des émetteurs.

Nous sommes la première société de gestion généraliste à prendre cette décision forte. Pour ce faire, LBPAM a choisi un référentiel clair et exigeant, celui du label public ISR. Cette promesse se concrétise aussi par la généralisation de notre méthodologie propriétaire d’analyse à l’ensemble des titres et émissions sélectionnés.

Ce qui caractérise également notre approche est la prise en compte véritablement systé­matique des critères extra-financiers ESG et l’im­portance que nous accordons au développement des économies locales dans notre analyse. La méthode GREaT se concentre ainsi sur quatre piliers : gouvernance responsable, gestion durable des Ressources naturelles et humaines, transition économique et Énergétique, et développement des Territoires. Autant de critères qui nécessitent une analyse fine et solide des entreprises et des états concernés. Car il s’agit bien aussi de sélectionner les états semblant être les plus responsables. C’est en ajoutant un onglet extra-financier à leur cahier des charges que les acteurs de la finance aideront à pratiquer un capitalisme plus responsable.

En mettant les aspects sociétaux et environnementaux au cœur de ses priorités, la finance responsable aiguille les décisions des grands groupes. Ce faisant, elle aide à bâtir un système économique plus vertueux, car engagé sur le chemin d’une performance ­durable. En somme, un retour aux sources pour nos métiers.

1) http://www.gsi-alliance.org/wp-content/uploads/2019/06/GSIR_Review2018F.pdf.

2) Christophe Revelli et Jean-Laurent Viviani, « Performance financière de l’investissement socialement responsable (ISR) : une méta-analyse », Finance Contrôle Stratégie , 15-4 | 2012, mis en ligne le 18 mars 2013, consulté le 9 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/fcs/1222 ; DOI : 10.4000/fcs.1222.

3) https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/presse/2019/regard-pargnants-conseillers-sur-investissement-responsable.html.

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