EDITO – MICHEL DERDEVET

LA REVUE #137.

En ce début d’automne 2023, l’arrivée massive de milliers de migrants sur les côtes de Lampedusa a remis le dossier de l’immigration au centre des débats politiques européens, en redonnant un « carburant » imprévu aux discours de rejets qui laminent depuis des mois nos grandes démocraties européennes. D’aucuns profitèrent au passage de l’actualité récente, au Proche-Orient, en France ou ailleurs en Europe, pour renforcer confusions et amalgames sur un sujet qui divise, à l’évidence, le monde politique et la société civile.

Comme toujours, à grands coups de déplacements politiques spécifiques (mis en scène opportunément) et de déclarations à l’emporte-pièce, les démagogues — ayant à l’évidence en ligne de mire le scrutin du 9 juin prochain — dénoncent les « envahisseurs », « mettant à mal la civilisation européenne », occultant les plus de quatre millions d’Ukrainiens accueillis efficacement en un an sur le sol européen, et ce grâce à la directive protection temporaire.

Qui a rappelé ces dernières semaines que dans l’Union européenne étaient délivrés chaque année trois millions de premiers titres de séjour par les États membres faisant face au vieillissement de leur population et à des pénuries de main-d’œuvre ? Personne, malheureusement !

Et pourtant, l’immigration mérite mieux qu’une course effrénée à la démagogie. Elle pose de vraies questions sur la nécessaire coopération intra-européenne (et sur les moyens financiers dimensionnés qu’elle implique) pour lutter contre l’immigration clandestine, mais aussi sur les politiques de coopération et de partenariats que l’Europe doit impérativement re-bâtir avec son voisinage.

Sur le premier volet, l’accord concernant le Pacte européen sur la migration et l’asile esquissé lors du Sommet informel de Grenade du 6 octobre dernier — au terme de quatre années de controverses, palinodies, paralysies et psychodrames — est positif puisqu’il favorise une répartition des efforts d’accueil des migrants sur l’ensemble de notre continent, en même temps qu’il autorise la durée de rétention de ceux-ci aux frontières extérieures de l’Union jusqu’à quarante semaines.

C’est un pas en avant, qu’il faut saluer, dans la mesure où il organise au niveau européen une réponse coordonnée et solidaire des États membres en cas d’afflux « massif » et « exceptionnel » d’immigrés illégaux dans un pays de l’Union, comme ce fut le cas lors de la crise des réfugiés de 2015-2016. Il prévoit ainsi le déclenchement rapide de mécanismes de solidarité envers l’État membre confronté à ces arrivées, sous la forme notamment de relocalisation des demandeurs d’asile ou de contributions financières compensatoires. 

Cependant, toutes ces dispositions ne règlent pas la question de fond posée. Il faut certes rétablir la confiance des Européens dans la capacité de leur pays, et de l’Union européenne, à organiser une migration contrôlée et à gérer efficacement et humainement les flux d’enfants, de femmes et d’hommes concernés. Mais il faut aussi faire évoluer le narratif sur la migration, comme le souligne fort opportunément dans ce numéro, Monique Pariat, et « battre en brèche les idéologies qui mettent en péril le modèle européen et nos valeurs communes ».

Le « contrôle migratoire », nécessaire, ne doit pas devenir l’unique obsession de nos dirigeants ; il nous faut d’urgence penser global, et analyser objectivement les incohérences passées et actuelles de la politique européenne de voisinage, notamment à l’aune des enjeux communs liés à une vraie vision en termes de coopération et de développement de l’Union vers ses partenaires extra-européens. C’est le seul moyen d’anticiper les crises, de trouver des solutions en amont et depréparer un futur viable pour ces populations et celles qui les accueillent.

Une chose est sûre. Nous faisons nôtre, à Confrontations Europe, l’idée que le projet européen est en soi un projet humaniste, qui doit dépasser le rejet et la peur des différences, mais ce projet européen doit aussi être porteur de solutions à court et à long termes. Éviter cette Europe du « repli », c’est aussi le sentiment dominant d’une majorité d’Européens, au même titre que leur souhait d’une meilleure maîtrise des flux et d’une prise en considération des besoins des migrants pour mieux les intégrer. C’est le réel enseignement que nous pouvons tirer de la grande étude d’opinion que nous avons réalisée à la rentrée avec l’Institut Viavoice.

Malgré les populistes de plus en plus «vocaux» sur ce sujet, la majorité des 5000 Européens sondés, représentatifs des citoyens âgés de plus de 18 ans de 10 États membres (France, Espagne, Italie, Allemagne, Pologne, Belgique, Hongrie,Suède, Roumanie, Grèce) se déclarent très favorables à la libre circulation des citoyens européens au sein des 27 et non opposés à l’idée d’une immigration extra-européenne ; celle-ci leur apparaissant comme un atout, devant être mieux géré, notamment grâce à un meilleur accès à l’emploi, l’éducation et à la langue.

Ce que l’on peut souhaiter de mieux pour la législature 2024-2029 qui s’annonce, c’est que la sagesse et la capacité à poser à plat le sujet de l’immigration, que nous avons essayé d’esquisser dans ce numéro 137 de notre revue, caractérisent le débat européen public à venir, loin des anathèmes et des discours de haine, d’où qu’ils viennent.

EDITO-Michel-Derdevet

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