Michel Derdevet
Président de Confrontations Europe
À l’heure où paraîtra ce 132ème numéro de la revue trimestrielle de Confrontations Europe, près de trente ans après la création de notre Think Tank, la France entrera dans les derniers préparatifs de la Présidence du Conseil, qu’elle assurera à compter du 1er janvier 2022.
Au terme de cinq années marquées par un engagement européen indéfectible, cette Présidence sera un moment politique fort, porteur d’espoir tant l’Union apparaît comme la voie incontournable pour favoriser un rebond économique, social et solidaire.
N’en déplaise aux nationalistes, il y a dans notre pays un vrai attachement et une confiance renforcée dans l’Union européenne : 57% des Français se déclarent attachés à l’Union et une majorité (51%) est prête à lui faire confiance (9 points de plus qu’en juillet 2020). Cette amélioration de l’image de l’UE auprès des français, après un an et demi de lutte contre la pandémie, et la crise économique qu’elle a entraînée, matérialise un désir d’Europe et une reconnaissance de sa fonction majeure de protection en temps de crise.
Une majorité de nos concitoyens soutient les politiques publiques menées au niveau européen : qu’il s’agisse de l’euro (70%), de la politique commerciale (65% y sont favorables), d’une politique de sécurité et de défense (71%) ou encore d’une politique commune en matière de migration (65%) ou d’énergie (71%)1 .
Mais au-delà, dans l’agenda de la Présidence à venir, le sujet social apparaît comme une ardente obligation, susceptible de répondre aux légitimes aspirations des citoyens. Loin d’être un «addendum» thématique, il devra irriguer l’ensemble des politiques sectorielles et des initiatives qui seront engagées dès le premier semestre 2022, en droit fil du Sommet de Porto et des trois priorités validées alors.
Il s’agira bien sûr de faire aboutir le projet de directive sur le salaire minimum, indispensable instrument d’une convergence sociale par le haut, de veiller à la mise en œuvre de la garantie européenne pour la jeunesse et d’initier les échanges institutionnels concernant la législation pour les travailleurs des plateformes.
Mais il faudra aller plus loin pour promouvoir le modèle européen d’«économie sociale de marché», qui nous distingue du libéralisme américain et du capitalisme d’État chinois et constitue une troisième voie, montrant le chemin d’un développement efficace, durable et solidaire.
À l’heure actuelle, les régimes de couverture sociale relèvent encore des États membres, et l’Union affecte moins de 2% de son PIB aux politiques sociales. Une proportion qui est à l’évidence trop faible par rapport aux budgets nationaux, qui varient de 13% du PIB en Irlande à 31% en France. Une augmentation du budget social de l’UE permettrait d’investir dans une transition environnementale juste, à même d’accompagner les régions, les entreprises et les citoyens dépendants d’activités fortement carbonées vers des secteurs économiques durables.
Marcher sur ses deux jambes suppose aussi que l’Europe retrouve l’esprit insufflé il y a trente-cinq ans par Jacques Delors à Val Duchesse, et fasse confiance en amont au dialogue social et aux partenaires sociaux. Et qu’elle soit suffisamment ambitieuse pour imaginer par exemple, comme Pierre Moscovici le suggère dans ces colonnes, l’instauration d’un revenu universel d’activité.
Le virage social européen devra aussi être pensé au plus près des territoires et des collectivités, qui s’imposent comme des acteurs de premier plan pour lutter contre les fractures sociales et la précarité qui gagne partout du terrain.
C’est le sens de ce nouveau numéro de notre revue. Il a comme objectif d’explorer les différents enjeux qui sous-tendent un approfondissement des politiques sociales menées au niveau européen, en mobilisant les plumes et les pensées d’acteurs politiques, académiques, économiques et syndicaux de premier plan. Leur expertise et leur engagement tracent la voie de ce tournant social, aujourd’hui plus que nécessaire pour le projet européen.
- Enquête « Eurobaromètre 94 », réalisée en France du 12 février au 4 mars 2021 par l’Institut Kantar auprès d’un échantillon représentatif de 1 020 personnes, interrogées en face-à-face